Une institutrice de village déménage en cours d’année et se fait remplacer par son frère, Ta-nien, originaire de Taipei. Celui-ci fait la connaissance de ses nouveaux élèves, notamment le groupe des « trois mousquetaires » composé des espiègles Cheng-kuo, Chin-shui et Wen-chin. Séduit par une de ses collègues, le citadin Ta-nien prend progressivement goût à sa nouvelle vie à la campagne…
Troisième film de Hou Hsiao Hsien, Green, Green Grass of Home vient conclure une trilogie de films sentimentaux et ruraux tournés avec l'acteur (et vedette de canto-pop) Kenny Bee après Cute Girl (1980) et Cheerful Wind (1981). Green, Green Grass of Home est donc une œuvre de transition entre le Hou Hsiao Hsien première manière et la veine plus personnelle de sa tétralogie autobiographique (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986)). Cette bascule est notamment formelle puisque la tonalité romantique des premiers films s'articule dans une veine plus documentaire.Tout au long du film Hou Hsiao Hsien n'a de cesse d'imprégner le spectateur de la topographie du village, des spécificités de ces différents environnements, et il rebondit toujours sur ce socle géographique pour développer la dramaturgie du récit, la caractérisation des personnages. Le magnifique plan d’ensemble d’ouverture laissant voir en plongée tout le village et les immenses collines verdoyantes en arrière-plan est une note d'intention. Les multiples trajets que va effectuer le jeune instituteur Ta-nien de son domicile à l'école travaille à la fois l'idée d'un quotidien où se développe à la fois la complicité à ses élèves qu'il croise, mais aussi le rapprochement amoureux avec sa collègue Su-yun (Meifeng Chen). C'est sur ce même chemin qu'empruntent nonchalamment les enfants quand ils se rendent le matin à l'école, et qu'ils dévalent dans l'autre sens à cor et à cris quand ils la quittent. C'est une manière de dessiner la personnalité de quelques-uns dont les très turbulent "trois mousquetaires". Enfin ce trajet est coupé par le chemin de fer et son wagon qui traverse la ville, symbole d'arrivée anonyme puis de départ émouvant de Ta-nien en début et fin de récit, ainsi que l'introduction de la modernité en ces lieux encore bercés de tradition. Hou Hsiao Hsien apporte d'infinies variations à ces vas et vient. Un délicat panoramique en longue focale suit les déambulations complices entre Ta-nien et Su-yun, plus tard un mouvement de grue accompagne le retour chez lui de Cheng-kuo, l'un des trois mousquetaires. Le réalisateur applique le même dispositif aux autres espaces du film, à savoir une dimension poreuse où l'individu est toujours dépendant du collectif dans ses aspirations, que ce soit pour être loué, épié ou calomnié. On en a un versant comique quand la sœur aînée de Cheng-kuo le démasque en train de signer lui-même un contrôle raté et le dénonce à leur père. Elle surgit dans un coin du cadre quand Cheng-kuo effectue son méfait et Hou Hsiao Hsien nous fait passer d'une pièce à l'autre par un mouvement de caméra qui aboutit sur l'engueulade paternelle. Dans des proportions plus grandes, l'arrivée impromptue d'une prétendante de Ta-nien en plein cours le désavoue face à Sun-yun, et symboliquement le fait que l'intruse l'entraîne en voiture aux limites du village traduit le statut d'encore étranger de la ville pour Ta-nien. Il y a d'autres lieux qui seront tour à tour motifs d'ouvertures ou de ruptures. La rivière où certains pêcheurs s'adonnent la pêche à la tige électrique désastreuse pour l'environnement sera le cadre à la fois d'élans collectifs, de maux intimes mais aussi de réconciliation. Là encore Hou Hsiao Hsien passe par toutes les émotions, et qu'ils répercutent sur tous les personnages. Une bagarre burlesque s'entame quand Ta-nien cherche à stopper un pêcheur destructeur, puis ce sera un sentiment plus douloureux quand le père du "mousquetaire" Wen-chin sera vu par tous ses camarades en train de pêcher à la tige électrique. L'école est l'espace de transition où Ta-nien octroie ses vertus humanistes et écologiques pour éveiller la conscience de ses élèves (très belle et simple explication des raisons de préserver la nature lors d'une scène), tout en étant ceux où leur différences (sociale, de caractère, de niveau scolaire) se ressentent à vif et entraînent des conflits. Le ton du film est avant tout bienveillant, et donc tous les espaces du film fonctionnent en écho les uns des autres pour célébrer un rapprochement, le positif d'une vie en communauté, qu'elle soit intime dans le foyer ou collective dans le village. Le monde extérieur (et par extension la modernité) n'est jamais un ennemi, mais contribue à ce bien vivre ensemble. C'est l'annonce d'une initiative similaire lue dans le journal qui incite Ta-nien à monter un fond collectif visant à protéger la rivière. La fugue de Wen-chin vers Taipei et le retour auprès de son père permet de crever l'abcès lors d'une poignante scène de réconciliation. La fin du film offre un magnifique condensé de cette philosophie en deux scènes.
La pièce de théâtre des élèves exprime dans
le même élan la spontanéité, la communion et la responsabilité dans un
cadre scénique introduit dès le début du film. Et enfin la dernière
scène nous fait effectuer une ultime fois le trajet du train-wagon de la
gare vers l'extérieur, emmenant certains personnages vers un autre
destin mais chargés de souvenir, et poursuivis par un groupe d'enfants
rieurs pour un bel au revoir. Hou Hsiao Hsien a certainement fait plus
profond, sophistiqué et cérébral par la suite dans ses films plus
acclamés, mais des œuvres "mineures" comme celle-ci on en demande tous
les jours.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta
Extrait
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