Fantasia est une
anthologie composée de sept séquences animée reprenant huit morceaux de musique
classique.
Walt Disney eut toujours dans ses productions la grande
ambition de marier culture classique et art populaire. Ce fut même le moteur de
nombre des films de l’âge d’or du studio adaptés de contes occidentaux puisque
découlant du voyage en Europe de Disney au début des années 30 et où il acquit
les droits de Bambi, La Belle au bois dormant, Peter Pan ou encore Alice au pays des merveilles. Le film illustrant pourtant le mieux
cette volonté est Fantasia,
troisième long-métrage produit par le studio. Walt Disney envisage de
réconcilier la jeune génération avec la musique classique et pense à produire
un court-métrage adaptant le poème Der
Zauberlehrling écrit en 1797 par Goethe et la musique de L'Apprenti sorcier (1897) de Paul Dukas
dans ce qui doit être une nouvelle aventure de Mickey afin de relancer le
personnage alors en perte de vitesse. Les droits acquis la production démarre
dès 1937 (et dans un premier temps sur une partition d’Arturo Toscanini) et
dépasse rapidement les budgets.
Walt Disney fera une rencontre cruciale durant
cette période avec le célèbre chef d’orchestre Leopold Stokowski. Engagé pour
réorchestrer la pièce de Paul Dukas, il dirige donc l’enregistrement utilisé
sur une première mouture de L’Apprenti
sorcier qui sera projetée au sein du studio en juin 1938. Parmi les
artistes les plus curieux et ouvert de sa sphère - il sera un des premiers à
expérimenter les embryons de ce qui deviendra la musique électronique notamment
- Stokowski voit immédiatement les immenses possibilités d’un mariage entre
animation et musique classique (n’y voyant pas le côté dégradant de certains
puristes pour cet art majeur) et propose d’étendre l’expérience en un vrai programme
musical filmé. Disney emporté par cet enthousiasme adhère à l’idée et tout en
poursuivant la conception de L’Apprenti
Sorcier lance la pré-production de ce qui deviendra Fantasia à partir de septembre 1938.
La liste définitive des pièces musicales est rapidement
arrêtée après avoir envisagé puis écarté entre autres des monuments comme L'Oiseau
de feu (1909) et Petrouchka
(1911) de Stravinski, le Prélude op. 3 no
2 de Sergueï Rachmaninov, Clair de
lune de Claude Debussy… Ce dernier constituera longtemps la huitième
séquence, tourné mais finalement écarté au vu de la longueur du film
et recyclé pour devenir la séquence Blue
Bayou de La Boîte à musique
(1946). L’échec commercial de Fantasia
fera d’ailleurs tourner court l’idée d’un œuvre évolutive à laquelle pourrait
être ajouté ou soustrait d’autres segments au fil des exploitations. Au départ l’engouement de Stokowski et Walt
Disney est tel qu’il leur fera envisager quelques idées folles heureusement
vite abandonnées comme la diffusion en salle d’odeurs en rapport avec les
séquences.
Le musicologue Deems Taylor contribue également à la conception, aidant à ordonner cette frénésie créative et héritera du rôle de maître de cérémonie introduisant chaque séquence. La production des sept séquences oscillera donc entre la vision et l’exigence de Walt Disney/Stokowski et les nombreuses expérimentations de collaborateurs ayant plus de latitude sur ce pur projet « artistique » leur permettant de repousser les limites de l’animation d’alors. L’image et la musique doivent en effet se marier tour à tour dans une volonté sensorielle, illustrative et/ou narrative tout au long du film.
Le musicologue Deems Taylor contribue également à la conception, aidant à ordonner cette frénésie créative et héritera du rôle de maître de cérémonie introduisant chaque séquence. La production des sept séquences oscillera donc entre la vision et l’exigence de Walt Disney/Stokowski et les nombreuses expérimentations de collaborateurs ayant plus de latitude sur ce pur projet « artistique » leur permettant de repousser les limites de l’animation d’alors. L’image et la musique doivent en effet se marier tour à tour dans une volonté sensorielle, illustrative et/ou narrative tout au long du film.
