Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 24 septembre 2024

Les Saints innocents - Los santos inocentes, Mario Camus (1984)


 Paco (Alfredo Landa) et Régula (Terele Pávez) forment avec leurs trois enfants, Quirce, Nieves et Charito (la petite fille), une famille de paysans aux ordres des seigneurs de la ferme qui supportent sans se plaindre toutes sortes d'injonctions et d'humiliations. Un jour arrive Azarías (Paco Rabal), le frère handicapé de Régula, qui a été renvoyé de la ferme où il travaillait et qui décide de rejoindre la famille de sa sœur pour travailler. Ils vont devoir faire face à toutes les difficultés typiques de ce temps révolu ensemble.

Les Saints innocents est une chronique rurale comptant parmi les films les plus célébrés de Mario Camus. Parmi les chefs de file du nouveau cinéma espagnol des années 60, Mario Camus débute comme scénariste de Carlos Saura (sur Los Golfos (1960) et Balade pour un bandit (1963)) avant de se lancer à la réalisation. Tout d'abord au service des incursions cinématographiques de stars musicales comme Raphael ou Sara Montiel, il va par la suite se spécialiser dans l'adaptation littéraire prestigieuse. Il s'attèle ainsi à l'œuvre de Camilo J. Cela avec La Ruche (1982) ou García Lorca sur La Maison de Bernarda Alba (1987), comptant parmi ses œuvres les plus reconnues. Les Saints innocents s'inscrit dans ce cycle en adaptant le roman éponyme de Miguel Delibes. Cet auteur, appartenant au mouvement littéraire espagnol de la Génération de 36, se caractérise par son amour de la nature et du monde rural, cadre de plusieurs de ses romans se déroulant souvent en Castille. Cet arrière-plan sert une vision humaniste qui lui vaudra quelques démêlées avec la censure franquiste. Mario Camus signe une œuvre totalement dans cet esprit avec une poignante chronique familiale.

Le récit sera fait de vas et vient entre un présent douloureux où tout semble perdu, et un passé plus heureux dont les soubresauts vont nous faire comprendre les conséquences pour une famille de paysan. Un des premiers chocs consistera à déterminer le cadre temporel de l'histoire. Les conditions de vie misérables de la famille laissent croire à une période assez reculée, avant que quelques indices (présence de la télévision, modèle de voiture) nous fassent finalement comprendre que l'on se situe au début des années 60. Le degré de servitude des paysans a pourtant quelque chose de profondément médiéval, tant dans l'illettrisme de ces derniers que par l'ascendant d'un autre âge que les maîtres ont sur eux. Chaque segment du récit correspond à un membre de la famille et témoigne d'une facette de cette injustice. Le passage de la pure précarité à un très relatif confort est suspendu au bon vouloir des maîtres terriens, ce dont vont initialement bénéficier Paco (Alfredo Landa), Régula (Terele Pávez) et leurs trois enfants. 

Cette "promotion" est dû au talent de Paco comme guide permettant au seigneur Ivan (Juan Diego) de parader face aux autres propriétaires lors des parties de chasse. Le conditionnement à la servitude s'observe avec Azarias (Francisco Rabal), frère attardé de Regula, congédié de la ferme dans laquelle il a vécu toute sa vie alors qu'il est désormais un vieillard. La reconnaissance pour le temps passé et les services rendus est absente, l'excentricité et la sénilité du vieillard devenant prétexte à rejet une fois exploitée l'ensemble de ses ressources physiques. Francesco Rabal est fabuleux dans le rôle, cette naïveté et candeur enfantine lui faisant tout endurer et ressentir une vraie harmonie avec la nature. L'amitié qu'il va nouer avec une grive qu'il a apprivoisé, l'amour qu'il exprime pour la cadette handicapée (Susana Sánchez) de la famille, expriment un rapport au monde différent, une empathie renforcée par le dénuement et son intellect limité.

Mario Camus compose de superbes images pastorales de ces paysages castillans, travaillant de belles nuances chromatiques et naturalistes dans une atmosphère estivale. Cette beauté est contrebalancée par les évènements révoltants qui s'y déroulent. Paco fait la fierté de son seigneur sur le terrain de chasse, en s'assimilant malgré lui à un chien pour pister un gibier, séquence où l'on s'attendrait presque à voir le maître caresser la tête de sa bête. Lorsqu'une blessure l'empêchera de poursuivre cette tâche, la seule préoccupation d'Ivan sera la victoire compromise pour la prochaine partie de chasse plutôt que la souffrance de son employé. Camus joue d'ailleurs de cette servitude sur plusieurs strates, à l'avilissement primaire des espaces extérieurs répondant celui plus sournois des intérieurs lorsque Ivan va "consommer" l'épouse de son contremaître, celui-ci pas dupe mais pas en position de se rebeller. Les intérieurs justement joue sur un travail subtil de jeu d'ombres, d'expressionnisme dans la description des mansardes, renvoyant à tout un pan de la peinture espagnole du XXe siècle dépeignant la paysannerie castillane comme les tableaux de Ignacio Zuloaga.

L'approche sobre de Mario Camus n'appuie jamais ses effets, ne versant pas dans le mélo appuyé même pour dépeindre les situations les plus abjectes. Même la révolte se fait silencieuse avec l'observation distante et taciturne des deux enfants dont l'émancipation se fera par l'éloignement de ces lieux, chose impossible pour leurs parents trop conditionnés, âgés et brisés par la vie pour entrevoir un autre horizon que la servitude.

Sorti en dvd zone 2 français chez KarmaFilms

 

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