En 1919, dans son
château situé dans la forêt des Ardennes, le comte Forbek propose à ses invités
une expérience qui doit les conduire à un état de bonheur permanent. En 1982,
le même château est devenu un collège expérimental. Un colloque de chercheurs
s'y réunit pour préciser les méthodes et moyens d'une éducation de
l'imagination. Au même moment, trois enfants s'inventent un conte moyenâgeux,
dans lequel un prince vaillant triomphe d'un tyran pour le bonheur de son
peuple.
La vie est un roman
poursuit la collaboration d’Alain Resnais avec le scénariste Jean Gruault après
Mon oncle d’Amérique (1980) - et qui
se poursuivra dans L’Amour à mort
(1984). Le réalisateur y poursuit son questionnement sur l’abandon de l’individu
dans la rêverie, qu’elle soit celle des souvenirs et des regrets (Hiroshima mon amour (1959), Je t’aime, je t’aime (1968)), de l’oubli
(L’Année dernière à Marienbad (1961))
mais aussi des méandres de l’imagination (Providence
(1977)). Le récit explore ici la quête d’une utopie à travers trois récits
enchevêtrés.
Au début du siècle, le comte Forbek (Ruggero Raimondi) nourrit
la folle ambition de plonger les hommes dans un état de bonheur permanent grâce
à une expérience les isolant du monde et une renaissance les débarrassant de
ses entraves. Il va pour ce faire construire un château dont l’esthétique
annonce l’étrangeté de l’entreprise, véritable pâtisserie médiévale surgie au
milieu de la campagne déserte. Ces mêmes lieux abritent de nos jours un collège
expérimental où va se dérouler un colloque sur les nouvelles méthodes d’éducation
visant à stimuler l’imagination des élèves. Ces nobles intentions vont être
vouées à l’échec quand les tourments bien humains viendront s’en mêler. Le ton
étrange, grandiloquent et exalté de Forbek imprègne la partie d’époque mais son
projet naît d’une douleur universelle (le traumatisme de la Première Guerre
Mondiale) et intime (sa fiancée Livia (Fanny Ardant) l’ayant quitté pour son
ami Raoul (André Dussolier)) qui l’anime d’une folie jusqu’auboutiste qui le
perdra.
L’approche semble plus légère dans la partie contemporaine, source de
joyeux marivaudage. Là aussi le prétexte d’expérimentation amusée relève de l’intime.
L’anthropologue Nora Winkle (Geraldine Chaplin) fait le pari avec son amie
Claudine (Martine Kelly) que la douce et romantique Elisabeth (Fanny Ardant)
tombera sous le charme du très farfelu Robert (Pierre Arditi). On comprendra
que c’est pour Nora un moyen d’éloigner Elisabeth du charismatique Max Guarini
(Vittorio Gassman), maître d’œuvre cabot et séducteur du colloque avec lequel
elle entretient une liaison. Le comte Forbek dissimule ses fêlures dans sa
quête du bonheur de tous, Nora ses peurs sous l’insouciance et la curiosité
anthropologue. La caractérisation des personnages et la progression du récit
semblent tirer vers ce déroulement attendu, l’excentricité séductrice de Max
semblant incompatible avec le tempérament sage d’Elisabeth à l’inverse la
tendresse que dissimule Robert sous les pitreries.
La folie de Forbek voue dès le départ son projet à l’échec
par une subtile trahison, ensuite par le ridicule de la régression qu’il impose
à ses cobayes – comme si le bonheur résidait dans la perte de conscience de soi
et du monde – puis par son ambition démesurée où disparait toute humanité
lorsqu’il se montrera indifférent à la mort d’un de ses hôtes. Alain Resnais
fait ponctuellement surgir chez ses personnages une fantaisie affranchie de
cette approche trop calculée, notamment par des passages chantés qui annoncent
son On connaît la chanson (1997). Le
côté factice et inquiétant du château dont des allures d’étrange cauchemar à la
partie d’époque. Les couleurs pastel, le contour arrondi et la texture de
biscuit des décors conçus par Jacques Saulnier illustrent une féérie anxieuse
que la photo de Bruno Nuytten rend d’autant plus inquiétante. C’est comme si le
conte était vu à travers le regard d’un esprit malade, celui de Forbek. La
partie contemporaine dissimule au contraire sa noirceur sous le ton amusé et
sautillant. C’est par le dialogue que Resnais amène les dissonances lorsque les
oppositions idéologiques suscitent le conflit parmi les membres du colloque.
L’hypocrisie
et la jalousie de Nora nourrissent les interactions des personnages, semblant
artificiellement éveiller en eux les sentiments attendus (l’amorce de romance
qui se noue entre Elisabeth et Robert) et créant une cacophonie dont on ne
comprend plus la cause. Dans le passé l’attrait des hommes à se complaire dans
le malheur sera la raison de la chute à travers le très torturé personnage de
Fanny Ardant (lui aussi caché derrière un masque espiègle). Au présent c’est l’absence
de communication et la volonté de domination ordinaire qui creusera le fossé,
Resnais parvenant même à créer un drame touchant en une scène avec la
caricaturale et hautaine directrice (Véronique Silver). Resnais laisse la place
au dépit et à la mélancolie de ce qui aurait pu être pour les manipulateurs et
manipulés mais décrète en tout cas que le bonheur, que le sentiment amoureux ne
se contrôlent pas à travers l’issue tragique du passé et plus douce-amère du
présent.
Entre ces deux temporalités aura existé un imaginaire plus
libre et fou par le monde intérieur des trois enfants qui traversent le film de
leurs jeux en ignorant les adultes. Enki Bilal y contribue par ses décors plus
baroques, les éléments dessinés se superposant à l’image. La fantaisie médiévale
fantasmée par ces esprits juvéniles pas encore bridés par les contraintes de la
civilisation offre donc des visions déroutantes et magnifiques. Resnais
contredit superbement le titre de son film en affirmant dans une de ses ultimes
répliques que la vie n’est pas un roman. C’est le chemin sinueux de tous les
possibles pour les esprits indépendant où se tisse un romanesque loin des
attentes. La théâtralité à venir dans l’œuvre de Resnais se déploie déjà là.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2
C'est un film peu commenté dans la filmo de Resnais, je l'aime beaucoup. Au niveau du colloque, une scène me reste en mémoire, c'est quand tout le monde s'engueule et que l'on voit Robert Manuel (l'organisateur) se prendre la tête entre les mains, sur un fond musical chaotique, hyper fort, qui couvre tout. Et quand Walter Guarini (V.Gassman)décide de partir, R.Manuel dit: "Il s'est exclu lui-même !!" Ha ha
RépondreSupprimerEt puis c'était les tout débuts de Sabine et Pierre je crois.
Merci de cette chronique.