Toccata et fugue en
Ré Mineur de Jean-Sébastien Bach
Cette première séquence annonce l’exigence qu’imposera Fantasia, puisqu’elle ose la pure
abstraction visuelle. L’idée est de se plonger dans la psyché d’un spectateur
de concert et d’illustrer dans une gamme abstraite les émotions que lui évoque
la musique. Walt Disney dans une volonté didactique de rendre accessibles ces
notions complexes aux spectateurs fera ainsi décrire l’ensemble des intentions
par le narrateur Deems Taylor. Ce sera parfois à bon escient comme sur cette
séquence d’ouverture, parfois redondant lors des segments purement narratifs et
aisément compréhensibles (L’Apprenti
Sorcier) et d’autres fois judicieux pour certains compléments culturels (Le
Mont Chauve). L’expérimentation s’amorce avec la bande-son où Stokowski
(dirigeant l’orchestre à l’image) donne un arrangement symphonique d’un morceau
à l’origine composé pour un orgue, initiative encore peu commune à l’époque.
C’est
ensuite par des vues stylisées de l’orchestre (l'orchestre philarmonique de Philadelphie enregistra la bande-son mais ce sont des musiciens du studio présent à l'image d'ailleurs source de quelques gags pour rendre l'atmosphère moins guindée) que l’on perd progressivement
pied, le technicolor saturé des éclairages en arrière-plan répond aux
silhouettes sombres des musiciens se démultipliant en surimpression. Les repères
ainsi altérés, nous passons à l’imagerie abstraite où les lumières, couleurs et
atmosphères oscillent au gré des variations sonores. L’innovation intervient justement
sur l’imagerie plutôt que le concept, l’animateur Cy Young (en charge de
certaines des transitions les plus déroutantes) ayant rôdé nombre de techniques
de cette séquence dans les Silly
Symphonies. Walt Disney fit appel à Oskar Fischinger, spécialiste de l’animation
abstraite dont il fit simplifier les idées par ses animateurs. Nous avons ainsi
quelques points de repères comme les formes de certains instruments (l’archer
des violons notamment) se laissant deviner, Disney limitant à une trouvaille
par plan un ensemble voulu bien plus expérimental par un Oskar Fischinger
frustré. Quoiqu’il en soit, cette entrée en matière nous emmène d’emblée dans
un ailleurs inconnus…
Casse-noisettes de
Tchaïkovski
Ce second segment signifie clairement la volonté de Disney
de s’approprier les compositions choisies et d’en donner « sa »
version. L’illustration ici n’aura donc aucun rapport avec le célèbre opéré de
Tchaïkovski. On trouve là une féérie célébrant la magie de la nature sur fond
de quatre saisons, la dimension musicale s’exprimant visuellement par un
melting-pot de danses traditionnelles effectuées par ces esprits de la nature :
une danse arabe par un harem de poisson (sur le modèle de Cléo le poisson de Pinocchio produit parallèlement à Fantasia), une danse chinoise par des
champignons dont l’allure évoque des ouvriers de rizières, des chardons
reprenant des danses cosaques et des orchidées au mouvement évoquant le ballet
russes.
Cet émerveillement est constamment ponctué d’une touche cartoonesque, l’animateur
Art Babitt (spécialiste du gag humoristique) diluant la possible prétention de
l’ensemble par des personnages décalés typique de Disney comme ce petit
champignon toujours en retard d’un temps sur la chorégraphie. L’esthétique
élégiaque de ce basculement de saison emprunte elle à une culture plus
typiquement européenne. L’éveil de la nature par les fées annonce l’émerveillement
futur de Bambi (1942) et s’inspire
clairement du Songe d’une nuit d’été
de Shakespeare, certaines idées rappelant d’ailleurs l’adaptation de William
Dieterle sortie en 1935.
La photo somptueuse de James Wong Howe donne une unité
visuelle remarquable à l’ensemble dont la magie doit grandement à la nature inédite
de certaines images stupéfiantes. Le final enneigé tourbillonnant entre les fées
de givre et les flocons mobilisa ainsi l’ingéniosité des animateurs avec des
flocons de neiges découpé en papier et filmé sur une plaque tournante avant de
les plaquer en surimpression sur l’image animée. Un enchantement de tous
les instants.
