Pour venger la mort de son fils, tué par un chauffard, un homme se lance sur la piste du coupable. Il parvient bientôt à retrouver sa trace et devient un intime de sa famille. L'homme se révèle un être abject haï de tous.
Que la bête meure est un des sommets de Claude Chabrol, s’inscrivant dans une des périodes les plus inspirées de la prolifique filmographie du réalisateur, puisque se plaçant entre les deux autres classiques que sont La Femme infidèle (1969) et Le Boucher (1970). Le film adapte le roman éponyme de Cecil Day-Lewis (père de Daniel D. Lewis) propose un mélange habile entre la série noire policière et la satire sociale chère à Chabrol d’une certaine bourgeoisie provinciale. Tout dans l’approche initiale du réalisateur consiste à flatter nos bas-instincts, la terrible mort victime d’un chauffard du fils de Charles Thenier (Michel Duchaussoy) étant suivit d’une forme d’empathie pour la quête de vengeance de ce dernier en adoptant la voix-off à la première personne. Ses intuitions sont les bonnes pour remonter la piste de l’automobiliste meurtrier quand la police piétine, et la destinée même place d’inattendus indice sur sa route quand il se trouvera embourbé près du lieu de passage passé de sa cible.
La voix-off issue du journal qu’écrit Charles au cours de sa quête, adopte une emphase littéraire qui contribue à en renforcer justification et la grandeur. De la jeune blonde superficielle (Caroline Cellier) qu’il devra séduire pour approcher le coupable à la sinistre famille bourgeoise de celui-ci, tout est en place pour le passage à l’acte. En effet, Paul Decourt (Jean Yanne) s’avère un véritable monstre, un tyran pour son entourage, bouffi d’une vulgarité de nouveau riche qui stimule le désir de sa mort au sein de sa propre famille. Claude Chabrol nous place volontairement dans une position presque trop confortable pour l’exécution de cette vengeance, avant de gripper progressivement sa mécanique. Cela passera par la notion de filiation, la froideur méthodique de Charles s’altérant au contact de Philippe (Marc di Napoli), le fils malmené de Paul. Chabrol travaille une forme de mimétisme entre le jeune enfant décédé de Charles et l’adolescent qu’il n’a jamais pu être, la blondeur et la coiffure renforçant ce sentiment. Au début du film, Charles interdit à quiconque d’évoquer le souvenir du disparu, ou alors d’en parler au présent comme s’il était encore vivant. Le passé heureux de cette relation père/fils brisée ne s’entrevoit qu’à travers des vidéos de famille que notre visionne seul et abattu, avant qu’une visite de la police ne le ramène à la triste réalité. Dès lors cette affection, volonté de transmission filiale ne se ressent pour Charles qu’au contact du fils de son ennemi. Un dialogue traduit d’ailleurs l’ambiguïté de ce lien, lorsque Philipe dit à Charles : « Cela me gêne de vous le dire, mais cela m’aurait fait plaisir que ce soit vous qui soyez mon père. » La réponse de Charles – « Cela me gêne de l’entendre, mais cela me fait plaisir que tu le penses » - revêt ainsi un double niveau de lecture. Notre héros est heureux d’implicitement nouer un nouveau lien filial, mais ressent les limites de sa démarche en s’apprêtant à en briser un autre, aussi espéré que soit son acte par lui et d’autres – y compris Philippe. Chabrol équilibre ainsi brillamment le drame intime et le pur thriller, inscrit les moments de tension dans une sorte de médiocrité ordinaire portée par la monstruosité franchouillarde et fascinante de Jean Yanne. Ce dernier offre un prolongement abject de la figure « d’anarchiste de droite » exploité sous une bonhomie attachante dans ses prestations scéniques et télévisuelles. Claude Chabrol contribue à cette mue dans Que la bête meure , qu’il exploitera ensuite avec Le Boucher où Yanne tient cette fois le premier rôle. Un Maurice Pialat (qui apparaît d’ailleurs ici dans un petit rôle) verra également dans l’acteur le vecteur de sa face la plus sombre en lui confiant le rôle autobiographique de Nous ne vieillirons pas ensemble (1972). Dès lors quand l’amitié de façade cède à la vraie confrontation dans la fabuleuse scène du bateau, la vilénie naturelle et détestable de Paul se heurte à celle, calculée et « justifiée » de Charles (renforcée par un mépris de classe et/ou intellectuel que stimule la "beauferie" de Paul) pour mieux les renvoyer dos à dos. Chabrol nous a ainsi brillamment préparé à l’épilogue, Charles quittant sa figure d’ange de la vengeance démiurge pour se placer se placer face au même dilemme que son ennemi : l’égoïsme jusqu’au-boutiste pour sauver sa peau ou être prêt à tout perdre pour expier sa faute -plus symbolique que concrète puisqu’il a distillé les graines du passage à l’acte sans l’avoir effectué. C’est captivant, poignant et vertigineux au-delà même de son postulat initial, un grand film.Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
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