Tampopo est certainement l'œuvre la plus populaire en occident de Jūzō Itami. Ancien acteur (vu chez des réalisateurs majeurs comme les japonais Nagisa Oshima, Kôji Wakamatsu, Kon Ichikawa ou encore à Hollywood dans Les 55 Jours de Pékin (1963) de Nicholas Ray), Itami se lance dans la réalisation en 1984 avec Funérailles et dès lors se spécialisera avec succès dans la comédie satirique où il explore des thèmes aussi divers que la mort (dans Funérailles), l'argent dans L'Inspectrice des impôts (1987) et donc la cuisine avec Tampopo.
Le réalisateur qualifie son film de "western-nouille" en référence au western-spaghetti. Itami emprunte en effet la structure du western dans cette véritable ode à la cuisine japonaise pour ce fin gourmet. On navigue entre Shane (1953) et Les Sept mercenaires (lorsque la troupe de bienfaiteurs s'élargira) avec le héros/camionneur Goro (Tsutomu Yamazaki) taciturne qui va voler au secours de jeune veuve Tampopo (Nobuko Miyamoto) ayant du mal à joindre les deux bouts dans son modeste restaurant à ramen. Le scénario place certes un antagoniste yakuza (mais bien vite rallié à la cause) mais la plus grande difficulté de Tampopo réside bien dans ses piètres aptitudes culinaires pour la préparation de ramen. Goro va ainsi faire office de mentor impitoyable pour la former. Le récit est une véritable odyssée décalée où Itami se penche sur le sacerdoce que constitue cette préparation. Le périple autour des rades de Tokyo dépeint l'importance de l'attention au consommateur (se souvenir de sa commande, observer sa réaction lorsqu'il goutte la soupe, la grande victoire étant lorsqu'il la finit jusqu'au bout) dont les réactions détermine les manques ou la réussite de la préparation.
Le ton se fait à la fois ludique et méticuleux, les gags servant toujours l'apprentissage notamment l'entraînement physiquement éprouvant qu'impose Goro à Tampopo en cuisine. Cette notion pédagogique s'inscrit également à travers les diverses rencontres où de joyeux excentriques viendront apporter une part de leur savoir à notre héroïne, quand elle ne vole pas avec malice quelques astuces culinaires à des collègues. A l'instar de Tampopo, chacun des protagonistes a un lien intime à la cuisine pour lequel il a tout perdu (l'ancien chef devenu clochard, quitté pas sa femme et ayant eu son restaurant volé par son rival) ou qui représente la seule échappatoire d'une vie terne (ce vieillard délaissé par sa jeune épouse). Pour Tampopo c'est une quête initiatique qui ravive son allant tandis que Goro va fendre l'armure à son contact et révéler un passé douloureux.
Tous ces éléments enrichissent le propos, à la fois universel et spécifiquement japonais en jouant sur le côté traditionnel et décalé. La dimension méta apporte conjointement une distance amusée et une vraie émotion, notamment par le couple dont l'outrance est source de comédie et de passion (le début dans le cinéma puis la conclusion plus mélancolique où l'on ne rira pas à cette recette donnée dans un dernier souffle).
Tsutomu Yamazaki est parfait en mentor taiseux et mélancolique, le chapeau, la gestuelle et la réserve le rapprochant à sa manière de "l'étranger" à la Eastwood/Bronson, prêt à tirer sa révérence une fois sa mission accomplie. Quant à Nobuko Miyamoto (épouse et actrice fétiche du réalisateur), elle souffle un rare vent de fraîcheur qui se déploie dans les choix formels du film - l'éclairage soudainement éclatant alors que des consommateurs terminent enfin jusqu'au bout les ramen qu'elle a préparé. Un petit bijou qui sera un grand succès en Occident et plus particulièrement aux Etats-Unis (si votre petit restau japonais local se nomme Tampopo vous savez pourquoi désormais le film provoquant un essaim d'établissements ainsi rebaptisé). Un film qui fait rire, pleurer, saliver et incite à (re)prendre son billet pour le Japon.
Sorti en bluray et dvd zone 1 chez Criterion et également disponible en dvd anglais chez Umbrella
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