Situé dans le désert glacial d'Hokkaido pendant les premiers jours de l'ère Meiji, où le directeur brutal de la prison de Kabato terrorise les condamnés aux travaux forcés pour construire les routes nécessaires à l'ouverture du territoire.
Fireflies in the North est pour Hideo Gosha une œuvre qui s’insère entre sa trilogie d’adaptation de Tomiko Miyao (Dans l’ombre du loup (1982), Yohkiroh, le royaume des geishas (1983), La Proie del’homme (1985) et plus globalement son observation de la figure de la geisha – auquel s’ajoutera Tokyo Bordello (1987 qui n’est pas une adaptation de Tomiko Miyao. Fireflies in the North se rapproche en partie de ces films en retrouvant des héroïnes sacrificielles, mais creuse plus loin à travers ce portrait du Japon au début de l’ère Meiji, par le prisme de la rugueuse région d’Hokkaido.
Le récit se situe en 1881,13 ans après l’avènement de l’ère Meiji. Celle-ci a sonné la fin du shogunat Tokugawa et fait entrer (en partie par la contrainte des occidentaux) le Japon dans l’ère moderne. Cette volonté de modernité passe par l’aptitude à dompter et exploiter industriellement toutes les ressources du pays, y compris dans les régions au climat hostile comme Hokkaido. La construction de la prison de Kabato va servir à accélérer le processus, les prisonniers y séjournant devant en guise de travaux forcés construire les futures routes de transport sous un froid polaire. Gosha dépeint ce microcosme et cette ville implantée au sein d’un désert de glace. L’ensemble des protagonistes se situe au carrefour des mues sociétales et politiques du Japon d’alors. Takeshi Tsukigata (Tatsuya Nakadai) a en quelque sorte cassé le modèle héréditaire et pyramidal des Tokugawa pour être nommé directeur de la prison malgré ses origines modestes. Ses mérites militaires et ses démonstrations de virilité toute puissante semblent lui avoir valut cette place, qu’il justifie en dirigeant les lieux d’une main de fer. Les prisonniers sont pour la plupart des dissidents et chantre du régime Tokugawa, l’ironie les amenant à construire les fondations du gouvernement qu’ils ont combattu. Cela amène d’ailleurs des confrontations ambiguës puisque parmi les gardiens de prisons et seconds du directeur se trouvent être des anciens membres et pontes des Tokugawa – le scénario introduit même une vraie figure historique avec Nagakura Shinpachi, ancien capitaine du shisengumi qui fut effectivement instructeur de kendo dans une prison à Hokkaido. Ils apparaissent aux yeux des prisonniers comme des traitres à la cause, certains ayant fait leur choix par ambition ou (comme certaines péripéties le montreront) pour infiltrer l’ennemi de l’intérieur. Dès lors les anciens réflexes de mépris de classe peuvent inopinément ressurgir comme lorsqu’un second va ouvertement mépriser Tsukigata durant une exécution, car humilié d’être incapable d’utiliser correctement son sabre. Le maillon le plus faible de la chaîne s’avère malheureusement les femmes dans ce cadre, et à double titre. C’est tout d’abord par la maison close avoisinant la prison, et par l’identité des prostituées qui sont les amantes et épouses des prisonniers dont elles ont décidé de se rapprocher géographiquement par ce moyen. Là encore les intentions s’avéreront plus troubles et motivées par de possibles tentatives d’évasion. Gosha va patiemment dérégler cette hiérarchie et rendre les personnages moins schématiques par sa caractérisation. Tsukigata sous ses airs de tyran indestructible semble ainsi, malgré une ambition évidente, animé d’une vraie foi dans sa mission de civiliser Hokkaido. Presque trop efficace dans sa tâche, la réussite s’apprête à lui être volée avec la nomination d’un nouveau directeur plus « présentable » par son statut social (Tetsuro Tamba). Les carcans s’avèrent tout aussi poreux à travers la romance naissante avec Yuya (Shima Iwashita), geisha en mission pour sauver son homme mais progressivement troublée par la conviction de Tsukigata. Tous les protagonistes se révèlent obsessionnels et obtus dans leurs desseins sentimentaux, politiques, professionnels jusqu’au point de non-retour.Gosha alterne entre un filmage en studio et extérieurs saisissants dans les paysages enneigés d’Hokkaido. Dans un premier temps, les scènes d’intérieurs rejouent la hiérarchie du système dans les cadrages, compositions de plan et tenues vestimentaires. Plus les tenues sont sombres et masquent le corps des protagonistes (et par conséquent les protègent du froid), plus ils s’affirment en temps que dominées. Les couleurs reviennent aux kimonos et laissent entrevoir la pâleur de leur peau, le contour de leurs formes, tandis que les uniformes orangés et dépenaillés des prisonniers les placent au bas de l’échelle, exposés au froid ainsi qu’au fouet lors des travaux extérieurs ou grelottant dans l’exiguïté de leur cellule insalubre. Plus le blanc des plaines glacées domine l’image, plus les flocons de neiges obscurcissent l’écran et plus les strates initiales vont s’effriter. Tsukigata a beau plastronner devant la marche forcée des prisonniers, nous savons qu’il est désormais diminué. Plus tard la révolte sonnera par une jeune geisha offerte au plus offrant, mais à la détermination sans faille et au désir brûlant. Le froid pénétrant et les grands espaces immaculés troublent les repères géographiques, sociaux et moraux pour une remise en cause du système qui n’aura lieu qu’en apparence après que l’errance aura ramené les personnages sur leurs pas. La révolution sera avant tout intérieure, mais les grandes injustices demeurent, même dans la modernité de l’ère Meiji. Un nouvel opus captivant et puissant d’Hideo Gosha.
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