En raison d’une
épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine
de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’Ile aux
Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour
rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens
intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville.
L’île aux chiens
est la seconde incursion de Wes Anderson dans le cinéma d’animation et la
technique stop-motion après Fantastic Mr Fox (2009). Ce film avait constitué une vraie révolution pour le
réalisateur, son sens du détail et fétichisme des objets et décors y gagnant en
mouvement tout en perpétuant ses personnages d’homme-enfant irrésistible. Cette
dimension cartoonesque irriguerait l’esthétique et les péripéties du
merveilleux Moonrise Kingdom (2012)
dont l’appel à l’aventure étendrait l’horizon du cinéaste cosy qu’était jusque-là Wes Anderson (l’odyssée de La Vie Aquatique (2004) avec l’artificialité
assumée de ses fonds marins). Cette ouverture trouverait sa plénitude dans The Grand Budapest Hotel (2014) avec une
ampleur se faisant temporelle et historique dans cette Europe de la
Mitteleuropa où Anderson mêlerait sa préciosité formelle, ce dynamisme de l’animation
et une profonde mélancolie du temps qui passe. L’île aux chiens retrouve formellement et thématiquement cette
veine épique et politique pour une nouvelle grande réussite.
Dans un Japon alternatif, le maire d’une ville décide d’exiler
en raison d’une mystérieuse grippe canine tous les chiens sur une île dépotoir.
Le héros-enfant fuyant typique de Wes Anderson s’incarne ainsi à travers le
jeune Atari qui va entamer une folle odyssée pour retrouver son chien Spots,
premier déporté sur l’île. Tout le film exprime une forme de schizophrénie
entre l’inné et l’acquis, la civilisation et le naturel, que ce soit à travers
les choix visuels/narratif d’Anderson et les interactions entre les personnages.
La maniaquerie du réalisateur (parfaitement à son aise dans l’exigence de la stop-motion)
pourrait ainsi jurer avec la liberté attendue dans un grand film d’aventure.
Cet équilibre entre la maîtrise et l’abandon est au cœur du film. Cela passe
notamment par la langue avec le parti pris de faire s’exprimer les humains en
japonais et les chiens en anglais.
La facette saccadée et heurtée que peut
avoir la langue japonaise rend ainsi les humains plus inquiétants (le maire de
la ville est ses déclamations agressive) ou du moins perturbé (Atari enfant qui
a frôlé la mort et qui passe le film avec un morceau de métal dans le crâne)
que les chiens s’exprimant dans un anglais précieux. La rigoureuse géométrie
urbaine de la cité de Megasaki dissimule ainsi des hommes haineux nourrissant
ou se laissant guider par une haine de « l’autre » représenté par les
chiens. Anderson revêt cette haine d’une dimension légendaire et ancestrale
dans un magnifique prologue, mais également bien contemporaine avec une
population de mouton prête à céder à la peur à coup de désinformation. A l’inverse
les chiens sont caractérisés sans négliger leurs profonds instincts animaliers
(la scène d’ouverture où ils s’affrontent pour une maigre pitance) mais
apparaissent comme plus purs et bienveillants.
La langue est trompeuse chez les humains adultes où elle est
pourtant souvent traduite par une interprète et/ou sous-titrée. La pureté des
sentiments domine dans le rapport d’Atari aux chiens où se noue une forme de
compréhension naturelle, Anderson faisant confiance à la seule image et langage
corporel pour traduire l’idée au spectateur jamais dérangé par le japonais. Ce
sera d’autant plus frappant dans l’amitié qui va se nouer entre Atari et Chief,
chien errant plus réfractaire à l’homme que ses acolytes qui ont été animaux
domestique. Tout le processus d’apprivoisement mutuel semble faussement
reproduire un schéma dominant/dominé entre le chien et l’enfant mais traduit
cependant leur solitude mutuelle et besoin d’affection.
Atari lance ainsi un
objet que Chief doit rapporter mais ce dernier peu au fait de ces pratiques s’y
refuse et laissera plus tard l’enfant à son sort. Le geste de l’enfant relevait
plus d’une volonté de rapprochement avec l’animal que de soumission, le retour
de Chief amenant à une vraie démonstration d’amour quand il lui donnera le
bain. L’île aux chiens est un lieu d’exil et de cauchemar, mais aussi un espace
délesté de l’hypocrisie de la civilisation où l’on s’échappe à l’image des
jeunes fugitifs amoureux de Moonrise
Kingdom.
Cette émotion à fleur de peau exprime donc une liberté où l’abandon
relève d’un décalage amusé (le nuage que forment les bagarres selon une pure
convention de cartoon) et d’écarts gore surprenant. Toute la dichotomie d’Anderson
entre maîtrise et anarchie se trouve là, notamment dans l’inspiration visuelle
japonaise. La précision lente et la symétrie des cadrages rappellent le cinéma
d’Ozu, la progression du récit au fil des rencontres vers un grand tout épique rappelle
le Kurosawa de La Forteresse cachée
(1958), sans parler des clins d’œil à la peinture japonaise avec cette fresque
canine qui revisite l’art d’Hokusai.
L’ampleur progressive de l’espace lorgne
sur la tradition des estampes naturelles de paysage notamment dans un
magnifique plan d’ensemble où Atari monte sur Chief pour scruter l’horizon dans un ciel couchant. Tout cela vient se
percuter à une influence plus occidentale où les décors modernes rappellent la
folie de certaines créations de Ken Adam pour les James Bond ou Kubrick, mais
également un sens étourdissant de la montée de suspense (Atari et ses acolytes
encerclé par l’armée et les chiens robots menaçants) lorgnant sur Brian De
Palma.
Wes Anderson sous ses élans acidulés livre donc un récit
étonnamment engagé, la métaphore entre les migrants et les chiens étant
évidente sans en rester à cette seule interprétation puisque l’ombre du
traumatisant The Plague Dogs de
Martin Rosen (1982) plane quand les maltraitances scientifiques aux animaux
sont évoquées. Tout comme cette dichotomie anarchie/maîtrise est un tout dans
la personnalité de Wes Anderson, il évite au final un regard unidimensionnel
dans l’univers qu’il dépeint. Une forme de naïveté lui permet de voir la
possibilité de surmonter cette tradition de la haine lors du final, mais
également une transmission de ce lien affectif et domestique qui lie le chien à
son maître enfin réunis. La révolution canine ne vise pas la vengeance mais les retrouvailles avec l'homme. Une fable foisonnante, touchante et ludique pour une
grande réussite de plus de Wes Anderson.
En salle
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