Pour comprendre la problématique écologique qui s’inscrira dans le
cinéma d’animation japonais à la fin des 80’s, il faut constamment faire
le lien entre culture et écologie qui sont intrinsèquement liées. Les
fondations économiques du Japon reposent sur l’agriculture et notamment
la culture du riz qui est la source des premiers échanges internationaux
au milieu du XIXe siècle. Cela amène une première révolution
industrielle qui fait basculer l’ordre politique en place de l’ère Edo
(qui restait une période de repli où les échanges se faisaient plutôt
avec les voisins asiatiques) à l’ère Meiji. On voit dans cette
transition les premiers signes d’une perte de certains préceptes de la
culture japonaise, conférant à l’ère Edo une teneur nostalgique et
romantique largement exploitée dans le
jidai geki, notamment
avec les samouraïs déchus ne pouvant plus utiliser leur sabre. Dès lors,
l’expansion du Japon depuis le début du XXe siècle se fait
essentiellement sous l’angle militaire avec l’invasion de la Corée en
1910, la Mandchourie en 1931, la Chine en 1937 et bien sûr l’attaque de
Pearl Harbor en 1941. La modernité se fait donc toujours via ce symbole
de puissance industrielle et militaire que signifient les armes, tout en
préservant une identité nationale forte qui existe par les traditions
et coutumes nationales qu’on associe encore beaucoup à la vie rurale,
l’agriculture restant le pivot économique du pays.
C’est un aspect que l’on cherchera à gommer durant l’après-guerre où cette fois la modernité et la puissance du pays doit s’exprimer par la prospérité économique (c’est le cas pour les autres pays perdant de la Deuxième Guerre Mondiale avec le miracle Italien ou l’Allemagne) et l’innovation technologique, de moins en moins sur l’agriculture dont l’imagerie évoque un Japon ancien dont la tradition est associée la vie rurale. C’est un phénomène qui verra le rétablissement spectaculaire du Japon et qui trouvera son apogée avec les Jeux Olympique de Tokyo en 1964. Tout le monde ne va pas dans le sens de cette perte d’identité et paradoxalement ce sera plutôt la jeunesse qui s’opposera à cette fuite en avant puisque trop jeunes pour avoir connu la guerre et pour qui ces symboles ne sont pas associés aux mêmes souvenirs sombres que leurs aînés. Le film
La Colline aux coquelicots (2012) de Goro Miyazaki aborde brillamment ce thème avec ces lycéens défendant leur vieux local menacé de destruction par leurs aînés incrédules qui souhaitent le remplacer par un bâtiment moderne.
Parmi cette jeune génération on trouve justement Hayao Miyazaki et Isao Takahata qui débutent leur carrière à la Toei au début des années 60 et qui seront les chantres de ces préoccupations écologiques au sein du studio Ghibli deux décennies plus tard. Cette expansion économique voit donc le Japon devenir une des 3 plus grandes puissances économiques mondiales lors des trois décennies suivantes et qui touche à sa fin à la fin des années 80 avec la Bulle immobilière. L’agriculture n’est plus le moteur de cette progression et les phénomènes annoncés à la fin des années 50 se seront concrétisés avec une population rurale passée de 37 à 27 millions début 90’s (puis 11 millions en 2011), l’envahissement du paysage urbain entrainant un manque d’espace, une chute du taux de natalité et plusieurs scandales environnementaux comme la maladie de Minamata soit une intoxication au mercure ayant duré des décennies avec le rejet d’éléments toxique dans la baie de Minamata par une entreprise pétrochimique.
