Le producteur Harry Pebel convoque dans son bureau Georgia Lorrison, une grande actrice, Fred Amiel, un jeune réalisateur, et James Lee Bartlow, un écrivain. Pebel attend un coup de téléphone de Jonathan Shields. Celui-ci a permis à ces trois personnes d'accéder au rang de star mais s'est parfois mal comporté avec elles. Aujourd'hui en difficulté, il leur demande de l'aider.
Au début des années 50 Hollywood effectue comme un retour sur lui-même à travers diverses œuvres qui en dévoilent des coulisses moins scintillantes que les machines à rêves vendues sur les écrans et dans les magazines. Des films comme
Sunset Boulevard,
All About Eve (si on élargit au monde du spectacle) ou même
Chantons sous la pluie (qui sous la comédie illustre également une réalité difficile) portaient un regard nostalgique, passionné mais aussi étouffant et aliénant du monde Hollywoodien.
Les Ensorcelés s'inscrit dans ce courant avec tout autant de réussite, par la grâce de script de Charles Schnee et George Bradshaw ainsi que du brio narratif de Minnelli qui signe un de ses très grands films.
Alors que les films précités se dotaient d'un certain recul en convoquant des gloires déchues (Von Stroheim et Gloria Swanson dans
Sunset Boulevard), des périodes appartenant déjà à un autre Hollywood (
Chantons sous la pluie) ou par un milieu voisin mais néanmoins différent (le monde du théâtre de
Eve),
The Bad and the Beautiful s'avère lui un reflet vivement contemporain au Hollywood qu'il décrit. Les références et inspirations ne sont pas datés et certains portraits s'inspirent de protagonistes encore actifs au moment du tournage.
L'inspiré, torturé et tyrannique producteur incarné par Kirk Douglas est ainsi un savant mélange de David O'Selznick (Jonathan Shields étant même issu comme son modèle d'une dynastie hollywoodienne déchue et ruinée), Val Lewton (les débuts modestes dans la série B, l'inspiration géniale de la peur hors-champs réutilisée telle quel) et un soupçon de Darryl Zanuck. En interprétant un personnage autodestructeur Lana Turner n'est pas sans rappeler Judy Garland, ex épouse du réalisateur qui la réinventa et se lia à elle sur
Le Chant du Missouri.
Le film se fait le portrait de Jonathan Shields (Kirk Douglas), un producteur qui n'est pas seulement un homme de cinéma mais qui EST le cinéma et n'existe que par lui. Jonathan Shields ne sera tout au long du récit qu'une forme d'attraction toujours vu à travers les yeux d'autres narrateurs, admiratifs ou révulsés. Les scènes où une action de Shields s'éloigne d'un des trois personnages qui amorcent les flashbacks sont quasi absentes (si ce n'est le coup de fil fatal de Shields à Gaucho pour séduire la femme de Dick Powell ou Minnelli pouvait difficilement faire autrement) et lorsqu'il intervient dans le temps présent du récit c'est un être abstrait à travers un combiné de téléphone. La dévotion et l'association de Shields à son art se fait ainsi de manière fort subtiles avant que ses actions entérinent cette idée.
Les trois flashbacks se s'adaptent narrativement et visuellement aux fonctions des personnages dans les milieux du cinéma. Le plus référentiel sera le premier avec le réalisateur incarné par Barry Sullivan (les allusions à Val Lewton déjà évoquées dont l'explicite à
La Malédiction des Hommes-Chats, un discret hommage à
Citizen Kane lorsque Amiel et Shields sont dans une salle de projection plongée dans l'obscurité) formidable description d'une ascension hollywoodienne et superbe illustration d'un vrai processus créatif.
Le souvenir le plus passionné viendra avec l'actrice Georgia Lorrison (Lana Turner), tout en émotion écorchée grâce à la prestation flamboyante d'une touchante Lana Turner (incroyable performance lors du plan-séquence où elle perd pied en voiture trahie par Shields). Le plus stylisé sera celui du scénariste Dick Powell, la voix off décalée et les motifs de répétition
(I started to work...) se faisant le parallèle du style et des aptitudes littéraires du personnage. Tous trois sont d'ailleurs le symbole chacun d'une tradition ou d'une mutation d'Hollywood, le réalisateur vedette, le star-système ou l'arrivée des intellectuels dans le milieu.
Chaque souvenir renforce l'idée d'un Jonathan Shields éloigné de toute humanité pour ne plus être qu'une créature de cinéma, attirante et repoussante. Shields par sa détermination et son génie se montre capable de stimuler le talent (Barry Sullivan), de le distinguer là où personne ne le voit (Lana Turner) ou de le mettre dans les dispositions idéales pour s'épanouir (Dick Powell). Pour ce faire aucune exactions n'est de trop, simuler une passion amoureuse, une amitié ou éloigner de manière fatale une épouse gênante.
Une fois tiré la substance de ses victimes, il se les aliène plus ou moins consciemment avec un Minnelli orchestrant des instants d'une terrible cruauté à chacune de ces ruptures. Kirk Douglas (qui ironiquement se muera ensuite en producteur omnipotent dont Mann, Kubrick ou Aldrich garderont un douloureux souvenir) est absolument extraordinaire et passe par tous les états de l'homme écran qu'il incarne : cajoleur, charmeur, déterminé dans le travail puis glacial, ambitieux et mégalomane dès qu'il en sort.
Et tout comme dans un film qui nous aura ébranlé mais donné envie d'y revenir, c'est le même cheminement que suit le trio rancunier qui malgré tout n'attend que de revivre cette expérience auprès de celui qui sut si bien les stimuler et les persécuter. Une formidable conclusion en forme de
show must go on idéal. Minnelli moins bien disposé en tirera une morale bien différente dans la suite officieuse de ce chef d'œuvre,
Quinze Jours ailleurs où il retrouvera Kirk Douglas.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
Grand film
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