Dans le sud des
États-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession, le Dr King Schultz, un
chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut
l’aider à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche. Schultz
promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle –
morts ou vifs. Alors que les deux hommes pistent les dangereux criminels,
Django n’oublie pas que son seul but est de retrouver Broomhilda, sa femme,
dont il fut séparé à cause du commerce des esclaves…
Kill Bill Volume 1
et 2 (2003,2004) et leurs déluges d’influences
avaient initiés le cycle « référentiel » (ou du moins sa nature aussi
prononcée dans le contenu de ses films) de Quentin Tarantino ainsi que son
exploration du thème de la vengeance. Ce n’est pourtant qu’avec le mal-aimé
mais fascinant Boulevard de la mort
(2007) que se développerait réellement le projet filmique du réalisateur. L’idée
sera de revisiter le genre très codifié du slasher
et au sein du même récit d’en donner le déroulement classique puis l’antithèse
où les éternelles victimes féminines vont sévèrement se rebiffer contre le
serial-killer automobile incarner par Kurt Russell. Les héroïnes cinéphiles
semblaient en tirer une force supplémentaire qui leur permettait de
contrebalancer le schéma établi dans un jubilatoire élan féministe. Dès lors
Tarantino allait dans une ambition plus vaste étendre cette idée à l’échelle de
la grande Histoire dont les grandes victimes pourraient obtenir réparation par
le prisme de la puissance cinématographique. Le résultat serait le brillant Inglorious Basterds (2009), faux film de
commando et vraie revanche des juifs sur le régime nazi ou dans une uchronie
scandaleuse Hitler, Goebbels et tous les pontes du Troisième Reich étaient
sauvagement décimés durant la projection d’un film de propagande. Le film était
une vraie œuvre de vengeance jubilatoire (le sort final du SS incarné par Christopher
Waltz) tout en constituant une vraie réflexion sur la violence et esquissant
des références plus subtiles, le récurrent Sergio Leone cédant progressivement
au Ernst Lubitsch de To be or not to be
(1942).
Django Unchained
se propose de poursuivre l’entreprise en permettant cette fois aux esclaves
afro-américains d’obtenir réparation. Le film est bien sûr un clin d’œil à Django (1966) de Sergio Corbucci,
classique du western spaghetti soit un genre imprégnant l’œuvre de Tarantino (Kill Bill Volume 2 et Inglorious Basterds surtout) et dont la
brutalité imprégnera le récit. Si l’homonyme incarné par Jamie Foxx poursuit
une quête de vengeance voisine (se venger de ceux lui ayant arraché son épouse)
le fait qu’il soit afro-américain amène une autre somme d’influences puisqu’il
arborera tous les attributs du héros de blaxploitation déplacé dans un cadre de
western. La période historique abordée évite cependant d’amener de manière trop
appuyée cet aspect référentiel, Tarantino frustrant une fois de plus les
cinéphiles paresseux espérant la simple redite d’un genre emblématique (les
attentes d’un film de commando ou de slasher classique décevant les attentes
pour une proposition bien plus passionnante).
Django Unchained
est le récit de la construction d’un héros dont la dimension cinéphile
sous-jacente constituera la force. Le film se divise en deux parties définissant cela. La première est celle de l’apprentissage au côté
du mentor King Schultz (Christopher Waltz), chasseur de prime qui va délivrer l’esclave
Django car il est le seul à pouvoir identifier ses prochaines cibles. S’attachant
à son protégé, il va lui apprendre les arcanes du métier pour ensuite l’aider à
délivrer son épouse d’une sordide plantation sudiste. Django encore rustre et
intimidé y découvre ainsi la virtuosité arme poing de Schultz, son intelligence
méthodique et son art de la joute oratoire en forme d’esbroufe pour mieux duper
l’ennemi lors de péripéties hautes en couleur. Christopher Waltz offre un
pendant positif du méchant qu’il incarnait dans Inglorious Basterds, son bagout et sa truculence amenant une
facette plus attachante qu’intimidante. Le point commun serait leur nature
impitoyable dans leur métier et c’est ce qui amène un des moments pivot du
film. Guettant un des malfrats mis à prix qu’ils traquent, Django hésite à
froidement l’abattre pour la prime car celui-ci est devenu fermier et se trouve
aux côté de son jeune fils.
