Au fil du temps, David Cronenberg a imposé un univers transcendant les frontières du cinéma expérimental où il débuta, le fantastique qui le rendu culte chez les initiés et au final le cinéma d’auteur qui l’imposa au sein de la critique. Cronenberg porte des thématiques et obsessions qui renversent, transgressent le rapport au monde de l’individu comme va le démontrer l’ouvrage de Fabien Demangeot.
L’auteur définit cette transgression en trois axes : corporels, sexuels et psychiques. Il s’appuie sur le traitement que Cronenberg fait des mutations corporelles qui peuplent sa filmographie. Cette transformation ne sonne pas comme déchéance ou une monstruosité comme dans des films d’horreur organiques comme The Thing (1982), mais comme un nouvel état bouleversant la perception et vécu comme un éveil, une évolution par les héros. Ce sera le cas pour le Jeff Goldblum de La Mouche (1986) dont la mue décuple les aptitudes avant de le faire devenir autre chose, ce qu’il appréhende jusqu’à sombrer dans une forme de mégalomanie. Fabien Demangeot s’appuie d’ailleurs aussi sur son roman Consumés (Cronenberg ayant aussi entamé une carrière littéraire depuis 2014) pour montrer que les physiologies « autres » peuvent dégager une autre forme d’attrait sexuel avec cette femme altérée par la maladie mais qui excite toujours autant son époux qui par ce biais inaugure de nouveaux jeux érotiques de couple. Les symboles et attributs sexuels inversent les notions de masculins et féminins, de stimulation du désir dans l’accès aux mondes virtuel d’Existenz (1999), les trips de Le Festin nu (1991) ou le désir trouble de M. Butterfly (1993) et la fusion humain/objet dans Vidéodrome (1983). L’auteur souligne que la mise en scène de Cronenberg se déleste des codes du cinéma gore dans son approche de la transformation, nous ne sommes ni dans la jubilation sanguinolente, ni dans la recherche du dégout du spectateur, mais la recherche d’un sentiment autre – le final dramatique de La Mouche inventant littéralement le gore qui fait pleurer.
Crash (1996) entrecroise sans l’argument fantastique ces transgressions corporelles, sexuelles et psychiques à travers la quête de stimuli des personnages par les accidents de la route. Cronenberg montre comme au sein de ces autres films, cette évolution déshumanise, que ce soit par l’alliance des corps et la tôle froissée, des espaces ternes et vides du récit ou de l’absence de sensualité dans les coucheries qui se résument à l’urgence du coït. Fabrice Demangeot montre ensuite dans les œuvres récentes le rapport complexe des personnages de Cronenberg à leurs maux psychologiques. Alors que dans un Chromosome 3 (1979), le mal-être de l’héroïne surgit de son corps sous formes d’être organiques meurtriers. Dans Spider (2002), la schizophrénie sert à camoufler la culpabilité d’un matricide, le rapport aux abus subis durant leur enfance trouble la notion de désir des héroïnes de A Dangerous Method (2011) et Maps to the stars (2014), et la cellule familiale est bouleversée par la double vie du père dans A History of Violence (2005). Fabrice Demangeot base son analyse sur une foule de sources passionnantes comme le cinéma expérimental, l’art contemporain ou la philosophie pour donner des pistes très originales à son ouvrage constamment stimulant.
Edité chez Playlist Society
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