Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 8 septembre 2024

Confidentiel - Marché sexuel des filles - (Maruhi) shikijô mesu ichiba, Noboru Tanaka (1974)


 Prostituée de dix-neuf ans au caractère bien trempé, Tome vend ses charmes dans les quartiers pauvres d’Osaka. Elle vit avec sa mère, qui exerce la même profession qu’elle, et son frère handicapé mental, seul être qui compte réellement à ses yeux. Afin de ne dépendre de personne, Tome prend la décision de travailler à son compte. Elle va pour cela devoir faire face aux menaces des souteneurs et de la concurrence…

Confidentiel - Marché sexuel est une œuvre s’inscrivant dans le courant du Roman Porno, productions érotiques du studio Nikkatsu qui entama ce virage à l’orée des années 70 afin d’enrayer la crise de spectateurs. Cependant, le choix du noir et blanc, la veine austère et arty du film rappelle davantage le cinéma Pink, première vague érotique du cinéma japonais des années 60 qui était plus explicitement politisée et expérimentale sous la férule de cinéaste comme Koji Wakamatsu, Masao Adachi… Noboru Tanaka, qui débuta au sein de Nikkatsu en tant qu’assistant de quelques fameux francs-tireurs tel Seijun Suzuki ou Shohei Immamura, se situe en partie dans ce sillage. Néanmoins, si la forme diffère de ses films les plus célèbres au sein du studio, pour le fond Tanaka fait montre d’un grand intérêt pour la condition féminine et notamment la figure de la prostituée. Le réalisateur apparaît comme une continuité d’un Mizoguchi par exemple, mais Confidentiel est aussi par son regard social une manière de poursuivre l’image rebelle et anticonformiste que pouvait avoir la prostituée dans le Japon d’après-guerre.

Le film joue constamment sur ces deux tableaux, la prostituée apparaissant à la fois comme un être brutalisé sous le joug des hommes dans une pure touche mélodramatique, mais aussi une marginale libre de ses choix, loin des carcans de la société capitaliste. Le casting du film représente un peu ces directions contradictoires. Meika Seiri incarnant Tome, l’héroïne farouche, traîne un passé sulfureux puisqu’avant d’entamer sa carrière d’actrice (dans du cinéma érotique ou des productions plus célébrées comme Le Cimetière de la morale de Kinji Fukasaku L’Empire des sens de Nagisa Oshima), elle fut une réelle travailleuse du sexe et hôtesse de bar. Malgré son jeune âge, elle dégage un certain vécu et quelque chose de précocement abimé qui fait transpirer une vraie authenticité à son personnage. A l’inverse Genshu Hanayagi jouant la mère de Tome est une intellectuelle et militante féministe célèbre au Japon. 

Dans le cadre du récit, Tome tente dans son activité de prostituée de s’affranchir de la tutelle des hommes et de ne pas avoir de proxénète, malgré l’insistance violente de certains à occuper cette position. Cette soumission apparaît au contraire comme une fatalité et un conditionnement social pour d’autres femmes, telle la mère de Tome ou Fumie (Junko Miyashita). La première s’avilit par pur dévotion à un amant qui la trompe, et Fumie ne semble pouvoir exister sans que l’autorité passive ou violente d’un homme s’impose à elle. Le traitement des scènes de sexe par Tanaka est en adéquation avec cette caractérisation. Tome s’y montre passive, détachée et ne semble qu’effectuer froidement son « métier », sa mère est au contraire la plus active et agitée pour satisfaire son client, alors que Fumie est plus ambigüe en subissant totalement les assauts masculins tout en y trouvant un plaisir discutable résultat de ce conditionnement - ambiguïté que prolongera brillamment l'actrice Junko Miyashita dans d'autres rôles chez Tanaka comme La Véritable histoire d'Abe Sada (1975), Bondage (1977), La Femme aux cheveux rouges (1979). 

L’histoire se déroule à Osaka et plus précisément dans le quartier de Naniwa, refuge des marginaux et populations démunies dont les burakumin et Zainichi coréens. Le noir et blanc dominant l’ensemble du film semble donc représenter l’impasse sociale de cet environnement pour les personnages féminins, qu’ils assument ou subissent leur condition. On pense à la réflexion qu’eut un Ettore Scola quand il réalisa son célèbre Affreux, sales et méchants (1976), à savoir que la dégénérescence d’un environnement déteint naturellement sur ses habitants et les entraînes dans un mimétisme, une spirale d’avilissement difficilement surmontable. Cela s’observe ici par la promiscuité sexuelle dérangeante, les relents d’inceste au sein de la cellule familiale, et la rivalité mère/fille tant charnelle que professionnelle où l’amant et le client s’intervertissent entre elles. Tanaka renoue ainsi avec la boussole morale incertaine d’un Shohei Imamura dont les personnages étaient tout autant affranchis des codes de bienséance dans des œuvres comme La Femme insecte (1963) ou Profond désir des dieux (1968).

S’il ne montre pas le pan presque joyeux de ces métiers du sexe comme il pouvait le faire dans son Nuits félines à Shinjuku (1972), Noboru Tanaka montre néanmoins que la condition de ses personnages repose autant sur des maux sociétaux (sexisme et conditionnement évoqués plus haut) qui sur une marginalité assumée. Lorsque le film passe en couleur durant les dernières minutes, c’est pour montrer un aperçu de la vie urgente, moderne et « normée » que représente l’urbanité plus opulente d’Osaka.

Cet instantané de réalité rappelle justement la scène finale de Nuits félines à Shinjuku montrant le décalage entre la fin de nuit des travailleuses du sexe et le début de journée des travailleurs ordinaires. Ce bref saut dans la normalité se solde par une perte tragique pour Tome, qui refuse la possibilité offerte de se fondre parmi le commun, et choisit de rester sur ses terres. Toute la dualité du propos repose d’ailleurs sur l’analogie faite plusieurs fois dans l’histoire entre la nature d’objet soumis de ces prostituées (la récurrence de la poupée gonflable), et la manière dont Tome endosse joyeusement et volontairement ce statut durant l’une des dernières scènes. 

Sorti en bluray français chez Carlotta

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