C’est donc lorsque cette bulle économique touche à sa fin qu’apparaissent les premiers grands films d’animation aux préoccupations écologiques, essentiellement issus du Studio Ghibli. Le film fondateur sera
Souvenir gouttes à gouttes d’Isao Takahata qui n’est pas le premier du genre (c’est une préoccupation majeure du studio Ghibli dans toutes ses œuvres et ce dès l’inaugural
Le Château dans le ciel (1986)) mais qui est intéressant par son contexte réaliste et le fait de s’inscrire dans le phénomène du Furusato. Ce terme signifie « pays natal » en japonais, c’est aussi le titre d’une chanson traditionnelle et populaire japonaise et désigne le phénomène voyant les citadins chercher à se reconstruire par le retour sur soi dans ce pays natal rural, paisible et loin du tumulte et de la pression de la ville. L’écologie participe donc à la fois de l’intime et de la tradition par les us et coutumes qui y sont associés. Souvenir gouttes à gouttes appartient à cette veine à la fois par sa période de sortie (1991) et surtout son intrigue où une jeune citadine dépressive part en vacances à la campagne pour se reconstruire. Partagée entre ses souvenirs d’enfance et l’épanouissement présent à travers le contact de la nature et les travaux fermiers, l’héroïne associe pleinement la nostalgie et la plénitude béate associée au monde rural japonais. On aura ainsi une dimension quasi documentaire dans tout ce qui a trait aux travaux agricoles qu'effectue l’héroïne comme la cueillette des fleurs de carthame expliquée dans le détail en voix-off et jouant tout autant sur le côté ancestral de cet art.
Cette disparition des traditions et des rituels ancestraux associés au
respect de l’environnement déteint aussi sur la perpétuation du mythe et
de notre croyance en eux. C’est une fois encore Isao Takahata qui s’y attèle avec
Pompoko
(1994). Le récit nous conte l’inexorable déclin des tanukis qui sont
parmi les plus fameux Yōkai (esprits) de la mythologie japonaise,
esprits de la forêt apparaissant sous forme d’animaux mélangeant
morphologie canine et rongeur avec une figure évoquant autant le raton
laveur que le blaireau. Leur imagerie mythologique est tout autre
puisque le folklore japonais leur confère une bonhomie et un esprit
farceur qui les voit arborer ventres rebondis, testicules proéminents et
capacités de métamorphoses grâce auxquelles ils se jouent souvent des
humains. Takahata respecte toute cette imagerie dans
une trame où nos créatures vont tenter de s’opposer à une expansion
urbaine menaçant leur forêt. La résistance s’organise tant bien que mal pour
stopper l’avancée des bulldozers, les opinions divergeant entre une
pure approche guerrière et kamikaze ou alors l’emploi de la ruse afin de
vaincre l’envahisseur humain.
Cette seconde solution permet au réalisateur d’exploiter toutes les
aptitudes associées aux tanukis dans le folklore local avec un hilarant
apprentissage du don oublié de transformation pour nos héros. Takahata
ne nous perd jamais en entremêlant constamment animalité et
anthropomorphisme, mythologie et modernité (les tanukis étant friands de
nourriture humaine comme les hamburgers, se nourrissant de boissons
énergétiques pour maintenir l’effort, la concentration et l’effort que
nécessitent leurs transformations, regardant la télévision) pour nous
attacher aux créatures. Toujours dans cette volonté ludique et
pédagogique, Takahata nous offre un véritable festival
du bestiaire Yōkai où renards, serpents, lanternes de papier et autres
visions fantasmagoriques s’animent joyeusement pour la plus grande
frayeur des humains.
Ces réactions apeurées n’ont pas que des velléités comiques, elles
montrent aussi à quel point cette culture est imprégnée dans le
quotidien des Japonais au point d’ébranler pour un court moment
l’avancée du chantier. C’est justement quand cette peur s’estompera que
l’on constatera la disparition de cette tradition et culture chez les
Japonais, traduisant symboliquement la disparition annoncée des tanukis.
Déités vénérées au temps de leur splendeur, connues et respectées tant
que leur espace naturel est dominant puis finalement oubliées quand leur
existence est remise en cause voire ignorée, les tanukis sont des êtres
en sursis. Le clou sera le baroud
d’honneur des tanukis qui vont créer une illusion ramenant la ville
moderne à son état rural tel qu’il était quelques siècles plus tôt pour
un passage mélancolique et nostalgique. Dans une veine plus épique, même idée avec
Princesse Mononoké (1997) de Hayao Miyazaki
où les dieux tendent à disparaître d’un Japon médiéval de fantasy où la
modernité gagne du terrain. On voit la confrontation entre le monde
naturel et mythologique et le début de l’ère industrielle, imagerie
animiste et oppressante machinerie steampunk s’alternant à l’écran.