L’Apprenti Sorcier de
Paul Dukas
Il s’agit de la séquence la plus célèbre du film, venant d’ailleurs
après deux précédentes adaptations du poème de Goethe, The Wizard's Apprentice (1930) de
Sidney Levee et une tentative animée par Oskar Fischinger, Studie
Nr. 8 (1931) qui utilisait déjà la mise en musique de Paul Dukas. Une
première mouture avait d’abord le nain simplet pour héros mais Walt Disney y
vit l’occasion de relancer le personnage de Mickey, trop lisse et dépassé en
popularité par Donald Duck et Dingo.
Le film inaugurera d’ailleurs le look
mondialement connu aujourd’hui de Mickey conçu par Les Clark, plus arrondi et
expressif. Les Clark qui animait le personnage depuis l’inaugural Steamboat Willie (1928) cède d’ailleurs
la place à Fred Moore pour accompagner cette modernisation. Le mariage
musique/animation est un des plus impressionnants de tout le film du fait des
origines musicales de la partition. Une folie douce se dégage de la séquence de
rêve avant une frénésie martiale, presque totalitaire dans la marche
démultipliée des balais ensorcelés dont chaque mouvement un appuyé par les notes
agressives.
Une logique du chaos qui donne une tonalité sombre et oppressante à
l’ensemble (le physique longiligne et intimidant du sorcier) à travers les
éclairages expressionnistes et qui contamine même la personnalité de l’inoffensif
Mickey. Plus facétieux et imprévisible, il cède même à un élan de violence
inattendue en détruisant hors-champs un balai à la hache. La punition potache
finale ne saura atténuer la noirceur de cet opus faussement léger.
Le Sacre du Printemps
d’Igor Stravinski
L’audace de cette quatrième partie se conjugue à la
musique et aux images qui l’accompagnent. Le
Sacre du Printemps est la partition la plus récente du film, créé en 1913
et la seule dont le compositeur était encore vivant au moment de la production.
Le choix du Sacre du printemps constitue
donc une vraie modernité d’autant que Disney en donnera une interprétation très
originale. La composition de Stravinski (réticent mais convaincu par un chèque
de cinq mille dollars, d’autant que son œuvre éditée en Russie n’était pas
protégée par le droit d’auteur) accompagnait un ballet évoquant les danses
tribales, les rites païens, et le primitivisme. Disney en fait une leçon de géologie
évoquant la naissance de la vie sur Terre sur plusieurs milliards d’années. On
retrouve l’abstraction expérimentale à travers les visions du cosmos et d’une de
ses explosions voyant naître un embryon de vie sur ce qui deviendra la Terre.
De la vie la plus microscopique aux dinosaures, Walt Disney suit rigoureusement
la théorie de l’évolution mais écartera la partie sur les premiers hommes.
Souhaitant que le film soit visible par tous, il évite ainsi de s’attirer les
foudres des créationnistes et inscrit cet épisode dans une veine mythologique,
les dinosaures étant encore vues comme des créatures imaginaires car la théorie
de l’évolution était encore fraîche dans la culture du public américain.
Néanmoins les animateurs suivent scrupuleusement les connaissances scientifiques
d’alors - à quelques erreurs près comme la mort des dinosaures causées par la
chaleur ou la morphologie de certains comme le T-Rex - et en fusionnant et accélérant bien
sûr les ères géologiques. La rigueur scientifique et la volonté réaliste ne se
délestera pas d’une vraie poésie cependant. Le réalisme saisissant et le chaos
des volcans en ébullition cèdent ainsi à la mutation sous-marine de
micro-organisme conduisant aux dinosaures. Plus la vie se fait concrète, plus
cette évolution se fait différente dans la mise en scène.
Les fondus enchaînés
usant d’effets de fumées encrées font alors la transition des images étranges
conduisant les micro-organismes vers l’état de poisson et cet être plus
familier mutera alors en travelling où chaque ellipse apporte un élément nouveau
à son avancée : le mouvement confus devient nage, les nageoires évoluent
vers un semblant de pattes et l’être se rapproche de la surface jusqu’à sortir
la tête de l’eau. Nous sommes prêt à être éblouit par ce panorama déployant les
dinosaures au faîte de leur domination sur Terre. L’ensemble développe une
fascinante touche contemplative semblant vouloir reproduire le sentiment de
grand livre d’images accompagnant les tranches de vie de ces êtres.
