En 1872, Isabel
Archer, une jeune Américaine, va rendre visite à ses cousins anglais, les
Touchett. Elle les surprend par sa liberté de ton et, surtout, par son esprit
indépendant. C'est ainsi qu'elle refuse successivement les propositions de
mariage pourtant financièrement fort avantageuses de lord Warburton et de
Caspar Goodwood, un richissime admirateur qui a traversé l'Atlantique pour
déposer son amour et sa fortune à ses pieds. Isabel a d'autres centres
d'intérêt. Elle ne comprend pas très bien Serena Merle, une belle compatriote
qu'elle a rencontrée chez monsieur Touchett, mais tombe sous le charme de sa
grâce et de son élégance. A la mort de monsieur Touchett, le fils du défunt,
Ralph, a soin de léguer à Isabel une confortable rente...
Portrait de femme
est une œuvre mal-aimée dans la filmographie de Jane Campion puisque souffrant
de succéder au célébré La Leçon de Piano
(1993) qui lui valut tous les honneurs dont une Palme d’Or. Cette adaptation d’un
classique d’Henry James prend en effet à rebrousse-poil par son austérité ceux
qui avait été envouté par la flamboyance romanesque de La Leçon de Piano. Ce contrepoint n’est pas seulement visuel mais
narratif tout en prolongeant les préoccupations féministes de la réalisatrice
qui donne un pendant négatif d’une trame finalement assez voisine de son
classique de 1993. Dans La Leçon de Piano,
une jeune femme à la fois engoncée dans une prison mentale (celle de son
handicap) et sociale (celle de l’autorité de son mari) parvient à s’en échapper
par son éveil à l’amour et au plaisir des sens. Portrait de femme donne l’illusion à son héroïne Isabel Archer d’effectuer
la même fuite mais au contraire elle forgera sa propre prison en pensant
exprimer un libre arbitre.
Jane Campion tisse ce basculement avec subtilité, restant en
cela fidèle au roman où tout reposait sur le non-dit, la manipulation et le
duel psychologique. Henry James faisait en partie reposer le livre (et nombre
de ses classiques de l’époque) sur une sorte d’antagonisme entre l’Ancien et le
Nouveau Monde, soit la vieille Europe et les Etats-Unis. La fougue et la
modernité du Nouveau Monde se confronte ainsi souvent aux mœurs archaïques et à
la corruption de l’Ancien Monde, ici avec la pétillante Isabel Archer dont le
caractère indomptable va insidieusement se soumettre. Jane Campion dans son
adaptation atténue cette thématique très rattachée au contexte de parution du
livre pour un questionnement plus universel sur le désir féminin. Alors que la
peur d’Henry James de l’acte charnel fait essentiellement reposer les errements
d’Isabel sur son orgueil, sa jeunesse et ses erreurs de jugement, Jane Campion
y ajoute ainsi le désir. C’est la différence fondamentale d’une trame très fidèle
à son équivalent papier, manifeste dès la scène où elle éconduit son prétendant
bostonien Casper Goodwood (Viggo Mortensen).
Alors que dans le livre elle
fondait en larmes après ce douloureux entretien (signe de ces sentiments
indéfinis envers Goodwood), elle fantasme ici être possédée par les différentes
figures masculines du récit avant d’interrompre brutalement ce songe. La nature
rêveuse et romantique d’Isabel ce révèle en cet instant et explique à quel
point aucun de ses prétendants n’est digne d’elle puisqu’ils cherchent trop
ouvertement à la dominer, tout en étant trahis par leurs sentiments pour elle. Lord
Warburton (Richard E. Grant) ne s’affirme qu’à travers ses possessions, Casper
Goodwood que par sa présence virile et autoritaire - aspect légerement perdu avec
le choix d’un Viggo Mortensen encore un peu tendre - et Ralph Touchett (Martin
Donovan), cousin et complice idéal préfère rester observateur et exercer
secrètement son influence. Désormais riche héritière et libre de ses
aspirations, Isabel fuit donc ces entraves potentielles et trop explicites mais
ne saura répondre à celle plus vicieuse représentée par Madame Merle (Barbara
Hershey) et Gilbert Osmond (John Malkovich).
Jane Campion inverse brillamment le propos de La Leçon de Piano, l’ouverture au monde
qui se conjuguait à l'éveil au sens pour Ida s’inversant pour forger la cage
dorée d’Isabel et assombrir son horizon. Sans le sou, Gilbert Osmond n’a donc
que son raffinement et sa présence sensuelle à proposer, ce qui suffira
amplement face à l’inexpérience d’Isabel. L’amour s’exprimera alors dans un
rapport dominant/dominé que Jane Campion exprime en plusieurs temps. Chacun des
prétendants se verra repoussé par Isabel par les choix de mise en scène (chaque
échange se faisant en champs contre champ sans les inclure ensemble dans le
cadre) ou par un plus explicite mouvement de recul de l’héroïne.
Grisés par
leur passion, ils auront tentés de s’imposer à Isabel et la « posséder »
de force par des atouts artificiels. Même animé de noble motifs en tentant de
la mettre en garde, Ralph Touchett (excellent Martin Donovan dont la complicité
avec Nicole Kidman est exprimée avec une grande justesse) subira le même
traitement, repoussé au fond du cadre lors d’une rencontre marquant leur rupture dans l’étable. John
Malkovich simplifie grandement l’Osmond bien plus sophistiqué du livre pour en
accentuer la présence animale et féline.