On
pense à ce moment hypnotique où le héros traverse la forêt et aperçoit
brièvement un Dieu-Cerf qui semble alléger ses souffrances et juste
après, arrive dans une cité industrielle fabriquant du minerai. Le ton
est la fois résigné et teinté d’un mince espoir. La cupidité des hommes
et la violence incontrôlable des animaux (ce retour à l’état animal
stupide étant causé par la perte de ce déséquilibre apporté par l’ère
industrielle) détruiront toute trace concrète de divinité dans une
conclusion apocalyptique et symbole de recommencement à la fois. L’ère
moderne et le temps des hommes sont venus et désormais l’héritage des
dieux n’a plus sa place au sein d’une entité tangible mais nous entoure
par cette nature qu’il ne faut cesser de préserver. Ce n’est pas une
problématique propre au seul Japon (
Excalibur (1981) de John Boorman aura creusé le même sillon écolo et mythologique) mais Miyazaki lui donne une flamboyante interprétation.
Les films Ghibli ont véritablement créés un sous-genre avec ces films mêlant l’intime, l’écologie et le fantastique pour de nombreux avatar très réussis durant les années suivantes (
Un été avec Coo (2007) de Keichi Hara,
Lettre à Momo (2011) de Hiroyuki Okiura) mais calquant finalement trop le modèle original qu’est Souvenirs gouttes à gouttes. Un film se détachera pourtant pour donner un nouveau souffle à ces questionnements car s’inscrivant dans les problématiques contemporaines du Japon. Le problème écologique revient au cœur des préoccupations avec la catastrophe de Fukushima en 2011. Comme si la menace avait réveillé une forme d’instinct de survie, de volonté de s’inscrire dans le futur malgré cette épée de Damoclès, le taux de natalité en berne (1,26 enfant par femme en 2005, 1,32 en 2007) est remonté en 2012 avec 2000 naissance de plus qu’en 2007. C’est comme si les japonais continuaient à garder espoir pour le futur et que la catastrophe avait renforcée cela, confirmant la capacité du peuple à se relever après le rétablissement de l’après-guerre.
Les Enfants Loups (2012) de Mamoru Hosoda symbolise parfaitement cette évolution, reprenant de manière novatrice les préceptes des œuvres précédemment évoquées.
Le film est dépourvu de la facette nostalgique des films précédents et s’inscrit dans l’intime par un thème tourné vers l’avenir et la descendance. Les figures mythologiques ne sont plus des vestiges du passé mais de jeunes enfants ayant hérité du don de se transformer en loups. On retrouve cette dimension de Furusato car l’intrigue se déroule dans la région natale du réalisateur, non pas pour un retour sur soi mais pour poser les jalons du futur. Les passages classiques faisant découvrir à l'héroïne/mère de famille les rigueurs de la vie rurale avec une scène de semailles servent un enjeu concret, nourrir ses enfants. Les forces de la nature ne sont plus attachées à un passé légendaire et/ou nostalgique, ne guérissent plus seulement les plaies des adultes mais participent à l’éducation et l’épanouissement des jeunes enfants. Hosoda rattache donc constamment tout au long du récit l’imagerie contemplative de cette nature à ce thème de l’éducation, de manière amusée (la mère enseignant aux enfants à ne pas se transformer en public) puis profondément dramatique avec le passage de l’enfance à l’adolescence plus tourmentée et enfin l’âge adulte où nature et civilisation se complètent dans le choix de vie des enfants. On voit bien que c'est là l'aboutissement contemporain des autres films en montrant l'accomplissement de soi dans une notion plus collective de famille, tournée vers l’avenir et auquel contribue l'épanouissement dans cette campagne dont le style de vie et la dimension folklorique/mythologique s’inscrivent dans le présent.
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