Schultz lui rappelle les crimes de leur cible et
que ce métier est ainsi fait de cette justice expéditive. Django s’exécute et
apprend la leçon. Tarantino aura beau entourer la vengeance d’une aura
extatique et excitante, les chemins qui y mènent sont pavés de noirceur et de
sacrifices. L’assouvissement amer de Kill
Bill 2 était là pour le rappeler et la mort du méchant « de cinéma »
de Inglorious Basterds était bien
plus savoureuse que le carnage halluciné des nazis bien réels dans la salle de
cinéma où Tarantino vengeait l’Histoire tout en renvoyant dos à dos dans la
barbarie agresseurs et agressés. La vengeance n’est jamais plus puissante
finalement que dans la quête individuelle du héros et c’est seulement là qu’il
est captivant de lui faire endosser cette revanche sur l’Histoire qui l’a
oppressé. Cette première partie intègre ainsi Django dans le monde de Schultz,
lui confère une identité et l’entoure d’une aura mythologique en l’associant à
un Siegfried moderne affrontant le dragon esclavagiste pour sauver sa
Brunehilde.
Dans cette volonté de tisser le lien mentor/élève et l’amitié
unissant Schultz et Django, Tarantino se déleste d’ailleurs de ses afféteries
narratives comme le chapitrage pour un récit linéaire qui file droit, une vraie odyssée d'un
classicisme flamboyant dans son esthétique (les intérieurs habituels du cinéastes cédant aux grands espaces américains). Le décalage n’intervient que durant
l’hilarante scène des cagoules des membres du Ku Klux Klan (la leçon de To be or not to be a été retenue, pour
dénoncer une idéologie barbare en démontrer le ridicule reste encore le moyen
le plus efficace), dans la définition de son héros encore mal dégrossi (Django
manifestant son individualité par sa tenue criarde une manière de se moquer
gentiment de l’attrait des noirs pour les tenues voyantes, blaxploitation
style) et soumis à ses émotions. La revanche envers les trois négriers apporte
pour la première fois une présence iconique à Django et laisse tonner le thème
original de Luis Bacalov issu du film de Corbucci, l’inversion s’opérant par le
dialogue (I like the way you die boy)
et les actes lorsque symboliquement il arrache le fouet pour l’abattre sur son
ennemi.
La seconde partie est un pendant inversé ou Django retrouve
désormais plus fort le monde esclavagiste et doit en enseigner les arcanes à
Schultz. Pour délivrer son aimée ils devront en effet s’acoquiner au féroce
Calvin Candie (Leonardo Di Caprio) propriétaire sudiste sournois et amateur de
mandingue (luttes d’esclaves). Django tout à son objectif sait enfin faire
preuve de froideur et d’assurance quitte à passer pour le pire des traitres à
sa race en simulant être un noir libre et négrier. Les rôles s’inversent avec
un Schultz sans états d’âmes avec ses cibles mais incapable de supporter la
barbarie des états du sud. Même s’il assume sa nature de divertissement, Django Unchained illustre avec autant
sinon plus de crudité qu’un 12 years a
slave (2013) la cruauté des
traitements infligés aux esclaves. Les scènes de mandingues ou cet esclave
évadé dévoré par les chiens sont insoutenables tout en faisant preuve d’une
retenue contrebalançant avec la violence « fun » d’autres instants du
film.