Parallèlement Disney assume l’influence des œuvres pionnières de l’animation comme
Gertie le dinosaure (1914) de Winsor
McCay, du film d’aventures Le Monde perdu
(1925) porté par les effets spéciaux de Willis O’Brien dont le travail sur King Kong (1933) se ressent également
durant le combat entre un T-Rex et un stégosaure.
Cet instant impossible
géologiquement (les deux êtres auraient vécus à des millions d’années de différence)
offre un fabuleux moment de brutalité primitive dont on doit l’animation à Wolfgang
Reitherman qui en exprime magnifiquement la bestialité (dénué de tout
anthropomorphisme malvenu) et le gigantisme par son jeu sur les perspectives
puisqu'il dessina des gratte-ciel en arrière-plan pour s’aider et
qu’il effaça par la suite. Cette séquence fit naître nombre de vocations et
contribua à la popularité jamais démentie depuis des dinosaures au cinéma.
La Pastorale de
Beethoven
Cette séquence est une des plus controversée de Fantasia. Sa pré-production fut entamée
avec comme base musicale Cydalise et le
Chèvre-pied de Gabriel Pierné et plus précisément la partie l'Entrée des petits faunes. Une musique
parfaitement adaptée à l’illustration amusée de la mythologie grecque. Peu
satisfait du rendu, Walt Disney changera donc de morceau pour choisir La Pastorale soit la sixième symphonie
de Beethoven. Cette œuvre est une ode à la nature et à la vie rurale dont l’accompagnement
sur une vision décalée des dieux grecs fit hurler les puristes.
Sur le fond la
fusion est effectivement contre nature et on imagine les complications des
animateurs pour s’adapter à cette bande son différente mais à l’image cela
fonctionne pour cette balade au pied du Mont Olympe dont la progression suit
magistralement les cinq mouvements de la symphonie de Beethoven. La majesté de
ce décorum mythologique évoque l’Art Nouveau dans les lignes courbes des
montagnes, des nuages et des arbres.
Cette rondeur accompagne aussi le
bestiaire mythologique, les chevaux ailés, les faunes et les cupidons arborant
une allure enfantine bienveillante. On retrouve là une volonté de « disneyisation »
visant à l’accessibilité plus qu’à l’édulcoration mais néanmoins tout vise à
rendre ce monde mythologique plus cartoonesque. Les centaures perdent de leur
virilité par rapport à l’idée que l’on se fait de ces créatures (mais également
des premiers concepts des artistes allant dans ce sens), Bacchus devient un
être bien plus bouffon et l’on retrouve un charmant décalage avec les premières
tentatives de vol d’un tout jeune pégase ayant du mal à suivre ses aînés. Les couleurs
pastel ajoutent encore à cette douceur où les touches piquantes ne sont pas
exclues. On pense aux fesses rebondies de ce Cupidon finissant par former un cœur,
la création des « centaurettes » apparaissant seins nus (même si vite
recouverte par des fleurs) et véhiculant un érotisme lascif ainsi que la
séduction équivoque avec les centaures.
La manifestation des pouvoirs des dieux
fonctionne sur ce même filtre. Zeus et Vulcain surgissent des nuages de l’Olympe
pour faire tonner un tumulte ténébreux dans cette élégie mais l’on ne retient
que l’aspect ludique de cette démonstration de force. L’animation d’Art Babitt
donne un trait amusé aux dieux et leurs facéties sont plus synonymes de gags
envers le malheureux Bacchus, la puissance céleste fonctionnant plus pour s’amuser
des inférieurs que pour les châtier. Un charmant aparté et une preuve qu’aucune
idée ne se perd au sein de Disney puisque tout la folie du futur Hercule (1997) et sa mythologie
débridée sont déjà contenus ici.
