Au moment de quitter
sa maison natale, Huw Morgan se remémore son enfance passée au début du siècle
dans un petit village minier du Pays de Galles. Ce seront tour à tour
l’évocation des bonheurs et des malheurs qui toucheront sa famille :
successions de mariages, décès, naissances, conflits familiaux, départs,
retrouvailles, grèves, fêtes, joies simples de la vie quotidienne...
Cinéaste des valeurs et grands espaces américains par
excellence, John Ford se rappelait au souvenir de ses origines irlandaise avec
ce sommet de sa période classique. Adapté du roman éponyme de Richard Llewellyn,
le film est initialement destiné à William Wyler qui doit le tourner au Pays de
Galles en technicolor avec dans l'idée une sorte d'Autant en emporte le vent gallois. La Fox par crainte de dépassement de budgets antérieurs
de Wyler confie finalement le film à John Ford tandis que le début de la
Deuxième Guerre Mondiale impose un tournage en studio où sera construit le
village minier. De nombreux choix de Wyler resteront cependant (comme casting de
Roddy McDowall en héros juvénile) puisque Ford n’aura guère le temps d’être
impliqué dans la pré-production. Il n’en aura que plus de mérite d’imprégner d’un
humanisme universel (encouragé par Darryl Zanuck) et plus forcément rattaché à un environnement
américain comme dans Les Raisins de la
colère réalisé l’année précédente.
La voix et la silhouette adulte de Huw Morgan (Roddy
McDowall) ouvrent le film alors qu’il s’apprête à quitte la maison familiale et
son village chargé de souvenir. L’expression tendre et nostalgique accompagne
le paysage contemporain qui se transforme bientôt (par un mouvement de caméra
traversant un portail - effet typique du réalisateur – qui nous emmène vers le
passé) pour laisser place à la vallée au temps de sa splendeur, à ce village
minier alors au pic de son activité. L’imagerie élégiaque déploie une beauté
immaculée où la photo d’Arthur Miller, les cadrages magnifiant les somptueux
décors de Thomas Little et la direction artistique de Nathan Juran entoure ce
cadre d’une aura quasi mythologique de paradis perdu. Cette grâce des lieux se
conjugue à celle de ses habitants avec le portrait tout aussi idéalisé de la
famille Morgan (John Fod trouvant un écho a sa propre famille et enfance dont il s'inspire).
On en reste au tableau idyllique avec les descriptions
archétypale mais ô combien attachantes de ses membres à travers la scène
du retour de la mine des hommes et le repas familial : le père bougon
(Donald Crisp) mais juste, la fratrie adulte mais d’un respect filial palpable,
la figure maternelle (Sara Allgood) truculente mais vraie régente du foyer et
le benjamin en quête d’attention. Ce rêve éveillé va progressivement s’effriter
face à la réalité du changement d’époque. L’ère industrielle et son exploitation
des travailleurs créeront une première une première scission générationnelle
entre des fils souhaitant se syndiquer pour mieux résister et un père aux
vieilles valeurs pour lequel cet élan de « socialisme » est
impensable.
Chaque épreuve parait pourtant pouvoir être surmontée par l’amour
mutuel unissant les protagonistes et semble même triompher des séquelles
physiques endurées. La longue immobilisation de Huw et sa mère n’entame pas le
lien et magnifie d’une force humaniste (le retour des fils au foyer) et
biblique leur rémission avec cette aura presque religieuse qui fait un miracle
du moment où Huw parvient à remarcher, ombre chétive sous une lumière céleste.
L’intelligence d’un casting cosmopolite (où se côtoient acteurs britanniques et
américains) amène une authenticité chère à John Ford à travers l’atmosphère gaélique festive teintée de chant traditionnels, auquel le visuel répond
puisqu’aux scènes féériques et aux compositions typiques du tournage studio
répond la véracité des scènes de mine et du quotidien du village.
Le temps qui passe semble pourtant l’ennemi le plus
redoutable de cette douce harmonie. Il est le révélateur d’une réalité
économique cruelle forçant l’éclatement du foyer (le départ définitif des fils
faute de travail), les amours déçues (la romance avortée entre Maureen O’Hara
et Walter Pidgeon) et un envers bien moins idyllique de cette communauté rongée
par le jugement moral et l’aveuglement religieux. La perte d'illusion et le coeur brisé du pasteur joué par Walter Pidgeon symbolise parfaitement cette bascule, le personnage étant réellement le vecteur des idéaux sociaux et humaniste de John Ford. Chronique familiale, drame
social mais aussi récit d’apprentissage constituent ainsi le cœur du film. Les
premières expériences de Huw contiennent encore ce semblant d’innocence dans la
tonalité contrastée encore charmante du point de vue de notre héros juvénile,
même dans ses déboires (la difficile découverte de l’école) quand chez les
adultes les rendez-vous manqués et auront pour conséquence le drame d’une vie
pour Maureen O’Hara.
Ford choisit d’ailleurs de conclure l’histoire sur le
drame et la perte la plus douloureuse, un sommet d’émotion au lyrisme
flamboyant qui se mêle à un vrai regard sensible et intime pour capturer l’affliction
des personnages. Les envolées du score d’Alfred Newman accompagnent la simple
image des yeux rougis et du visage meurtri de Huw. Tout s’arrête sur cet
instant, le présent cruel devant laisser sa place au passé idéalisé pour que ne
survivent que les moments heureux dans une reprise de la scène d’ouverture,
cette scène de repas ou toute la famille étaient réunies. Dernière réalisation
de Ford avant son engagement dans la Seconde Guerre Mondiale, Qu'elle était
verte ma vallée sera un de ses plus grand triomphe commerciaux et critiques
couronnés par cinq Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur second
rôle masculin pour Donald Crisp, meilleure photographie, meilleure direction
artistique) remportés face à Citizen Kane.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Fox
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