Les rires gras des traqueurs lors de la scène des chiens ou l’excitation
de gamin de Candie face au combat sanglant amènent une froide distance sur leur
désinvolture face à l’innommable. Django dont cela a constitué l’existence
serre les dents en attendant son heure tandis que ses images imprègnent
durablement Schultz. La bonhomie et la malveillance ordinaire de « l’oncle
Tom » (expression péjorative sur les noirs exagérément déférent à l’homme
blanc) Stephen (incarné par Samuel L. Jackson avec un sacré maquillage) en fait
cependant le vrai antagoniste de l’histoire. Si Candie est un effroyable
raciste se cachant sous un pseudo raffinement (voir la scène où il théorise sur
le crane d’un esclave pour définir la soumission innée des noir), Stephen est
son âme damnée, satisfait de sa position et horrifié à l’idée de voir un
congénère s’émanciper. Une figure passionnante dont Samuel L. Jackson parvient
à faire dépasser l’aspect caricatural.
Jamie Foxx est parfait dans le rôle-titre car ayant compris
le côté « work in progress » de son personnage – ce qui ne fut pas le
cas d’un Will Smith immodeste qui refusa le rôle car il trouvait Django trop
passif. En retrait, naïf et craintif au départ, trop démonstratif dans un
premier temps pour signifier son statut d’homme libre (le fameux ensemble bleu
clinquant) puis enfin taiseux, plein d’assurance et à la répartie fulgurante
une fois assumé ce statut héroïque - et surtout un amoureux éperdu, toutes les apparitions fantômatiques de Broomhilda apportant une sensibilité poignante. Tout le film aura tendu vers cette
évolution, une longue et haletante joute verbale à l’issue sanglante dont
Tarantino a le secret signifiant le passage de relai entre Schultz et Django.
Notre
héros est enfin prêt à se libérer sans son mentor dont il aura assimilé l’éloquence
trompeuse (superbe scène où il entourloupe les négriers cupide), la dextérité
arme au poing et un sens de la mise en scène qui rend le final vengeur d’autant
plus jubilatoire. Après l’élégant classicisme de la première partie (où seules
les gerbes de sang,les trognes, la saleté et quelques zooms agressifs évoquent réellement le western spaghetti), Tarantino opte
pour un style plus heurté (le gunfight dans le domaine, assez inédit dans le western
comme du Peckinpah en accéléré) où s’immiscent des titres hip hop dictant une
modernité participant à la prise de pouvoir de Django. Enfin lui-même, osant
les poses frimeuses sous le regard énamouré de sa Broomhilda (Kerry
Washington), Django est définitivement libéré de ses chaînes pour rentrer dans
la légende. Une grande réussite de plus pour Tarantino.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony
J'ai beaucoup aimé ce film où la « vengeance jubilatoire » est présentée de façon extrêmement généreuse, et presque enfantine, par Tarantino. On tuera tous les méchants, et la vie sera belle.
RépondreSupprimerJ'aime particulièrement la scène où, alors que le marché est pratiquement conclu, et qu'ils vont récupérer Broomhilda, Calvin Candie (Di Caprio) exige qu'ils se serrent la main. On pourrait croire qu'ayant fait le plus dur, Schultz va accepter ce geste qui lui répugne. Et en fait, non, c'est la chose impossible, le seuil intolérable, qui déclenchera la tuerie. Ce moment où tout peut être remis en question, y compris sa propre vie, pour quelque chose, un geste, qui peut paraître dérisoire, anecdotique, cette force de refus, le « non » qui se loge dans un détail, me paraît assez sublime, et typique de ce qui fait l'humain.
Bien à vous,
Catherine
Oui c'est un moment fondamental qui montre les limites morales de Schultz impitoyable dans son domaine de compétences (chasseur de prime) mais ne pouvant accepter de s'acoquiner avec la vraie barbarie représentée par Calvin Candie. Et c'est essentiel pour la transmission de relai et l'émancipation de Django de l'ombre de son mentor. Sur la tension du moment et du point de vue thématique une grande scène parmi tant d'autres. J'attends avec impatience ses Huit salopards qui sortent bientôt !
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