Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Un temps pour vivre, un temps pour mourir - Tóngnián wangshì, Hou Hsiao-hsien (1985)
Le film est la chronique de la vie de Ah-hsiao,
surnommé Ah-ha par sa grand-mère. Sa famille vit dans une petite ville
du sud de Taïwan, après avoir quitté la Chine continentale quelques
années auparavant.
Un temps pour vivre, un temps pour mourir
est le troisième film du virage thématique et stylistique plus personnel
de Hou Hsiao-hsien. On reste dans une veine biographique avec
l'évocation de la jeunesse délinquante du réalisateur dans Les Garçons de Fengkuei (1983), les souvenirs d'enfance de sa scénariste Chu Tien-wen sur Un été chez grand père (1984) et cette fois ceux de son scénariste Wu Nien-jen (également acteur vu chez Edward Yang dans Taipei Story (1985), Mahjong (1996) et Yi Yi(2000)). Cette écriture à six mains entre Chu Tien-wen, Wu Nien-jen et
Hou Hsiao-hsien pose un socle culturel et d’expériences communes dans
cette veine biographique et nostalgique, tout en donnant des films à
chaque fois très différente dans leur approche. On peut par exemple
penser que le contexte de Un temps pour vivre, un temps pour mourir avec arrière-plan de dictature militaire, ces rixes de voyous et ses exilés chinois usés préfigure A Brighter Summer Day
(1991) d'Edward Yang (certaines images comme les uniformes scolaires
féminins ravivent ce souvenir même si le rôle est moindre ici) et
constitue un vrai sillon thématique du cinéma taïwanais.
Un temps pour vivre, un temps pour mourir
se distingue donc par sa nostalgie plus prononcée que marque la
voix-off, et un rythme et ton posé qui suit le cycle dépeint par son
titre français. On y suit le quotidien d’Ah-ha garçon de dix ans vivant
avec sa famille dans une petite ville de Taïwan. Tout dans la narration
et le filmage de Hou Hsiao-hsien sert à illustrer l'équilibre des
générations au sein de cette famille. Le film s'ouvre ainsi sur la
grand-mère (Tang Yu-yuen) sillonnant les rues à la recherche d’Ah-ha,
que l'on découvre ensuite jouant aux billes avec ses amis avant de
rentrer chez lui où se révèleront le foyer et l'ensemble de ses membres.
Ce cadre familial fonctionne avec des compositions de plans
fonctionnant par strates (la maison ayant une topographie coulissante à
la japonaise, Hirokazu Kore-eda, grand admirateur de Hou Hsiao Hsien saura s'en souvenir dans son Still Walking (2008)) où l'activité, l'âge et la capacité de chacun s'étend dans
la profondeur de champs.
Le père souffrant et asthmatique apparait
ainsi souvent statique, assis et assoupi à chercher son second souffle
et lorsqu'on sort de cette imagerie pour s'attarder sur un détail ce
sera notamment pour laisser voir les gouttes de sang échappé de sa
dernière quinte de toux. La vie et la mort cohabite donc au sein du
foyer, entre ce père discret qui ne sera bientôt plus là, cette
grand-mère fantasque et une mère qui tient la famille à bout de bras.
Hou Hsiao-hsien exprime cette approche en strates par des ruptures de
ton qui créent des moments particuliers, heureux ou tristes qui
caractérisent chaque protagoniste et travaille aussi la notion de répétitivité d'une image (les pousses-pousses ramenant la grand-mère égarée à la maison).
Le mal du pays et l'obsession de la
grand-mère cherchant en vain à regagner le "continent" Chinois en
oubliant que Taïwan est une île est le prétexte à une échappée loufoque
qui façonne un souvenir d'enfance inoubliable pour Ah-ha. La sœur aînée
exprime résignée son dépit quand malgré ses examens réussis elle doit
laisser la priorité au garçon d'aller à l'université. Cet art de la
révélation intime par un focus discret sera même bouleversant lors de la
conclusion où le tempérament distant du père aura pour explication
posthume la peur de contaminer ses enfants par son mal.
La candeur de l'enfance laisse place à l'adolescence désabusée pour
Ah-ha et Hou Hsiao-hsien restreint son dispositif pour rendre la mort
plus présente dans le cycle de la famille. Cela correspond à la fois au
regard du héros plus conscient de ce genre de chose, mais aussi de
l'épreuve du temps qui s'abat sur le foyer. Les strates se réduisent
dans les plan fixes de l'intérieur de la maison, au fil de la diminution
de ses membres et l'enfance lumineuse laisse place à une atmosphère
funèbre telle cette scène où la mère souffrante est veillée par sa fille
dans une sombre et voilée. Les respirations du récit sont plus tendre
que drôle désormais comme cette magnifique scène de confidence
mère/fille où se partage la difficulté de la condition féminine.
Le
monde extérieur devient un exutoire pour le mausolée que devient
progressivement la maison avec ses bagarres de bandes futiles. Un temps pour vivre, un temps pour mourir
tient avec brio la promesse de son titre en étant jamais totalement
euphorique, ni complètement dépressif. Les détails triviaux servent
l'intimité et la proximité pour rire (les éjaculations nocturnes, les
toilettes qui sentent le lait dont se gave un des petits frères) en
signe de vie, tout comme ils indiquent la présence de la mort comme ses
fourmis prévenant du dernier sommeil de la grand-mère. Ah-ha traverse le
récit et se construit dans cette découverte de l'équilibre régissant
l'existence, tout en conservant son fond bienveillant (les larmes lors
des funérailles de la mère sont très touchantes au vu du stoïcisme du
personnage). Un œuvre magnifique, à l'émotion sobre ((très beau
leitmotiv de piano de Chu-chu Wu) et toujours juste.
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