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mardi 17 septembre 2024

Le Boucher - Claude Chabrol (1970)


 Dans un village du Périgord, la vie quotidienne des habitants cesse brusquement d'être tranquille. Des femmes sont égorgées. Par qui ? Le boucher, qui a fait les guerres d'Indochine et d'Algérie, semble devenir le suspect numéro un aux yeux de la directrice d'école, qui ressentait pour lui de tendres sentiments. 

Claude Chabrol signe avec Le Boucher un des sommets de son cycle "pompidolien". On retrouve ici les motifs des précédents films, l'envers de la paisible imagerie provinciale, la dimension criminelle, mais sous un jour plus trouble encore. La Femme infidèle (1969) ou Que la bête meure (1969) étaient des œuvres subtiles mais lisibles dans la manière dont Chabrol y déployait son dispositif. L'attaque du vernis bourgeois était explicite et l'ambiguïté régnait dans le fossé développé entre le point de vue des personnages et ce que Chabrol en laissait peu à peu réellement ressortir, le mépris de classe du héros vengeur de Que la bête meure, la flamme amoureuse renaissante du couple de La Femme infidèle sous le crime et l'adultère. Cela n'est pas aussi clair dans Le Boucher et d'autant plus fascinant.

Il est de nouveau question de différence de classe ici, à travers la relation nouée entre Hélène (Stéphane Audran) et "Popaul" (Jean Yanne), respectivement institutrice et boucher dans un petit village du Périgord. Un lien amical se noue le temps d'une table partagée durant un mariage, et les incite à se fréquenter plus souvent. Hélène par sa beauté et son allure élégante dégage une légèreté, une modernité qui dénote dans ce cadre provincial, mais surtout face à "Popaul". Quand Hélène semble avoir apporté d'un ailleurs "parisien" sa tranquille assurance, Popaul semble au contraire auréolé d'une lourdeur qui l'ancre dans son environnement natal. Le seul ailleurs qu'il connaisse, c'est le front de guerre arpenté durant ses 15 ans à l'armée, engagement qu'il s'est senti forcé de prendre pour ne pas dénoter avec tous les jeunes du village ayant effectué ce choix. Quand Hélène ramène de l'extérieur les souvenirs d'une douloureuse histoire d'amour lui faisant éviter toute nouvelle relation sentimentale, Popaul au contraire revient avec le traumatisme des horreurs du combat, des maux qu'il espère guérir en trouvant l'affection d'une femme.

Chabrol brasse les possibilités ouvertes pour cette relation à travers la caractérisation du "couple". Lorsqu'ils arpentent la ville côte à côté, la prestance gracile d'Hélène dénote avec la démarche pataude de Popaul. Lorsqu'ils commencent à se fréquenter, les approches de Popaul se font en offrant des quartiers de viande à Hélène qui quant à elle invite son ami à des sorties au cinéma en ville. La conversation badine d'Hélène dénote avec celle plus terre à terre d'un Popaul ressassant inlassablement sa douloureuse expérience de guerre. Le village est un refuge apaisant pour la jeune femme quand il s'agit de la prolongation de sa prison mentale et sociale pour Popaul - sa remarque d'avoir toujours été boucher, formé par son père, assigné comme tel à l'armée et reprenant l'affaire familial en rentrant au village.

La romance semble à la fois palpable et impossible, l'arrière-plan presque abstrait du village et la menace qui y plane paraissant constituer un obstacle indicible. Un serial-killer s'attaque aux jeunes filles de la région, la rumeur ainsi que la ronde des voitures de police jetant un voile trouble dans la quiétude pastorale. C'est justement lors d'un des moments les plus légers, une sortie de classe, qu''Hélène se confronte à l'horreur en tombant sur un cadavre, et va sombrer dans le doute en découvrant à proximité la preuve d'une possible culpabilité de Popaul. Dès lors le visage solaire et souriant de l'institutrice se fait anxieux et opaque, Chabrol distille une atmosphère paranoïaque dans son filmage du village (vue aérienne inquiétante en plongée, ruelle déserte), la bande-son glaciale de Pierre Jansen et certains lieux familiers à la topographie dévoilée innocemment en début de film qui deviennent lourds de menaces. 

Chabrol travaille ainsi la réminiscence des instants légers initiaux qui font désormais trembler Hélène, le visage de Popaul à la fenêtre de la classe prêtait à rire puis angoisse, ses appels depuis l'extérieur de l'école illuminait le visage d'Hélène et désormais le fige. Pourtant malgré cette peur, en dépit de ses doutes, elle a bel et bien dissimulé la preuve pouvant incriminer Popaul. On retrouve ici la zone grise chère à Chabrol, où Hélène était inaccessible pour un Popaul gentil prétendant balourd, mais qui soudain avec sa face meurtrière est désormais craint et protégé par celle finalement plus confuse et ambigüe dans ses sentiments pour lui. Il y a en partie une dynamique proche de La Femme infidèle, mais quand le couple longuement marié de ce dernier se redécouvrait par ce pas de côté criminel, l'attirance, la peur et la frustration qui guide le duo Popaul/Hélène est plus insaisissable.

Stéphane Audran livre une nouvelle prestation sidérante, faussement évidente au départ avec ce personnage lumineux et détaché, avant que paradoxalement les ténèbres viennent effriter son vernis insouciant et l'exposer à des émotions complexes - sidérant moment de mise à nu lorsqu'elle font en larmes en voyant ses soupçons sur Popaul pour un temps dissipés. Jean Yanne est à rebours de ses prestations "monstrueuses" chez Chabrol ou Pialat, sa bonhomie n'exposant pas un mâle dominant et repoussant, mais au contraire un être vulnérable submergé par son passé traumatisant. C'est toute la force de Chabrol de parvenir à créer l'empathie pour lui malgré ses actes, et par extensi11on faire partager le trouble d'Hélène, amoureuse fuyante et victime apeurée. Le final tragique et l'hypnotique conclusion muette observant une Hélène figée et le regard vide au petit jour renforce cette incertitude. Quels sentiments l'animent ? Le choc, le regret ou le soulagement ? Sans doute un peu de tout cela.

Sorti en dvd zone 2 français chez Opening

 

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