Comme nous l’explique Stéphane du Mesnildot en introduction
de son captivant essai, l’adolescente japonaise se distingue de ses congénères
d’autres pays en convoquant par sa simple évocation toute une identité
visuelle, une attitude, des lieux et des souvenirs de fictions détonants. L’uniforme,
élément visuel le plus immédiatement identifiable de l’adolescente japonaise,
est ainsi à son adoption en 1920 une manière d’introduire la culture
occidentale dans l’habillement des jeunes filles. Cette tenue est
symboliquement et concrètement une forme d’émancipation en libérant leur
mouvement de la « soumission » contraignante du kimono traditionnel.
Mais la marinière s’oppose à l’équivalent de l’uniforme masculin dont le modèle
occidental adopté à l’époque est la tenue d’officier. L’auteur entend ainsi
tout au long du livre démontrer la nature double du monde des
« shojos », à la fois espace secret et de libération des adolescentes
japonaises mais également carcan illustrant la domination masculine.
Stéphane du Mesnildot nous dépeint ainsi comment
l’adolescente japonaise accompagne et représente tous les soubresauts culturels,
sociaux et politiques de la société japonaise au fil des décennies. Chaque
bouleversement (le tremblement de terre du Kantô en 1923, l’agitation politique
des 70’s, la bulle économique des 80’s, le séisme de Kobe et les attaques au
gaz sarin à Tokyo en 1995, le tsunami et la catastrophe de Fukushima en 2011)
appelle l’adolescente japonaise à une mue que l’auteur illustre par des
références culturelles allant de la littérature au manga, du cinéma à la japanimation en passant par la
J-pop. Passionnant dans l’interprétation et la mise en perspective des plus
connues (la série Neon Genesis Evangelion,
le manga La Rose de Versailles),
ouvrant à des cercles plus obscurs (les mondes littéraires féminins clos et
lesbiens d’auteurs comme Noboku Yoshiya et leur influence) et décodant la
superficialité de façade (l’association de l’univers des stars et groupe de
J-Pop à leur époque dans les clips, les looks et l’attitude), l’auteur donne un
riche tour d’horizon et d’associations d’idées.
L’auteur fait l’effort de rebondir à chaque fois sur un équivalent
occidental qui explicite sa réflexion pour les novices (le parallèle avec les
romans de Colette) et creuse les spécificités plus complexes pour les initiés
notamment les référents géographiques des quartiers de Tokyo où se développent
les diverses communautés adolescentes dont les fameuses kogal. De manière
générale cette manière de mêler chaque rupture (temporelle, sociétale…) à une
esthétique est un des points fort du livre. Cela participe à cette notion du
double jeu rébellion/soumission de l’image de l’adolescente japonaise. Le
scandale de la prostitution de lycéennes des 90’s dénonce autant la perversion
d’adulte prédateurs que l’emprise que pouvaient avoir les jeunes filles sur
eux. De même les mues de l’uniforme aux jupes de plus en plus courtes nourrissent
les fantasmes libidineux et aux frontières de la pédophilie de l’industrie du
porno tout en étant une réelle tenue de combat où les adolescentes façonnent
leurs propres codes – la culture sukeban où les délinquantes japonaises s’approprient
certains fonctionnements des yakuzas.
Didactique, érudit et dépaysant, un ouvrage qui nous ouvre
sur un monde foisonnant et en constante mutation.
Edité aux édition Le Murmure
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