Henri-Georges Clouzot signe une remarquable réussite dès ce
premier film, annonciateur à tous point de vue des grands classique à venir.
Clouzot avait intégré le monde du cinéma presque 10 ans plus tôt en réalisant
le court-métrage La Terreur des Batignolles
en 1931. Il acquerra par la suite une grande expérience en tant qu’assistant
sur les tournages alors courant à l’époque des versions internationales de film
(le doublage ne se démocratisant qu’au milieu des années 30) dont il
retravaille également les scripts. Cela se déroule le plus souvent en Allemagne
et plus précisément à Berlin où il aura tout le loisir d’observer quelques
maîtres au travail comme Murnau ou Fritz Lang qui constitueront des influences
majeures. Après avoir été scénariste et travaillé pour le théâtre, la suite
logique (et qui sera celle de contemporain du même âge comme Marcel Carné)
aurait été qu’il passe à son tour à la mise en scène mais son élan est stoppé
par des problèmes de santé puisqu’une tuberculose pulmonaire l’oblige à demeurer
quatre ans en sanatorium. Lorsqu’il reprendra ses activités la chance lui
sourit lorsqu’Alfred Greven (rencontré à ses débuts en Allemagne), patron de Continental-Films
lui confie la supervision des productions de la compagnie.
La plupart des
grands metteurs en scène français d’alors s’étant exilés à cause de l’Occupation
(Jean Renoir, Julien Duvivier) certains jeunes talents se voient précocement donner
leur chance, notamment au sein de Continental-Films où tout nazi qu’il soit,
Alfred Greven a un vrai amour du cinéma et produira nombres de grands
classiques du cinéma français à cette période troublée. Clouzot se voit confier
l’adaptation de Six hommes morts,
grand succès littéraire par un 1931 et signé de l’auteur policier belge Stanislas-André
Steeman. Clouzot y apporte de nombreuses modifications, notamment en y incluant
un personnage féminin avec la turbulente Mila Milou, petite ami du héros le
commissaire Wens incarnés respectivement par Suzy Delair (sa compagne d’alors)
et Pierre Fresnay (son ami). Le film réalisé par Georges Lacombe remporte un
grand succès et après le départ de ce dernier de Continental-Films, la suite
qui s’impose est confiée à Clouzot dont ce sera le premier film.
Le film adapte cette fois L'assassin
habite au 21 du même Steeman (qui coécrit le scénario) mais Clouzot, autant dans
une volonté de s’approprier le matériau que d’assurer la continuité avec Six hommes morts
va le remanier en profondeur. L’intrigue se déplace de Londres à Paris (avec le
passage de Mr Smith à Monsieur Durand pour dénommer l’insaisissable assassin),
de nombreux personnages disparaissent où fusionnent dans leur caractérisation
et surtout l’enquête est de nouveau menée par le duo Pierre Fresnay/Suzy Delair
qui reprennent leurs personnages quand dans le livre c’était le superintendant
Strickland. Dès la scène, le détonant mélange d’humour noir, de truculence et
de suspense frappe. La menace plane par la simple évocation du meurtrier
Monsieur Durand qui rode, mais désamorcé par le cadre du bistrot où fanfaronne
un gagnant de loterie éméché. Dès qu’il gagne l’extérieur, l’urbanité nocturne
et déserte (manière de signifier peut-être un quotidien d’Occupation sous
couvre-feu) dresse une atmosphère pesante qui se concrétise par une caméra
subjective nous faisant adopter le point de vue meurtrier de Monsieur Durand
qui va trucider et dépouiller sa proie tout en laissant sa carte de visite.
Après cet instant macabre on aura une séquence grinçante ou du ministre au
préfet et du chef de la police au modeste commissaire Wens (Pierre Fresnay) l’urgence
d’arrêter Monsieur Durand s’impose dans des délais toujours plus court tandis
qu’on descend dans la hiérarchie, le tout dans le mouvement avec une répétition
en travelling désamorcée par la malice de Wens (manière de déjà illustrer l’astuce
du personnage). Ce jeu constant entre drôlerie et tension fonctionne autant
chez les bons avec la truculente Suzy Delair que chez les suspects avec le
tableau corrosif fait des habitants de la pensions des Mimosas où se cache le
coupable. Le génie du Clouzot scénariste et portraitiste s’impose avec une
écriture laissant éclater les caractères excentriques des pensionnaires tout en
laisser planer des zones d’ombres les rendant tour à tour inoffensifs ou
dangereux. Le casting de seconds rôles excelle à s’emparer de chaque moment
imparti : Noel Roquevert en ancien médecin colonialiste et avorteur, Jean
Tissier en illusionniste roublard, Pierre Larquey en artisan médisant ou encore
Marc Natol en majordome siffleur.
Plus le film avance plus ce grand écart entre
grotesque et suspense s’accentue (parfois au sein de la même scène avec Pierre
Larquey coupable car il a les pieds sales), moments triviaux (Suzy Delair
perçant les boutons de Pierre Fresnay) alternant avec le thriller le plus
redoutable. Les influences de Clouzot n’auront jamais été plus visibles que sur
ce galop d’essai avec l’expressionnisme allemand lors des scènes d’interrogatoires,
mais la suite s’annonce aussi avec un gout pour le macabre (le cadavre
poignardé retrouvé dans la baignoire) et l’onirisme qu’on retrouvera entre
autre dans Les Diaboliques
(1955) ou Manon
(1949).
Cela se manifeste aussi dans les thématiques, le climat de paranoïa,
suspicion et délation reflet de la France d’alors perdant de son ton rigolard
dès le polémique et sinistre Le Corbeau (1943)
qui suivra. Pour l’heure c’est le divertissant jeu de piste qui domine, nous
amusant avec une Suzy Delair à l’énergie et gouaille contagieuse, et un plaisir
de la narration jubilatoire qui culmine avec un renversement final rondement
mené.
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Gaumont
J'aime mieux Quai des orfèvres, je dois dire. Mais Pierre Fresnay! qui résiste?
RépondreSupprimerJe préfère Quai des brumes aussi mais celui-ci pose plutôt bien les jalons de la suite de sa filmo ;-)
RépondreSupprimerQuelle coïncidence! Je l'ai commencé ce week sur Hulu! Je vais le revoir en entier cette fois-ci. Suzy Delair déménage! J'attends ta critique de Star Wars et du Corbeau!
RépondreSupprimerLe Star Wars ce n'est pas prévu pour l'instant mais Le Corbeau ça devrait le faire oui ça manque sur le blog !
RépondreSupprimerJ’adore ce film. Je recherche les affiches originales des films produits pas la Continental films. Connaissez vous quelqu’un qui en procède ?
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