Robert « Eroica »
Dupea (Jack Nicholson), pianiste virtuose, a quitté depuis deux ans le cocon
d'une famille bourgeoise pour prendre la route et vivre de petits métiers. Il
travaille aujourd'hui comme ouvrier sur une plateforme pétrolière de Californie
et vit avec Rayette (Karn Black). Mais cette vie qu'il a rêvée ne lui convient
pas et il ne trouve sa place ni au côté de ses camarades ouvriers, ni dans son
couple.
Cinq pièces faciles
est une des œuvres emblématiques du Nouvel Hollywood. Le film est une
production issue du giron de BBS, société de production à l’importance majeure
dans l’avènement du Nouvel Hollywood et révélée par le succès d’Easy Rider de Dennis Hopper (1969). Cinq
pièces faciles doit son existence à une des révélations d’Easy Rider, Jack
Nicholson qui amène le scénario de Carole Eastman à son ami Bob Rafelson
lui-même co-fondateur de BBS. Le film consacrera à la fois le réalisateur et l’acteur
encore loin de son statut de star.
Le film reflète grandement le désenchantement et les
désillusions des seventies à travers le destin de Robert Dupea (Jack
Nicholson). C’est un héros à sa place nulle part, fuyant son environnement
bourgeois et sa formation de pianiste virtuose pour les milieux populaires et l’exercice
de petits métiers. De ses origines bourgeoises naît un sentiment d’étouffement
et de convention insupportable et son « éducation » le rendra
constamment extérieur au prolétariat dans lequel il essaie de se fondre. Le
récit l’exprime à travers le jeu tour à tour sobre, excessif et surtout
toujours puissamment tourmenté de Jack Nicholson pas encore affublé de ses tics
carnassiers. Bob Rafelson orchestre ce mal-être perpétuel sans distinction de
classe. L’amour trop ardent et la médiocrité de la petite amie Rayette (Karen
Black) surgit autant dans l’intime que dans une simple partie de bowling et les
beuveries tout comme le laborieux travail de chantier n’offrent guères de
perspective. Plus tard le côté dysfonctionnel de la famille que retrouvera
Robert s’avérera tout autant une impasse pour lui.
Le seul refuge entre ces différents mondes semble être la
musique pour le héros ce qui nous donne deux des plus belles scènes du film.
La
première laisse éclater sa frustration de façon jubilatoire quand en plein
bouchon routier il grimpe dans un camion contenant un piano pour en jouer dans
un concert de klaxons. La seconde montrera au contraire l’apaisement et la mise
à nu qu’amène chez lui le piano quand il en jouera à la demande de Catherine (Susan
Anspach), compagne de son frère dont il est tombé amoureux. Bob Rafelson
souligne moins une opposition ou critique de classe (nous ne sommes plus dans
Le Lauréat) que la profonde indécision de son héros, typique de la perte d’idéaux
d’alors et qui se manifeste à l’image par une déambulation sans but sur les
routes, dans les bars… Dès qu’un soupçon de responsabilité ou de sérieux vient
s’immiscer dans sa quête, Robert doit s’en détourner que ce soit en rudoyant
Rayette ou en désamorçant son émotion par cynisme quand il jouera pour
Catherine – une scène d’enregistrement laborieuse associe également la musique
à cette beauté gâchée par le surgissement du « réel ».
Les deux
figures féminines reflètent d’ailleurs cela, l’une aveugle le poursuivant coûte
que coûte et l'autre consciente de ses failles se refusant à une romance plus
poussée. L’accomplissement ne peut plus être artistique, spirituel ou
communautaire, Robert reflète une génération confrontée à la désillusion du
réel ET des utopies. Bob Rafelson ayant lui-même fuit ses origines nanties pour
bourlinguer rend superbement vrais les atermoiements de Jack Nicholson poignant
de vulnérabilité. La splendide fin ouverte perpétue cette fugue éternelle de la
plus belle et sobre des façons.
Sort en dvd zone 2 français chez Columbia
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