Chihiro, dix ans, a
tout d'une petite fille capricieuse. Elle s'apprête à emménager avec ses
parents dans une nouvelle demeure. Sur la route, la petite famille se retrouve
face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s'ouvre un long tunnel. De
l'autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent
dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se
jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons.
Chef d’œuvre crépusculaire et épique, Princesse Mononoké (1997) était supposé être le dernier film d’Hayao
Miyazaki, le film somme sur lequel il pouvait tirer sa révérence pour une
retraite bien méritée. La relève était assurée avec Yoshifumi Kondo, réalisateur
de l’enchanteur Si tu tends l’oreille
(1995) où il se montrait digne des deux sensei fondateurs de Ghibli Isao
Takahata et Hayao Miyazaki. La mort inattendue de Yoshifumi Kondo conjuguée au
long retrait de Takahata suite à l’échec commercial de Mon voisin les Yamada (1999) placera pourtant le studio Ghibli dans
l’expectative. Miyazaki se voit donc contraint de revenir à la réalisation pour
assurer la pérennité du studio et trouvera l’inspiration de son œuvre suivante
au cours de vacances à la montagne avec des amis. Ces derniers ont amenés avec
eux cinq fillettes de dix ans dont l’énergie et l’espièglerie fascinent un Miyazaki
se souvenant alors qu’il n’a jamais signé de film destinés à des enfants de cette tranche d’âge préadolescente.
Même si l’attrait de ses films est universel, on peut en effet faire une
différence entre un Mon voisin Totoro
(1988) plus directement destiné aux jeunes publics, Porco Rosso (1992) au ton plus adulte et le reste de sa
filmographie visant un public adolescent.
Princesse Mononoké
avait constitué une synthèse désabusée des thématiques écologiques de Miyazaki,
avec cette ère industrielle prenant le pas sur les divinités et une
spiritualité symbole d’un passé et d’une tradition mythologique. Avec leur
disparition, ces divinités ne pouvait plus s’incarner quà’ travers le respect d’une
nature environnante, d’une préoccupation écologique. Cette opposition entre tradition et modernité est au cœur de l’œuvre
de Miyazaki qui va en donner une vision plus positive dans Le Voyage de Chihiro. Chihiro, fillette de dix ans apathique et
désabusée alors qu’elle vient de déménager et quitter ses anciens camarades
symbolise en quelque sorte ce monde moderne et égoïste.
C’est précisément au
contact de ce Japon mythologique invisible mais toujours vivace qu’elle va se
ressourcer, traversant une série d’épreuve pour sauver ses parents transformés
en cochons par une malédiction. Miyazaki façonne une sorte d’Alice au pays des merveilles japonais où
se dispute bizarrerie, vraie terreur (Chihiro découvrant le sort de ses parents
et livrée elle-même dans les ténèbres de
ce monde étrange) et pur émerveillement avec un univers foisonnant.
L’imaginaire
de Miyazaki avait jusque-là été plus largement nourri d’influences occidentales - en partie par rejet de l’imagerie militariste japonaise dans laquelle il a
grandi et qui fera sens dans Le Vent se lève (2013) -, que ce soit au niveau de la source (Le Château dans le ciel (1986) inspiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, la série animée Sherlock Holmes, Le Château de Cagliostro (1979) revisitant le héros de Maurice
Leblanc), de l’imagerie (l’architecture de la ville où s’installe Kiki la petite sorcière (1989), la côte
italienne de Porco Rosso) et même de
la narration puisqu’il étudia en profondeur la construction des classiques de
la littérature enfantine européenne.
Princesse
Mononoké voyait donc le retour à une inspiration plus typiquement japonaise
même si c’était pour s’émouvoir de son déclin et Le Voyage de Chihiro prolonge ce retour aux sources mais dans une
veine luxuriante et vivace. Le bestiaire des créatures (esprits yōkai) et
divinités (kami) croisées par Chihiro convoquent les croyances du Japon traditionnel,
avec une culture animiste et shintoïste tissant ce lien entre nature et
créatures ancestrales. Le cadre du récit avec cette station thermale pour les
Dieux est une réminiscence des onsen dont Miyazaki reprend tous les rites de
fonctionnement, rehaussés par la nature surnaturelle de ses clients.
