Dans une petite ville de province, deux amies Karen Wright et Martha Dobie dirigent une institution pour jeunes filles, aidées par Lily, la tante de Martha, une ancienne actrice excentrique. Fiancée au médecin Joe Cardin, Karen a du mal à s'engager et à laisser à Martha la direction de l'école. Mary, une élève insolente et menteuse, alors qu'elle a été punie, lance la rumeur que les deux professeurs ont une relation "contre-nature". Elle commence par le raconter à sa grand-mère...
La Rumeur fut un des tout premiers films hollywoodiens à aborder ouvertement la question de l'homosexualité. Le film offrait l’occasion à William Wyler de se montrer plus respectueux de la pièce de Lilian Hellmann qu’il avait adapté une première fois en 1936 avec Ils étaient trois. Dans cette version, Code Hays oblige, toute allusion à l’homosexualité disparaissait remplacé par un plus commun récit de triangle amoureux auquel venait se greffer la thématique de la rumeur issue de la pièce. Miriam Hopkins tenait dans ce premier essai le rôle tenu par Shirley MacLaine dans le remake et joue cette fois sa tante. Shirley MacLaine se plaindra néanmoins plus tard d’un Wyler encore trop timoré qui recula finalement en coupant nombre de séquences trop explicites au montage mais qui depuis ont été réintroduite dans le film lors de sa sortie dvd.
Le récit narre les tourments de deux directrices d'école jouées par Shirley MacLaine et Audrey Hepburn qui se voient montrées du doigt par la communauté suite aux accusations lancées par une élève voulant se venger d'une punition. Le tout début fonctionne comme les autres films de l'époque abordant le sujet, dans le nom dit et la suggestion : le personnage de MacLaine éternellement célibataire et jalouse de James Garner fiancé d’Hepburn, cette dernière si obstinément attachée à son amie qu’elle refuse les multiples demande en mariage dont elle est l’objet et ne semblant jamais totalement se laisser aller au contact de son fiancé. Sans que le mot homosexualité ne soit prononcé, Wyler distille une ambiance trouble bascule lorsque le sujet est abordé frontalement lorsque le scandale éclate enfin.
Le film devient très intéressant du point de vu des réactions de la population lorsque la rumeur se répand, avec tous les enfants retirés de l'école sans explication et les deux héroïnes traitées en paria. Cela pourrait donc être un énième récit sur le pouvoir de la calomnie mais la conclusion risquée voit carrément l'aveu de Shirley MacLaine lors d'une scène poignante où elle exprime toute la détresse et l'incompréhension qu'elle a de ressentir de tels sentiments.
Cette culpabilité est renforcée par le cadre oppressant de cette petite ville américaine puritaine. Le personnage d’Hepburn s’avère plus ambigu. Attachée à son amie mais ne partageant pas ses penchants, elle instille néanmoins le doute car malgré sa relation « normale » avec un homme une scène muette lors de la conclusion laisse à supposer qu'elle allait retrouver MacLaine suite à sa confession. Pour la réconforter ou lui avouer une attirance réciproque, la question restera entière…
Malgré l’audace du propos aucune scène trop ouvertement sensuelle ne traverse bien sûr le film et on peut néanmoins s’interroger sur la morale finale. Le courage tiens plus au fait de traiter du sujet que de le défendre, l’homosexualité étant malgré tout vue comme une malédiction et Shirley MacLaine punie pour sa « déviance » lors de la conclusion. Entre mélodrame et quasi thriller par instant, Wyler offre pourtant une œuvre marquante où le visage de la haine est aussi celui de l’innocence avec une terrifiante méchante qui n’est pourtant qu’une gamine de 10 ans (fabuleuse Karen Balkin).
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
Le bruit court, nous dit-on, que La Rumeur ne jouit pas véritablement des audaces thématiques qu'on lui prête. Ce n'est pas loin d'être faux (le saphisme n'y est touché – in extremis- que du bout du doigt, et encore: vendu comme une pathologique déviance) sans pour autant être exact (se replacer dans l'époque est une perpective à ne pas négliger).
RépondreSupprimerLa vigueur qui, en revanche, ne saurait être discutée, c'est le moderne de la mise en forme, rien moins que brillante. Loin de l'académisme massif d'un Ben Hur (auquel on peut penser dés lors qu'on évoque ce besogneux artisan de Wyler), le titre fait preuve d'une multitude de témérités formelles d'une confondante efficacité (profondeur de champs, jumps cuts, décadrages, etc.) et au signifiant tantôt parmi les plus élégants (le film évite avec grâce et finesse bien des écueils mélodramatiques et pathétiques), tantôt les plus lyriques.
Malgré le théseux du sujet et sa persistance thématique chez le réalisateur (qui avait déjà adapté la pièce originelle en 36), nonobstant la malice évidente du casting (les wilderiennes Hepburn et MacLaine sortent respectivement des cartons emblématiques (et glamorous) Breakfats at Tiffany's et La Garçonnière) et le cabotinage d'enfants-acteurs mal canalisés (ouh la pénible Karen Balkin que vous trouvez quant à vous "fabuleuse" !), le titre se distingue par sa continuelle élégance, sa nette marque européenne (un découpage et une grammaire technique digne des meilleures nouvelles vagues, fussentelles françaises ou italiennes) et son inaltérable intensité.
http://eightdayzaweek.blogspot.com/2010/08/la-rumeur.html
Belle analyse ! Pour ce qui est de la petite Karen Balkin je trouve vraiment que Wyler a réussi avec talent à la rendre monstreuse (surtout un moment où elle intimide une petite camarade complice qui m'a marqué) même si peu être que l'outrance et la théâtralité de l'approche peu gêner.
RépondreSupprimerSinon assez d'accord sur la mise en scène, Wyler transcende les limites et les interrogations que peuvent susciter son approche de la question par sa réalisation inventive? C'est vrai que ces détracteurs l'accusent d'académisme mais c'est toujours très pensé chez lui et pas si "plan plan" que cela...
D'accord avec tous deux...
RépondreSupprimerJe garde le souvenir d'un film passionnant et magnifiquement réalisé.