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mercredi 20 novembre 2024

Brève histoire d'amour - Krótki film o miłości, Krzysztof Kieślowski (1988)

Tomek, 19 ans, épie de la fenêtre de son appartement Magda, femme d'une trentaine d'années, qui habite l'immeuble d'en face. Pour attirer son attention, il lui passe des coups de téléphone anonymes et lui envoie, du bureau de poste où il travaille, des convocations sans motifs. Il se décide enfin à l'aborder, et lui avoue qu'il l'observe depuis des mois.

Le cycle Le Décalogue (série de téléfilms se référant chacun sur un thème autour des Dix Commandements) valut à Krzysztof Kieslowski une reconnaissance critique immense, à l’international davantage même qu’en Pologne. C’est cette réussite qui allait mettre en orbite le réalisateur pour les grandes réussites et succès à venir, porté par des castings internationaux, avec La Double vie de Véronique (1991) et la trilogie Bleu (1993), Blanc (1994), Rouge (1994). Avant de s’attaquer à ses projets ambitieux, Kieslowski va capitaliser sur le succès de Le Décalogue et offrir des versions longues destinées au cinéma (les téléfilms initiaux duraient moins d’une heure) avec Tu ne tueras point (1988) et Brève histoire d’amour (1988). Ce dernier est donc le prolongement de Tu ne seras pas luxurieux, sixième volet du Décalogue.

Brève histoire d’amour est autant une variation qu’un prolongement du récit initial, dont il s’avère un pendant moins désespéré. Le postulat rappelle forcément Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (1954) avec ce jeune homme, Tomek (Olaf Lubaszenko), épiant au télescope l’appartement de Magda (Grażyna Szapołowska), femme adulte vivant dans l’immeuble d’en face. Malgré les situations intimes qu’il saisit (Magda se baladant en sous-vêtements, ses coucheries avec des amants de passages), ce voyeurisme ne repose guère sur une veine sexuelle et voyeuriste. La petite vie Magda constitue un rayon de soleil dans le quotidien terne et solitaire de Tomek, qui en fait un rendez-vous attendu de ses fins de journée. C’est un élément travaillé par Kieslowski, jouant des lampadaires extérieurs pour illuminer le visage de Tomek lorsqu’il épie Magda l’œil dans son télescope, et par le contrepoint qu’offre sa modeste et triste chambre face à l’agitation d’en face. Bientôt ces entrevues distancées ne suffiront plus, et Tomek va provoquer des « rencontres » plus directes et s’immiscer dans la vie de Magda par divers procédés discutables. Kieslowski fait de nouveau dans le contrepied et, au thriller attendu il y aura au contraire une prise de contact surprenante de Tomek avec son aimée. 

L’imprévisibilité du récit repose sur le mal-être commun des deux personnages. On a seulement pu l’observer de loin pour Magda, mais sa réaction passant de la surprise horrifiée crédible à une forme de curiosité voire de séduction trahit cela. La candeur désarmante de Tomek le rend inoffensif et presque attachant, mais une nouvelle fois ce voyeurisme désormais connu des deux côtés ne débouche pas sur la situation érotique attendue. Il y a une complicité factice se jouant dans le vis-à-vis des fenêtres à travers les provocations de Magda, ainsi que dans sa façon de troubler par le geste et le regard un Tomek empoté lorsqu’ils se côtoient réellement. Habituée à être malmenée par les hommes, Magda trouve une victime consentante en Tomek incapable de gérer ses moqueries. Un évènement tragique va pourtant renverser la dynamique des deux protagonistes.

Kieslowski opère un fascinant transfert qui opère dans les situations et motifs formels quand l’épiée Magda devient la voyeuse à son tour. Est-ce le remord ou la naissance d’un sentiment amoureux qui l’anime, la question reste en suspens. Alors que les bribes de la personnalité de Magda se devinaient par les bribes de vie volée par Tomek, le rapport change et approfondit paradoxalement par son absence l’esseulement et la solitude de ce dernier. Kieslowski nous avait préparé à cela par une forme d’étape intermédiaire lorsque la propriétaire (Stefania Iwinska) de Tomek avait le temps d’une scène observé l’appartement de Magda où se trouvait alors Tomek. Bienveillance, jalousie (malgré la différence d’âge significative), inquiétude, le geste ambigu participe à ce panorama de la solitude urbaine et existentielle. Kieslowski est ici à une étape intermédiaire de son œuvre, entre l’austérité des débuts irriguant encore Le Décalogue et la poésie visuelle qui soulèvera les moments de grâce de La Double vie de Véronique et la trilogie Bleu, Blanc, Rouge. A la sinistrose urbaine (administration, magasins, ruelles et HLM lugubres) dominante cède dont une véritable poésie fugace, notamment par l’idée évoquée plus haut d’illuminer le visage de Tomek lorsqu’il épie Magda. 

Le fait que la stylisation intervienne précisément sur ce genre de scène n’est pas anodin. Tomek est paradoxalement heureux dans sa situation de voyeur, et ne sombre que quand il se heurtera aux limites (et à son manque d’expérience) lors d’une vraie rencontre. Magda se fait cruelle et railleuse jusqu’à ce que la séparation houleuse avec Tomek éveille en elle remord, inquiétude et un possible sentiment amoureux. En somme, l’espérance, l’attente et le regard à distance apparaît comme une expérience plus sereine de la romance. Tant que l’on est dans le fantasme, impossible d’être blessé. Kieslowski avait opté pour une conclusion plus rugueuse et désabusée dans la version téléfilm. Son actrice Grażyna Szapołowska lui fit remarquer qu’il se jouait malgré tout quelque chose de beau dans cette relation, et l’incita à donner une fin plus heureuse au long-métrage. On peut considérer que la teneur romantique du récit dépassa le réalisateur - qui y voyait quelque chose de plus désespéré – par les réactions du public, et l’influença peut-être justement dans la veine plus romanesque présente dès La Double vie de Véronique.

La magnifique scène finale adoube ainsi le renversement entre Tomek et Magda, cette dernière prenant le « poste » de son voyeur pour observer son propre appartement. Là, elle sera spectatrice de ce qui aurait pu être, revoyant un moment de détresse passé pour lequel cette fois elle bénéficie d’un réconfort inattendu. Cette fin repose-t-elle sur le seul regret ou la promesse de plus beaux lendemains ? C’est ce doute qui fait toute la beauté de Brève histoire d’amour.

Sorti en dvd zone 2 français chez MK2

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