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dimanche 17 novembre 2024

La Nuit où mon destin s'est joué - The Night My Number Came Up, Leslie Norman (1955)


 Au cours d’une escale aérienne entre Hong Kong et le Japon, le colonel Lindsay raconte son rêve de la nuit précédente : son avion était pris dans une tempête et s’écrasait. Peu à peu, tous réalisent qu’ils sont en train de vivre la même histoire. Le destin de l’avion va-t-il dépendre du cauchemar prophétique… ?

The Night My number Came Up est une des dernières “authentiques” productions Ealing, puisque tournée dans les studios situés dans le quartier londonien éponyme ayant valu son nom à la firme. Les studios furent rachetés en 1955 par la BBC pour y filmer des séries télévisées et les films Ealing furent produits aux studio MGM d'Elstree avant que la firme cesse son activité deux ans plus tard. Les meilleurs films Ealing de l’âge d’or des années 40/50 jouent grandement sur une tonalité de « comédie humaine » au sein de laquelle le curseur s’accentue au choix vers l’ironie et l’humour tendre, ou une vraie forme de noirceur, parfois un subtil entre-deux. Si une ironie subtile baigne le film, le ton verse davantage vers le côté sombre avec le récit à suspense de The Night My Number Came Up. On retrouve là l’observation subtile d’un microcosme confronté à une situation extraordinaire, argument exploité chez Ealing dans une pure veine réaliste dans Went th Day Well d’Alberto Cavalcanti (1942), ou plongeant dans le fantastique avec L'Auberge fantôme (1944) et They came to a city (1944) de Basil Dearden. Le postulat préfigurant un peu la teneur de certains épisodes de La Quatrième dimension, place aussi le film dans le sillage du célèbre A cœur de la nuit (1945), film à sketches reposant sur le pur suspense surnaturel.

L’idée du film naît de l’expérience étrange de Victor Goddard, officier de la Royal Air Force qui, lors d’un vol d’inspection en 1935, eut la vision des contours de l’aérodrome désaffecté de Drem (en Ecosse) tel qu’il serait après sa rénovation en 1939, avions modernes et nouveaux uniformes inclus. Il rapportera l’expérience en 1951 après sa retraite dans son livre Flight Toward Reality, et cela fera l’objet d’un article dans le Saturday Evening Post la même année. C’est sur ce dernier que va tomber Leslie Norman qui, désormais producteur après être entré à Ealing comme monteur, y décèle le sujet de son possible premier long-métrage. Michael Balcon, patron du studio, en confie le scénario à R. C. Sherriff et le film entrera rapidement en production.

Le script conserve l’argument de la vision prémonitoire et du cadre de l’aviation, pour emmener dans un mélange de suspense et de drame le récit vers cette notion de comédie humaine. Lors d’une escale à Hong Kong avant un vol vers Tokyo, le groupe de futurs passagers est informé par le colonel Lindsay (Michael Hordern) du rêve de celui-ci où il les voyait en proie aux difficultés durant le voyage. La vision semble nette au niveau des détails comme le nombre de passagers, le modèle d’avion et l’issue fatale. D’abord prise sur le ton de l’humour, la prémonition va dangereusement prendre forme avant et durant le voyage en faisant correspondre des détails qui ne correspondait pas initialement. Leslie Norman applique en premier lieu une implacable recette hitchcockienne pour construire la tension, à savoir la montée du malaise plutôt que le twist. La narration en flashback nous informe que pour l’essentiel, les contours du rêve se sont bien réalisés. Le suspense ne repose donc pas sur la réalité de la prémonition mais sur l’exactitude de sa réalisation, et surtout sur les réactions que cette hypothétique épée de Damoclès génère chez les personnages.

Le cadre étranger et plus spécifiquement colonial de Hong Kong conforte ce microcosme anglais dans ses certitudes et son sentiment de supériorité. Robertson (Alexander Knox), l’un de ceux qui sera les plus liquéfié par la peur ensuite, va se moquer initialement des Chinois et de leurs rites superstitieux en début de films. Le doute et la peur se diffusent tel un virus au fur et à mesure que les « coïncidences » font s’emboiter le rêve et la réalité, ce que Norman capture dans un habile mélange de retenue et d’emphase. Cela se joue dans l’étude de caractères, que ce soit dans le rationalisme trop forcé pour être honnête de Hardie (Michael Redgrave), les silences angoissés de Mackenzie (Denholm Elliott). Le « savoir » de la fatalité future semble être une malédiction propre à stimuler les actions susceptibles de provoquer la catastrophe annoncée, par maladresse ou forfanterie. Un rebondissement laissera croire que le groupe est tiré d’affaire, avant que les pièces du puzzle ne s’agencent à nouveaux.

Leslie Norman, oscille entre les espaces clos (l’avion en majorité) réunissant le groupe où la peur se diffuse de l’un à l’autre par une caméra et un montage fluide, et les moments plus intimistes durant lesquels il st permit de douloureusement exprimer sa terreur. Le collectif n’est pas un soutien, mais un cadre dans lequel on craint de perdre la face et la rationalité de l’occidental (et de surcroît l’Anglais) civilisé l’invite à faire face à ce danger à la fois si flou et concret. La dernière partie accompagnant le vol montre ce virus de la peur s’étendre au décor lui-même, comme si après avoir contaminé les passagers ils pouvaient désormais déborder sur l’avion afin matérialiser le sentiment de terreur en évènements explicites. Norman joue de cette progression par un travail anxiogène sur la bande-son et des visions de cette propagations (le vol en altitude congelant progressivement l’avion), les sueurs froides de l’humain (le pilote aux décisions moins assurées une fois mis au courant du rêve prémonitoire) trouvant leur extension sur la carlingue de l’avion désormais si vulnérable. 

The Night My Number Came Up sort en salle le 22 mars 1955, soit un mois avant Out of the Clouds de Basil Dearden, ce dernier traitant du quotidien d’un aéroport londonien. On peut donc imaginer que les effets spéciaux des deux films ont été conçus en parallèle. Le travail sur les maquettes, les projections et les vraies vues aériennes sont impressionnants dans les deux cas. Chacun des films part d’une notion d’hyperréalisme dans les limites des possibilités de l’époque, mais progressivement The Night My Number Came Up semble assumer sa dimension d’espace mental et de quasi-onirisme sur certaines visions – les vues enneigées de l’avion survolant les montagnes. Alors que le rêve prémonitoire se matérialise dans la réalité, cette même réalité s’orne des contours incertains du rêve ou plutôt du cauchemar alors que les protagonistes pensent courir à leur fin. La rationalité condescendante et colonialiste des protagonistes se retourne contre eux, notamment lorsque la curiosité de la vision du théâtre d'un autre désastre (le survol de Nagasaki et Hiroshima) se refuse à eux - ainsi qu'avec l'assurance fissurée de Bennett (George Rose) mercantile profiteur de guerre.

The Night My Number Cam Up est ainsi une belle réussite du versant plus sombre de Ealing, un opus majeur parmi les derniers feux du studio.

Sorti en bluray français chez Tamasa

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