Le réalisateur vante la reconstruction de son héroïne par le
courage, le travail et l’apaisement intérieur - tout comme c’était d’ailleurs
le cas pour celle à peine plus âgée de Kiki la petite sorcière. Chihiro,
chétive et craintive au départ (les gags où elle glisse et se casse la figure
sont multiples) manque de se perdre par son manque de détermination, physiquement
en devenant translucide dans ce monde parallèle et symboliquement en manquant d’oublier
son vrai nom pour ne plus retenir que celui donné par la sorcière Yubaba. En s’accrochant
dans l’espoir de sauver ses parents, elle gagne une volonté et une maturité qui
lui permettront de se sauver elle-même, le labeur collectif (grandiose scène de
bain du Dieu de la rivière) estompant son égoïsme initial pour venir en aide à d’autres
êtres en perdition.
Son bienfaiteur Haku ne connaissant plus son nom accomplit
les basses œuvres de Yubaba dans l’espoir d’être sorcier et bien sûr le personnage
de Sans-Nom, perdant la raison à force de solitude qu’il cherche apaiser par la corruption, par le mimétisme
des êtres qu’il absorbe. On peut y ajouter ce cet imposant bébé capricieux qui s'épanouira après avoir gouté les joies du monde extérieur. C’est un véritable voyage initiatique où Chihiro est
un miroir du Japon dont Miyazaki n’imagine l’éveil que par le recouvrement de
son identité profonde et de ses traditions, signifié par l’accomplissement de
la fillette dans ce monde parallèle mythologique.
Visuellement c’est une des œuvres les plus envoutantes d’Hayao
Miyazaki, dont l’ensemble de l’imagerie foisonnante est chargée de sens et de
références (Yubaba effrayante et maternelle s’inspirant des sorcières Yama-Uba
dans le folklore japonais, mais aussi de l’exubérance de la propre mère de
Miyazaki déjà signifiée avec le personnage voisin de la mère des pirates dans Le Château dans le Ciel), de symbolique
fortes (la monstruosité initiale du Dieu de la rivière causée par la pollution)
et d’images inoubliables. A ce titre, la séquence du voyage en train est un sublime
instant de mélancolie, de poésie suspendue portée par les délicates notes de
piano d’un Joe Hisaishi très inspiré.
Son score emprunte des détours
romanesques et tourmentés captivants, tout en se teintant de sonorités étranges
et dissonantes signifiant l’introduction de ce folklore traditionnel dans son
accompagnement des images - un texte plus approfondi sur le travail de Hisaishi chez Miyazaki. Le Voyage de
Chihiro sera synonyme de renouveau artistique et de consécration mondiale
pour Hayao Miyazaki. Le film triomphe au box-office japonais mais remporte
aussi un vrai succès international amorcé par l’Ours d’Or au Festival de Berlin
et l’apothéose de l’Oscar du meilleur film d’animation. La retraite était
décalée pour un certain temps…
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Disney
Bonjour Justin, belle chronique sur un de mes Miyazaki préférés. J'en profite pour te remercier pour le lien vers mon blog et te souhaiter une bonne année ! Strum
RépondreSupprimerMerci Strum j'apprécie beaucoup tes analyses sur Classik content de te voir répertorier et agrémenter tout ça sur un blog maintenant plus qu'à tenir la cadence ;-)
RépondreSupprimerEt bonne année à toi aussi bien sûr !
RépondreSupprimerAlors pour la cadence, j'aurai du mal à te suivre ! :) Strum
RépondreSupprimerHé hé chacun son rythme pour l'instant tu alimentes régulièrement c'est bien ;-)
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