La Danse des heures d'Amilcare
Ponchielli
Une certaine facétie essayait de ponctuer tous les autres
segments quels que soient les thèmes évoqués et cette volonté explose dans
cette séquence purement humoristique. L’œuvre sautillante de Ponchielli sert
une description du défilé des heures dont l’esthétique varie au gré de ce
passage du temps. L’ensemble de la séquence constitue à la fois un clin d’œil aux
dessins animé plus délirants de la Warner mais aussi d’un point de vue musical
un hommage décalé au ballet. Ce sont les animaux censément les plus disgracieux
qui serviront cet hommage en quatre parties : le Matin avec les autruches,
l'Après-midi avec les hippopotames, le Soir avec les éléphants et la Nuit avec
les crocodiles. Le mouvement brinquebalant des autruches obéit à un motif
vertical (obéissant à leur morphologie) et horizontal dans l’architecture du
décor, avec un découpage tout en ellipse heurtée, le décalage créant l’effet
comique alors que les oiseaux déploient réellement une chorégraphie calquée sur
le ballet russe.
Les danseurs Roman Jasinski (les éléphants), Tatiana Riabouchinska
(l’hippopotame) et Irina Baranova (pour les autruches) servirent ainsi de
modèles aux animateurs. L’anthropomorphisme servait un côté plus mignon que
comique dans Blanche-Neige et les Sept
Nains (1937) et Pinocchio (1940)
ce qui marque un vrai changement dont Walt Disney aura puisé l’inspiration dans
les œuvres de l’artiste allemand Heinrich Kley qui le fascinaient. Après la
gestuelle chaotique des autruches, c’est des attitudes maniérées des
hippopotames que naîtra l’effet comique. La première apparition de l’hippopotame
en chef surgissant d’une fontaine est une parodie d’une scène identique de The Goldwyn Follies (1938) dont est
repris le décor et les poses de sa danseuse Vera Zorina.
L’animateur Norman
Ferguson, spécialiste de la caricature (et à qui l’on doit l’allure des fourbes
Chat et Renard dans Pinocchio) se
délectera durant ce segment apportant son sens de la surenchère grotesque (le
pas de deux entre le crocodile et l’hippopotame) pourtant pas dénuée de
tendresse. Les hippopotames et les éléphants auront évolués selon un motif
circulaire (après celui horizontal et vertical des autruches comme déjà dit),
le cadre restant dans des proportions identifiables tant que l’on reste dans
les heures du jour. La nuit venues et les frétillants personnages des crocodiles avec, c’est
le motif du zig zag et de la frénésie figurant leur désir dévorant qui s’amorce.
L’outrance et la folie des chorégraphies trahissent ainsi l’influence des musicals Warner et plus précisément
Busby Berkeley (influence que l’on peut d’ailleurs trouver dans les précédents
segments aussi) dont on reconnait la démesure grandiloquente. Un grain de folie
bienvenu avant une conclusion solennel et ténébreuse.
Une Nuit sur le Mont
Chauve/ Ave Maria de Modeste Moussorgski et Franz Schubert
Antinomique sur le papier, le croisement des œuvres de
Moussorgski et Schubert servent une opposition ancestrale entre le bien et le mal,
entre l’occulte et le sacré. La partition tourmentée de Moussorgski accompagne
une cauchemardesque scène de sabbat où les créatures d’outre-tombe célèbrent le
maître des ténèbres personnifié par l’image du démon de la mythologie slave Chernobog.
La saisissante mise en scène de l’impressionnante présence du démon fait toute la
force de la séquence, cette personnification du mal absolu - sans le moindre élément disgracieux et/ou moqueur dans son allure - détonant chez Disney
(et annonçant autant L’Exorciste
(1973) que La Forteresse Noire (1983)
de Michael Mann), ses mouvements lent et sa présence hiératique dominant la
véritable sarabande infernale qui le fête. Les êtres démoniaques arborent une
allure grotesque et horrifique à la fois dont les designs seront repris pour
les sbires (y compris le sinistre
vautour qu’on aperçoit) de Maléfique dans La Belle au bois dormant (1959), tout comme certaines idées d’éclairages
verdâtres se mêlant à l’obscurité pour signifier la facette de magie noire.
