L’ouvrage de Luc Chomarat se montre aussi précis que didactique pour nous plonger dans le monde des spots publicitaire, l’auteur ayant justement une expérience professionnelle dans ce milieu pour de grands groupes. En introduction Luc Chomarat replace le film publicitaire dans notre quotidien, admet sa « vacuité » apparente tout en soulignant, malgré un mépris institutionnel, sa porosité avec le film de cinéma qu’il envahit voire influence par certains procédés tel que le placement de produit faisant apparaître certaines séquences comme des spots insidieusement glissés dans la fiction. La publicité est ainsi nourrie des codes du cinéma mais l’influence aussi à son tour en inventant les siens et en y important ses réalisateurs les plus créatifs (Etienne Chatilliez, Michel Gondry).
Pour démontrer la singularité du film publicitaire, Luc Chomarat va avant tout se concentrer sur ce qu’il considère être la période de son âge d’or créatif, les années 80/90. Si les lecteurs les plus jeunes devront probablement aller chercher sur des canaux comme YouTube certains spots évoqués, ceux un peu plus âgés ayant été enfant ou adolescent à ce moment verront immédiatement ressurgir en eux des souvenirs télévisuels passé. Cela relève de la description et analyse minutieuse qu’un fait l’auteur, mais surtout de l’originalité et de la puissance évocatrices de ces spots dont les images sont restées imprégnées en nous 2 ou 3 décennies après leur vision initiale. Comme évoqué plus haut, les dernières révolutions esthétiques du cinéma viennent irriguer la télévision à travers la publicité, à cela s’ajoutant une permissivité plus grande durant les années 80.
Just Jaeckin, réalisateur du mythique Emmanuelle (1974), façonne ainsi une promesse d’exotisme et de volupté dans les spots qu’il signe pour la boisson Pacific ou le gel douche Obao. Erotisme moite dans la magnificence du décorum d’une île du pacifique pour le premier, orientalisme cliché autour du Japon traditionnel pour le second, le tout marquant la rétine par des key visual, soit des images signatures rendant la publicité et par extension le produit inoubliable pour le spectateur. Cela reposera sur la nudité d’une femme japonaise pour Obao, et de manière plus subtile l’empreinte humide d’un pied nu sur le sol boisé d’une hutte avec Pacific. Ce dernier instaure aussi la notion de « feuilleton » publicitaire, les spots les plus réussis se voyant bénéficier d’une suite/variation encore plus nantie et grandiloquente.
Luc Chomarat souligne aussi le génie avec lequel certaines pubs se jouent de la contrainte de temps des spots, par l’assénement d’un seul message et/ou image dont la simplicité et la dimension parfois décalée vend un slogan et un produit de façon génialement décalée telle les pubs Ovomaltine. En allant piocher dans les genres cinématographiques les plus connus, la réduction à ce format court atteint un véritable génie dans l’économie narrative (le film de casse revisité dans une pub pour Mikado) ou à une grandiloquence apportant une tonalité décalée (la saga des pubs Eram et le martelage chanté du prix) virant à l’abstraction (Busby Berkeley convoqué dans une pub Evian envahie de bébés rieur) en usant de la comédie musicale.
L’auteur s’attarde également sur les authentiques prodiges de la mise en scène ayant réussi à se forger une place d’auteur dans la publicité – avant pour certains de sauter le pas vers le cinéma. Ces personnalités se délestent de l’obligation purement vendeuse des produit concernés, pour concevoir des films dont la seule folie créative fera office d’incitation à travers le souvenir laissé chez le téléspectateur. C’est le cas des pubs Kodak et de la saga des Kodakettes initiée par Jean-Paul Goude, personnages facétieux semant la zizanie sur leur passage notamment dans un mémorable spot intitulé Les Voleurs de couleurs, réalisé par Jean-Baptiste Mondino. Malgré le succès de ses publicités, la popularité des Kodakettes pris même le pas sur le produit, amenant Kodak à stopper la saga, ce qui montre qu’une identité trop singulière ne rime pas forcément avec les pures préoccupations mercantiles. Jean-Paul Goude entremêle en tout cas le minimalisme et l’emphase avec une même inventivité, l’emphase de la publicité pour le parfum Egoïste côtoyant le dispositif primaire et inoubliable de Perrier où la bestialité d’une jeune femme fait fuir un lion lui disputant une bouteille.
La publicité suit les évolutions sociétales, souvent avec cynisme comme le montre la saga autour des voiture Audi à travers des idées narratives et de mise en scène moquant, célébrant ou s’amusant de la femme automobiliste – ou passagère intéressée. Ce long segment consacré à l’âge d’or constitue la partie la plus passionnante du livre à travers de multiples exemples finement analysés. Luc Chomarat reconnaît ensuite que la liberté d’alors constitue un âge révolu, une réglementation plus ferme, un public plus sensible et prompt à manifester son mécontentement avec l’avènement des réseaux sociaux, et des décideurs plus frileux, rendent les publicités actuelles bien plus impersonnelles.
Comme dans d’autres domaines de la création, l’heure est au remake des classiques ayant laissés un souvenir suffisamment marquant (la fameuse pub Perrier refaite dans les années 2010) ou à la redite pour les réalisateurs de génie d’antan. La dernière partie amène un tour d’horizon intéressant sur les autres matériaux filmé publicitaire comme les clips, les génériques de films et les bandes-annonces, les logos ou les gimmicks y prenant également leur indépendance lorsque l’invention est au rendez-vous (la panthère rose dessinée dans le générique du film éponyme de Blake Edwards devenant un personnage à part entière par la suite. Un très bon livre passant au crible 40 ans de publicité sous toute ses formes à travers un regard plein d’acuité et un humour bienvenu.
Publié aux éditions Playlist Society
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