Dans une Angleterre
uchronique, au XIXe siècle, Ray Steam est le fils d’Edward et petit-fils de
Lloyd, deux scientifiques inventeurs de machines à vapeur. Ils ne sont pas
réapparus depuis plusieurs mois après leur départ pour l'Amérique, lorsqu'un
colis contenant une boule métallique (la steamball) parvient au domicile de Ray
et sa mère. Mais, deux hommes de la Fondation O'Hara qui financent les
recherches des deux paternels, veulent s'en emparer. Ray fuit et est secouru
par le scientifique Stevenson, fervent patriote. Pendant ce temps, Londres se
prépare à inaugurer l'Exposition universelle où les machines à vapeur seront à
l'honneur. La Fondation O'Hara a préparé un pavillon et y envoie la fille du
fondateur, la jeune Scarlett. Elle est accompagnée par Simon, chargé de vendre
la technologie de la fondation.
L’innovation technologie destructrice, le pouvoir conduisant
une nature humaine profondément imparfaite à la folie, voilà des thèmes que
Katsuhiro Otomo avait exploré avec brio dans son manga Akira et la monumentale adaptation animée qu’il en tira en 1988.
Alors que l’on attendait de lui qu’il livre dans la foulée un autre grand
classique de l’animation, les retours d’Otomo se firent aussi sporadiques que
mémorables avec l’OAV Roujin Z (1991)
qu’il produisit et l’anthologie SF Memories
(1995) dont il réalisait le troisième segment Chair à canon. Loin de chômer, Otomo préparait en fait Steamboy, projet pharaonique dont les
innovations nécessiteraient près de dix ans de productions (démarrée en 1994
pour une sortie en 2004) et en ferait le budget le plus élevé à ce jour pour un
film d’animation japonais.
Si les thématiques précitées s’inscrivaient dans le monde
post-apocalyptique d’Akira marqué par
la peur du nucléaire et ses conséquences (le traumatisme d’Hiroshima bien
évidemment), Steamboy au contraire
revient à la source, à l’époque dont les innovations devaient faire basculer le
20e siècle. Steamboy est
une des plus grandes réussites du sous-genre SF Steampunk. Ce terme désigne une
anticipation rétro marquée par les pionniers Jules Verne et H.G. Wells, se
déroulant à l’ère de la Révolution industrielle de la fin du 19e
siècle, souvent dans l’Angleterre Victorienne avec une imagerie « rétrofuturiste »
(machine à vapeur, engrenages). Les
origines du genre sont tout d’abord littéraires (avec l’excellent et fondateur Les Voies d’Anubis de Tim Powers,
lecture vivement recommandée) mais se répercutent à la télévision (Les Mystères
de L’Ouest), la bd franco-belge et les comics (Adèle blanc-sec, La Ligue des
Gentlemen Extraodinaires) et bien sûr le cinéma (tout récemment Avril et le
monde truqué, Captain Sky et le monde de demain (2005), Le Prestige (2006))
Poursuivi
également par des agents du gouvernement britannique rêvant de s’approprier l’invention
pour se renforcer militairement, Ray passera le récit à voguer d’un camp à l’autre,
ne comprenant que progressivement le rôle de chacun et surtout les enjeux
moraux que ses choix impliquent. Otomo parvient à placer ces questionnements
avec une grande justesse, mais constamment dans le mouvement, au rythme des
poursuites, batailles et destructions. L’esthétique steampunk fait merveille
dans l’action avec une folle course-poursuite entre un cyclomoteur et une sorte
de tank à vapeur qui vont se placer sur la trajectoire d’un train, le tout
avant qu’un zeppelin ne vienne se mêler à l’affaire. Le réalisateur sait
également donner dans le contemplatif et user du pouvoir de fascination de ses
machines infernales, voir la découverte de la steam tower, imposant bâtiment de métal
cuivré dont la caméra virevoltante nous fait découvrir les moindre rouages.
Alors que dans un récit voisin Hayao Miyazaki montrait le versant positif et/ou
négatif de la technologie dans Le Château dans le ciel (le même modèle de robot protecteur de la faune puis machine
de guerre, la forteresse volante havre de paix écologique puis agent du chaos
surarmé) selon l’usage des hommes, Otomo ne guide pas son spectateur qui
découvre l’ensemble des possibilités de l’innovation et comprend avec lui le
meilleur usage à en faire. Le point du vue du grand-père se tient mais il est
obligé de violemment se retourner contre son fils, le choix de ce dernier de
faire profiter le monde de ses créations se justifiant mais malheureusement
entravé par la notion de profit de ses commanditaires. Le personnage de la
jeune Scarlett O’Hara (un nom qui ne doit rien au hasard vu son caractère
déterminé et capricieux) est passionnant à ce titre, héritière de la Fondation
ne voyant aucun mal à s’enrichir ainsi jusqu’à ce qu’elle fasse l’expérience du
carnage que peuvent causer les machines.
On aura donc là de passionnants questionnements sur les
notions de capitalisme, de nationalisme, des enjeux de la recherche
scientifique dans un ensemble dynamique, accessible et intelligemment traité.
Visuellement c’est époustouflant, Otomo croisant brillamment les techniques
(celluloïd et numérique) pour une reconstitution documentée et foisonnante de
cette Angleterre Victorienne avec un impressionnant travail sur les décors et
costumes. Tout cela vole en éclat lors du long climax final où les différents
camps s’affrontent et déploient un arsenal délirant, toujours rattaché à cette
logique de rétrofuturisme : machines volantes, embryon de sous-marin façon
Vingt mille lieues sous les mers,
armures médiévale faisant office de scaphandres guerriers… La Steam Tower par
son gigantisme, son design oppressant et pouvoir de destruction reste pourtant
la plus grande attraction du film, son élévation et démonstration de force
restant un sacré moment évocateur.
C’est dans son cheminement intellectuel que
Ray va gagner ses galons de héros, faisant figure de surhomme volant lors du
final où il use de la sphère comme un propulseur et Superman n’est pas loin
lorsqu’il rattrape Scarlett au vol. Ne glorifiant ni ne condamnant l’innovation
scientifique, Otomo en mesure les bienfaits comme que les dangers, les
meilleurs intentions pouvant tout autant conduire à ce chaos qu’il sait si bien
filmer. La dernière tirade de Ray On
vient à peine de rentrer dans l'ère de la science suggère ainsi les
lendemains qui déchantent sanglant du 20e siècle mais aussi les
grandes avancées positive.
Toute cette dualité est contenue dans un somptueux
générique de fin qui nous conte en quelque sorte la suite des évènements du
film de manière épique (d’ordinaire peu inspiré Steve Jablonsky livre un score
héroïque à souhait) et qui fait regretter que le film n’ai pas eu de suite tant
la richesse du propos s’y prêtait. Sans donner dans la redite, Katsuhiro Otomo
nous offre en tout cas un second classique de l’animation après Akira.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sony
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