L'illustrateur
danois Kay Nielsen marque ce segment de son empreinte en amenant une forte
influence de l’expressionnisme allemand et notamment Faust (1926) de Murnau. On relève une mise en place quasi théâtrale,
l’apparition de Chernobog au sommet de la montagne constituant à la fois le
public, l’enseigne et la scène de ce déchaînement occulte. La réelle légende
slave qui aura inspiré Moussorski concernait d’ailleurs plutôt Svarog, dieu du
soleil mais Walt Disney aura modifié cette origine pour privilégier le
contraste ombre/lumière avec l’Ave Maria. Là encore les animateurs auront
débordé d’inventivité pour donner vie à ce cauchemar. Les spectres au contour si particulier quittant
leurs tombes pour le Mont Chauve furent filmés face à
un miroir déformant puis incrustés en surimpression à l’animation, d’autres fois
simplement crayonnés dans un effet de fusain rendant leur présence plus
terrifiantes encore.
Après les ténèbres, la lumière et la grâce immaculée de l’Ave
Maria qui offrira son lot d’image évocatrice dont celui où Chernobog referme
ses ailes. Kay Nielsen amènera des influences inattendues lors de la longue
procession finale où l’art romantique (la brume bleutée dégageant une certaine
mélancolie) côtoie les gravures japonaise d’un Hokusai dans la texture palpable
de l’image. La caméra multiplane (perfectionnée au même moment durant le
tournage de Pinocchio) arpentant la
fresque de ce décor forestier transcende la beauté de ce final magistral.
Le destin commercial sera malheureusement impitoyable en
dépit de la réussite artistique fabuleuse. RKO refusant dans un premier temps
de distribuer le film, Walt Disney en finance l’exploitation promotionnelle en
circuit limité, ce côté itinérant allant bien à l’idée de tournée de concert qu’il
souhaite conférer à l’œuvre. L’exigence technique de Fantasia (notamment la création d’un des premiers procédés stéréo
ancêtre du surround, le Fantasound source de l’exigence sonore de Stokowski)
limite les projections aux salles de spectacles ou force le studio à équiper
lui-même les salles de cinéma diffusant le film. RKO n’acceptera de le distribuer que dans une
version coupée et réduite à 88 minutes (où toutes les présentations de Deems
Taylor disparaissent) et le temps jouera contre le film.
Une longue
exploitation aurait fini par le rendre rentable, d’autant que les salles
équipée pour sa diffusion allaient en augmentant mais l’entrée en guerre des
Etats-Unis mobilisa les forces et les budgets, achevant d'en faire un échec
simultanément à Pinocchio pour les
mêmes raisons. L’idée d’un spectacle évolutif disparait aussi, toutes les idées
laissées en friches servant des décennies plus tard pour Fantasia 2000 (1999) sous la férule acharnée de Roy Disney. Au fil
des rééditions et des conditions de plus en plus optimales pour l’apprécier, Fantasia gagnera ses galons de grand
classique Disney pour enfin devenir un succès après sa restauration et édition
vidéo en 1990. Il faudra pourtant attendre les éditions dvd et Blu-ray pour l’apprécier
dans sa version intégrale (réintégrant les apartés de Deems Taylor mais
redoublées les bande sonores d’époques étant perdues) celle qui fut projetée
lors de sa tournée promotionnelle.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney
Le plus beau Disney et le plus imaginatif en ce qui me concerne, je zappe toujours les passages de l'orchestre; la Danse des Heures et son "grain de folie" m'a durablement marquée de part de son humour graphique délirant qui va crescendo comme tu le soulignes et des animaux "inhabituels" dans les dessins animés qui ajoutent au délire grandissant qui mime la parade d'amour, un grand moment.
RépondreSupprimerEt pour le coté noir de la force, mon 2e segment préféré est Une Nuit sur le Mont Chauve, l'évocation du démon et des Enfers est impressionnante, et j'imagine encore plus pour un jeune enfant qui verrait le film... La souplesse de l'animation et la rapidité de montage en font une perle maléfique, et puis ces choix de couleurs, magnifiques.
SupprimerAprès, je craque toujours lors de la danse des champignons, so cut.
