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mercredi 2 décembre 2015

L'Inconnu du Nord-Express - Strangers on a Train, Alfred Hitchcock (1951)

Lors d’un voyage en train, Guy Haines (Farley Granger) rencontre Bruno Anthony (Robert Walker). Haines est champion de tennis, Anthony sait tout de lui et propose un échange de meurtre : il va supprimer la femme de Haines (laquelle ne veut pas lui accorder le divorce) en échange de quoi Guy devra tuer le père de Bruno. Le jeune sportif ne prend pas cet inconnu au sérieux et le quitte comme si de rien était...

Après deux opus au succès public et critique plus mitigés (Les Amants du Capricorne (1949) et Le Grand alibi (1950)), Alfred Hitchcock effectuera un retour en force avec un de ses plus mémorables suspenses, L’Inconnu du Nord-Express. Hitchcock s’appuiera sur une autre reine du suspense, Patricia Highsmith dont c’est le premier roman et qu’il adapte ici. En dépit de la présence prestigieuse de Raymond Chandler au générique, celui-ci ne s’entendit pas avec Hitchcock (notamment sa méthode d’un premier traitement sans dialogue où il esquisse ses premiers choix visuels qui décontenancera Chandler) qui se rabattant sur un Ben Hecht trop débordé, se verra recommander son assistante par ce dernier, Czenzi Ormonde.

Le postulat diabolique du film perverti totalement le motif si cher à Hitchcock du faux coupable. Guy Haines (Farley Granger), s’il n’a ni commis ni téléguidé le meurtre de sa femme perpétré par l’étrange Bruno Anthony (Robert Walker), il en est néanmoins le grand bénéficiaire et sans réelle chance d’être inquiété malgré les doutes de la police. Si Hitchcock rend son film plus moral que le livre (où Guy Haines complète l’inversion en tuant à son tour le père de Bruno), la question de la porosité du mal et de sa tentation est bien là. En rage face à cette épouse qui ne lui accorde pas le divorce, Haines aura proféré les menaces meurtrières les plus explicites. Bruno dans sa folie les concrétise dans un geste reprenant les mots de Haines, en étranglant sa victime. 

Il symbolise ainsi littéralement les bas-instincts de Haines et sa culpabilité (la photo de Robert Burke le tapissant dans l’ombre par instants comme une mauvaise pensée à refouler de l’esprit justement), le jeu trouble de Robert Walker se complétant idéalement à la présence un peu lisse de Farley Granger (pour sa deuxième collaboration avec Hitchcock après La Corde (1948)). Hitchcock souhaitait William Holden dans le rôle mais peut être que sa personnalité plus marquée se serait moins complétée à Robert Walker que la « transparence » de Farley Granger. Fort de cette dualité, on ne croit à aucun moment à un possible revirement de Haines même dans la superbe scène où il s’introduit de nuit dans la demeure des parents de Bruno. Le premier montage de la séquence exprimait plus d’ambiguïté (signifiant comme une hésitation chez Haines) mais cela a été coupé au final.

Cette ambiguïté se trouvera donc totalement personnifiée par Bruno. Hitchcock en fait tout à la fois une pure figure maléfique mais aussi un être malade et névrosé. Bruno symbolise parfois ainsi le « stalker » à l’aura quasi surnaturelle quand Haines devinera apercevra sa silhouette partout où il passe. Cela culmine dans cet extraordinaire moment où assis au milieu de spectateurs d’un match de tennis, il se désintéresse totalement du jeu pour regarde fixement Haines situé en face. Parallèlement on devinera sa fragilité à travers des motifs annonçant certaines grandes réussites futures d’Hitchcock. La mère dérangée et castratrice de Psychose (1960) est déjà présente ici avec une Marion Lorne à l’excentricité inquiétante, dont les moments intimes avec Bruno laissent deviner d’où lui viennent sa folie et ce sentiment d’impunité. Si la culpabilité de Haines est plutôt symbolique, celle de Bruno est plus palpable, le rendant plus intéressant et loin de la seule incarnation du mal absolu annoncée. 

Pour la signifier, Hitchcock exprime un mimétisme physique entre la victime (Laura Elliott) et le personnage plus léger de Barbara (jouée par la propre fille d’Hitchcock, Patricia) dont les ressemblances troublent Bruno et le ramène douloureusement à son crime. Là encore c’est tout Vertigo (1958) qui s’annonce, la réminiscence physique d’une figure du passé étant synonyme de tourments. Dernier point montrant les personnages comme les revers d’une même pièce, l’étonnant montage parallèle entre la partie de tennis de Haines s’éternisant et Bruno perdant le briquet rendant haines coupable. Hitchcock orchestre les deux scènes avec un suspense et une tension équivalents, nous faisant souhaiter que les deux s’en sortent alors que l’on devrait totalement pencher du côté de Haines.

Toutes ces nuances s’expriment avec subtilité (voir l’ouverture où l’accompagne les pas des deux héros jusqu’à leur rencontre) et dans un style plutôt sobre qui rend les morceaux de bravoures d’autant plus virtuose. La longue traque dans la fête foraine et son issue macabre se reflétant dans des verres de lunettes offre un magistral moment de tension. Et que dire de ce manège dont le mécanisme emballé offre un pur basculement dans le cauchemar lors climax final ? Une des grandes réussites d’Hitchcock, conclue par un savoureux trait d’humour en plus. 

Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Warner 

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