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lundi 25 novembre 2024

The Ghost of Yotsuya - Yotsuya kaidan, Kenji Misumi (1959)


 Samouraï sans maître, Iemon vit avec sa femme dans la pauvreté. Alors qu'un seigneur lui propose de divorcer pour le marier à sa fille, une machination diabolique se met en place.

The Ghost of Yotsuya est l’adaptation d’un des, si ce n’est du plus célèbre conte de fantôme chinois. Il s’agit d’un « mythe » relativement récent puisqu’à l’origine on trouve la pièce de théâtre kabuki Yotsuya kaidan, écrite en 1825 par Tsuruya Nanboku. Immense succès à l’époque, la pièce a depuis bénéficiée d’une multitude d’adaptations cinématographiques. La première date de 1912 et depuis les versions fidèles, les variations et inspirations se sont faîtes nombreuses. D’ailleurs le film de Kenji Misumi sort en 1959, en même temps que ce qui est considéré comme la meilleure version avec Tokaido Yotsuya Kaidan de Nobuo Takagawa.

L’une des raisons du triomphe de la pièce originale lorsqu’elle fut jouée pour la première fois reposait sur le fait que l’inspiration de l’auteur reposait sur de vrais faits divers de l’époque connu des spectateurs. Tsuruya insère et revisite ainsi dans sa pièce le meurtre de deux serviteurs contre leur maître, ainsi que l’assassinat commis par un samouraï contre sa concubine et son amant qui était un de ses domestiques. Cet ancrage réaliste imprègne grandement la première partie qui s’avère être un mélodrame féodal relativement classique. On observe ainsi les difficultés matérielles de Iemon (Kazuo Hasegawa), samouraï sans maître et de son épouse Oiwa (Yasuko Nakada). L’adversité enferme le couple dans les archétypes de leur genre alors que la pureté de leurs sentiments mutuels est authentique. Tout à sa fierté virile, Iemon garde ses distances par honte de la situation dans laquelle il met Oiwa, cette dernière renforçant l’attitude de son époux par sa dévotion sans faille d’autant plus humiliante pour lui. Il en résulte une absence de communications, des non-dits qui seront en partie les cause du drame à venir.

Un action plus téméraire qu’héroïque place Iemon dans les bonnes faveurs d’un seigneur qui, après l’avoir précédemment humilié, accepte de le marier à sa fille par caprice de celle-ci. Iemon reste fidèle à son épouse, mais les profiteurs gravitant autour de lui ont tout intérêt à briser son mariage et favoriser une nouvelle union lucrative pour eux. Le climat de violence, tyrannie et corruption de ce Japon féodal est ainsi révoltant, et n’autorise pas les sentiments nobles. Si l’argument fantastique n’intervient que dans la dernière partie, les éléments formels qui le permettront s’annoncent bien en amont. L’amour inconditionnel de Oiwa pour son mari rejaillit sur la douceur émanant de son visage serein, de son port digne. Lorsque le venin de la jalousie s’immisce peu à peu en elle, cette beauté s’altère progressivement et, si ce sont les trahisons bien humaines qui l’enlaidiront et provoqueront sa mort, l’ultime transition vers la monstruosité relèvera du fantastique. Oiwa se mue en onryō, fantôme motivé par la vengeance.

Alors que l’amour d’Oiwa figeait toutes ses pensées vers son homme, son ressentiment va imprégner tel un poison l’esthétique de Misumi ainsi que l’esprit de ses victimes. Dans la pièce originale, Iemon était complice de la mort de son épouse dont il souhait la disparition pour nourrir son ambition. Les changements du film de Misumi instaurent une fatalité et tragédie rendant la tournure des évènements d’autant plus touchant. Dès lors l’émotion se dispute à l’horreur particulièrement morbide et frontale dans cette version.

L’héritage du kabuki s’estompe à la vision du maquillage réellement monstrueux d’une Oiwa défigurée, suscitant un spasme de frayeur et de dégoût chez ceux croisant son regard. La puissance du fantôme repose sur la profondeur infinie de sa rancœur, et ses effets s’accentue sur ceux nourrissant un sentiment de culpabilité à son égard. Misumi alterne entre la manifestation de proto jumpscare saisissantes voyant la réalité s’altérer, et laisser surgir le visage d’Oiwa, sa main vengeresse dans le cadre de façon inattendue. La photo de Y. Marika joue brillamment de la couleur pour faire basculer la gamme chromatique vers une esthétique sordide et gothique.

Dans cette idée les apparitions d’Oiwa jettent un soupçon d’effroi en se manifestant dans les recoins d’élégantes compositions de plan, ou lorgnent vers le gore en rendant palpable la putréfaction des peaux, l’humidité des plaies. On pense à La Nuit des morts vivant de George Romera dans ce mélange de réalisme et d’horreur morbide, ainsi qu’à Ring et ses différentes itérations constituant d’ailleurs un mythe horrifique moderne devant beaucoup à Yotsuya, particulièrement cette version Misumi. Une poignante dernière image ramène cependant brillamment à la raison de la colère et de l’apaisement final, l’amour inconditionnel et bafoué d’une femme. 

Sorti en bluray français chez Roboto

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