Mon préféré est aussi La Nuit sur le Mont Chauve, ça devait effectivement faire son effet sur les plus jeunes. Ca prépare vraiment toute la noirceur autour de Maléfique dans La Belle au bois dormant où l'on voit tout les croquis et design qui ont été repris de Fantasia. J'aime beaucoup aussi Le Sace du printemps et La Pastorale avec sa mythologie grecque féérique et loufoque à la fois. Vraiment un des très grands Disney. Jamais vu Fantasia 2000, c'est à la hauteur du modèle ?
SupprimerOui la "drag queen" de la Belle au Bois Dormant est très réussie, chef d'oeuvre graphique aussi avec un autre style...
SupprimerFantasia 2000 ?? Je n'y pense même pas, après la vision rapide d'extraits c'était plié; alors déjà: impossible de surpasser Fantasia (c'est gravé sur mon disque dur interne, ha, ha) et puis Fantasia 2000 s'en éloigne encore plus par comparaison: il n'y a pas par exemple l'attention apportée aux ombres et reflets, qui caractérise d'ailleurs pas mal des premiers cartoons, et qui valorise aussi Fantasia.
PS: c'est "cute" et non "cut" dans le post précédent.
Aïe je lui donnerai sa chance quand même d'autant que ça recycle des idées inutilisée du premier film, ça doit valoir le coup d'oeil même par intermittence...
RépondreSupprimerhttp://www.dvdclassik.com/forum/viewtopic.php?f=23&p=2523383&sid=b5cf0e8dd5f77ce2a9d889a4a2de395e#p2523383
SupprimerHa haa ...je vois que tu vas bientôt lui donner cette chance ...et une future chronique peut-être ??
Certainement, patience ! ;-)
SupprimerMarrant, en même temps que je découvre (et suis impressionné par) ton blog, je vois que tu as récemment chroniqué ce film que je viens moi-même de mettre en ligne.
RépondreSupprimerTes informations techniques sont passionnantes. Concernant le Fantasia 2000, il n'a pour moi pas à rougir de la comparaison. J'y retrouve les mêmes ambitions, la même volonté d'exprimer la quintessence d'un art. Et si l'ensemble est inégal, je considère que c'était aussi bien le cas de son prédecesseur. Chaque spectateur aura son morceau préféré, et Fantasia 2000 propose au moins deux courts qui sont d'incontestables merveilles (je te laisse deviner lesquels). Bref, dommage de le bouder, et dommage que le film de 1940 lui fasse de l'ombre.
E.
Merci j'aime beaucoup te lire aussi sur dvdclassik, (j'avais adoré tes textes sur Dune et Small Soldiers récemment) j'ai le BR de Fantasia 2000 sous la main je vais lui donner sa chance sous peu, sûr que j'y trouverai quand même mon compte. Après on a toujours nos préférences mais globalement j'avais été impressionné par l'ensemble de Fantasia de belles trouvailles, une atmoshère et folie propre dans chaque segment. Et c'est étonnant comme d'autres classiques futurs Disney y ont puisés, je retrouve beaucoup du Hercule produit plus de 50 ans plus tard dans La Pastorale et sa mythologie grecque farfelue.
RépondreSupprimerTon blog a l'air très bien aussi (hop je l'ajoute à ma liste) beau dossier Disney d'ailleurs je vois que tu évoques l'excellent bouquin "Le Royaume enchanté" explorant les coulisses tumultueuses du studio. J'en avait parlé aussi ici su le blog
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2012/08/le-royaume-enchante-james-b-stewart.html
Oui, c'est décembre, c'est Disney !
SupprimerE.
Un magnifique dessin animé, ma séquence préférée étant bien sûr celle avec Mickey^^
RépondreSupprimersi tu es intéressé par les courts métrages Disney, je t'invite à visiter mon site : http://tresorsdisney.blogspot.com tu pourras y trouver plusieurs anecdotes et tous les détails sur la réalisation, la sortie, les critiques de l'époque... sur les cartoons de Mickey, Donald, Dingo, Silly Symphonies, etc.. à bientôt !!
Vincent
Carrément intéréssé aussi ar les courts ton site à l'air passionnant et fourni là dessus je vais explorer tout ça oui merci !
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