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samedi 16 janvier 2021

La Vallée de la peur - Pursued, Raoul Walsh (1947)


 Territoire du Nouveau-Mexique, au début du XXe siècle, Medora Callum recueille Jeb Rand, un jeune enfant dont le père vient d'être assassiné, et l'élève avec ses deux propres enfants, Thorley, alors âgée de trois ans, et Adam, quatre ans. Ceux-ci devenus adultes, elle veut partager ses biens en trois parts égales, ce qui provoque avec Adam, qui a toujours considéré Jeb comme un intrus, un conflit, exacerbé par la naissance de relations amoureuses entre Thorley et Jeb... Mais la famille Callum n'est pas sans relation avec ce qui est arrivé lorsque Jeb était enfant et qui hante ses cauchemars...

La Vallée de la peur est un grand western dont la dimension romanesque et torturée n’est pas sans rappeler, en plus introspectif mais tout aussi stylisé, le légendaire Duel au soleil de King Vidor sorti l’année précédente. La comparaison s’impose forcément puisque Niven Busch, le scénariste de La Vallée de la peur, est l’auteur du roman dont est adapté Duel au soleil. Niven Busch débute à Hollywood dans les années 30 où il prête sa plume à des genres divers (le Pré-Code Miss Pinkerton (1932), le film noir Le Facteur sonne toujours deux fois (1946)). En 1940 il rédige le script de Le Cavalier du désert de William Wyler, première expérience dans le western qui va lui donner goût au genre. Il va alors commencer à consulter des archives afin d’approfondir sa connaissance historique et trouver des histoires de l’Ouest à transposer. 

Ce sera le cas lorsqu’il lira le récit d’une vendetta où après avoir tué l’ensemble d’un clan ennemi, les vainqueurs vont adopter un petit garçon seul survivant chez leur adversaire. Cela va lui inspirer le postulat de La Vallée de la peur, un projet qu’il va personnellement chapeauter après quelques déconvenues (il se plaindra notamment d’avoir vu ses dialogues dénaturés dans les versions finales de Duel au soleil et Le Facteur sonne toujours deux fois). C’est lui qui choisira Robert Mitchum pour le rôle principal (après avoir envisagé Montgomery Clift) et Raoul Walsh à la mise en scène tandis que le premier rôle féminin a été spécifiquement écrit pour son épouse d’alors Teresa Wright. 

Le choix de Raoul Walsh est à la fois étonnant et judicieux. Walsh n’est pas un cinéaste cérébral et porté sur l’onirisme, et c’est justement ce qui lui permet d’introduire ses notions sans lourdeur au sein du récit. Jeb Rand (Robert Mitchum) est hanté par un traumatisme d’enfance qu’il n’arrive pas à matérialiser, mais cet évènement joue constamment de manière néfaste sur son destin. C’est par lui qu’orphelin il se retrouve adopté par la famille Callum, qui lui suscite un ennemi dont il ne s’explique pas l’animosité avec l’infâme Grant Callum (Dean Jagger) et qui semble irrémédiablement attirer la violence et le malheur sur lui. 

Le refus de sa mère adoptive (Judith Anderson) de lui dire la vérité fait de ce passé un élément qui hante Jeb, de manière psychanalytique avec les fragments de l’évènement lui apparaissant dans ses moments de grandes anxiété, mais aussi par l’atmosphère qu’instaure Walsh. Si les attaques directes de Grant Callum (qui tente d’assassiner Jeb dès l’enfance) sont là pour nous rappeler la menace qui pèse sur Jeb, les agissements de cet antagoniste sont plus sournois, cherchant par une parole fourbe à attirer l’opprobre sur notre héros, comme la main invisible d’une destinée destructrice. Chacune de ses manœuvres avive une haine injuste sur Jeb et l’isole un peu plus de son entourage, que ce soit sa mère adoptive ou son aimée Thorley (Teresa Wright). 

Ce sentiment pesant et inéluctable s’exprime notamment par la manière dont s’articulent certains évènements cruciaux, comme cette mobilisation dans l’armée jouée à pile ou face entre Jeb et son frère Adam (John Rodney). Ce rebondissement est emprunté au roman Le Maître de Ballantrae de Robert Louis Stevenson et, si l’opposition fraternelle ne constitue pas le cœur du récit, l’ambiance gothique et quasi surnaturelle relève de cette influence littéraire. La photo de  James Wong Howe construit des ambiances stylisée et oppressante ou le dilemme des personnages passent par la seule image. L’onirisme s’invite ainsi lors d’une scène d’enterrement ou les noirs amplifiés du voile que porte la mère Callum sur le visage trahit la profondeur de sa culpabilité et du secret qu’elle dissimule, tandis que le flottement du voile blanc de Thorley laisse supposer ses sentiments purs tout comme ses doutes.

Le Hitchock de Soupçons s’invite dans l’inquiétant huis-clos de la nuit de noce entre Jeb et Thorley, le clair-obscur de la chambre sous-entend la défiance mutuelle du couple et s’éloigne de toute velléité romantique. L’usage des grands espaces est très original également. Le décor sert l’action et le suspense tout en ayant une portée symbolique pour les personnages. La menace d’Adam cherchant à tuer Jeb par surprise se révèle progressivement sous forme de silhouette dans un recoin de l’écran, masquant son identité mais exprimant finalement qu’au plus profond de lui-même, notre héros devine que ses malheurs sont dût aux Callum. Les rocheuses immenses qui rendent minuscule la silhouette de Jeb chevauchant peut également être vu comme la barrière psychique qui lui obstrue encore son souvenir traumatique.

La force de Walsh est par son approche directe et lyrique, de laisser libre cours à cette interprétation sans appuyer la symbolique et en restant dans les codes du western. Le spectateur « ressent » le sous-texte sans effet grossier (péché mignon d’Hollywood dès qu’il s’agit d’introduire des éléments psychanalytiques), y compris dans le jeu des acteurs. Robert Mitchum est parfait, avec des démonstrations de violence qui trahissent ses failles ou la fatalité qui pèse sur lui, alors que quand il accepte pacifiquement la tournure des évènements sa vraie force et paix intérieure transparaît. 

Teresa Wright est excellente aussi dans un même clair-obscur ou l’innocence dissimule la sensualité, ou la haine abrite l’amour le plus ardent. C’est vraiment captivant et tout juste reprochera –t-on certains revirements ou les attitudes des personnages se comprennent sur le fond thématique du récit, mais sont sans doute un peu abrupts dans la forme, tout ce qui concerne la mère Callum surtout. La Vallée de la peur n’en reste pas moins un magnifique western unique en son genre, pour ceux que l’emphase et la démesure de Duel au soleil rebute, en voici un pendant hanté et introspectif. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sidonis

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