Sous une modestie de façade, il s’immisce ainsi dans l’esprit d’Isabel, la laissant se rapprocher pour mieux l’engloutir. La rencontre dans le Forum Romain illustre parfaitement cette idée. Osmond s’y déclare tout en modestie, n’attendant rien en retour de son amour et incitant Isabel à vivre à sa guise. Face à cet amour « désintéressé », Isabel est démunie et laisse Osmond s’introduire dans son espace, la séquence démarrant avec la même séparation que les autres figures masculines pour se conclure par un baiser fougueux qu’Isabel ne repousse pas. Le « mal » de la passion est désormais en germe, à cette première scène d’amour réelle s’ajoutant les fantasmes d’Isabel - et où Jane Campion peut retrouver un court instant sa veine plus expérimentale - désormais figés sur le seul Osmond et plus sur un désir plus incertain. Là encore la réalisatrice propose un envers troublant à La Leçon de Piano où Sam Neil perdait définitivement Holly Hunter en l’isolant par la force alors que le jeu érotique autour de l’instrument permettait à Harvey Keitel de gagner son cœur. Pour Jane Campion la femme est un être passionné mais pas à l’abri des désillusions face à l’objet de son affection pour lequel elle sera prête à tous les sacrifices.
Sous une modestie de façade, il s’immisce ainsi dans l’esprit d’Isabel, la laissant se rapprocher pour mieux l’engloutir. La rencontre dans le Forum Romain illustre parfaitement cette idée. Osmond s’y déclare tout en modestie, n’attendant rien en retour de son amour et incitant Isabel à vivre à sa guise. Face à cet amour « désintéressé », Isabel est démunie et laisse Osmond s’introduire dans son espace, la séquence démarrant avec la même séparation que les autres figures masculines pour se conclure par un baiser fougueux qu’Isabel ne repousse pas. Le « mal » de la passion est désormais en germe, à cette première scène d’amour réelle s’ajoutant les fantasmes d’Isabel - et où Jane Campion peut retrouver un court instant sa veine plus expérimentale - désormais figés sur le seul Osmond et plus sur un désir plus incertain. Là encore la réalisatrice propose un envers troublant à La Leçon de Piano où Sam Neil perdait définitivement Holly Hunter en l’isolant par la force alors que le jeu érotique autour de l’instrument permettait à Harvey Keitel de gagner son cœur. Pour Jane Campion la femme est un être passionné mais pas à l’abri des désillusions face à l’objet de son affection pour lequel elle sera prête à tous les sacrifices.
C’est une idée qui s’étend au-delà même d’Isabel avec le
personnage de Madame Merle qui, aussi trouble et manipulateur soit-il, agit
également au service de celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Barbara Hershey
affirme ainsi un jeu fascinant entre duperie et sincérité. Portrait de femme offre une étude de caractère glaçante où l’indéniable
beauté formelle ne peut être qu’oppressante, faisant à tort accuser le film d’académisme
à sa sortie car loin des envolées de La
Leçon de Piano. La photo de Stuart
Dryburgh dilue dans un filtre diaphane les couleurs et la cadre ensoleillé de
Florence, et fige dans des teintes bleutées les séquences anglaises. La
reconstitution somptueuse n’est qu’un joli apparat de la geôle d’Isabel, la
magnificence de la demeure romaine n’étant plus que le cadre de l’hostilité
mutuelle des époux. Ce qui se dévoilait en filigrane s’affirme désormais par
effet de loupe dans les rapports régissant cette Europe corrompue où la femme
sera toujours la victime.
La jeune Pansy (Valentina Cervi) sera ainsi le jouet
des ambitions de son père au détriment de ses sentiments, mais aussi le symbole
d’une soumission féminine façonnée à la source. Jusque-là considéré comme
Madame Tom Cruise en dépit de prestation intéressante dans des films mineurs
(le thriller Malice notamment) Nicole Kidman débute réellement son ascension
avec ce rôle qui suit déjà sa mémorable composition dans Prête à tout (1995) de Gus Van Sant. Ardente et figée, aventureuse
et conventionnelle, elle exprime avec une flamme rare toutes les contradictions
d’Isabel Archer. Elle incarne à merveille la vision de Jane Campion lors des
scènes où elle est malmenée par Osmond dont cet incroyable instant où la
douleur et un désir intact pour l’époux indigne malgré l’humiliation se
disputent dans des émotions confuses. Cette confusion fait d’ailleurs retrouver
sa dimension indécise à ce désir.
Les adieux passionnés et marqués de regrets
par un baiser tout sauf fraternels pour Ralph Touchett (excellent Martin
Donovan) dans ses derniers instants et le bref moment d’abandon avec Casper
Goodwood lors du final marquent ainsi l’incertitude d’Isabel Archer. Etre une
femme accomplie et céder à ses désirs condamne à la soumission, s’en libérer
pour être soi-même à la solitude. Tel est l’interrogation d’Isabel dans une
dernière image où elle hésite à se réfugier dans la maison et revenir sur ses
pas.
L’environnement sauvage de La Leçon
de Piano (ou Holy Smoke dans son film suivant) autorisait l’émancipation
charnelle et sociale, le cadre sclérosé et régit de code d Portrait de femme semble l’interdire. Le lecteur d’Henry James
tiquera certes sur quelques manques et personnages grossièrement esquissés (Mme
Touchett sans doute à cause de la mésentente avec Shelley Winters que l’on
devine dans le making-off, Henrietta Stackpole bien fade sous les traits de
Mary-Louise Parker) mais tout cela sera au service de choix forts et d’une
vision captivante et personnelle.
Sorti en dvd zone 2 français et récemment dans un somptueux coffret bluray consacré à Jane Campion
Merci pour cette belle analyse instructive.
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