Antoine est un
écrivain raté et dépressif. Fred ne fait pas grand-chose de sa vie et semble
s'en contenter. Tous deux partagent un appartement et vivent de petites
combines foireuses. Les aventures et surtout mésaventures de ces deux copains
un brin loosers, leur permettront de s'apercevoir que l'amitié est bien la plus
grande des richesses.
Après avoir démontré une personnalité comique singulière
avec l’inaugural Cible émouvante
(1993), Pierre Salvadori décide d’inscrire plus directement son film suivant aux
problématiques contemporaines. Le résultat sera donc Les Apprentis dont le script s’avère largement autobiographique
avec sa vision mélancolique et amusée d’un contexte social difficile. Le fil
dramatique du film ne repose pas sur une trame linéaire mais sur les aléas
quotidiens de notre duo de pieds nickelés Antoine (François Cluzet) et Fred
(Guillaume Depardieu.
Les deux personnages se rejoignent dans leurs attentes
incertaines de la vie, et qui les font piétiner. Au premier abord Antoine
semble être un « déclassé » qui végète par rapport à ses aspirations
intellectuelles non abouties d’écrivain. Seulement on comprendra que c’est le
recul et le sens de l’observation manque
à l’anxieux Antoine. Il y voit un prestige apte à apaiser ses angoisses mais
son vide s’avéra plus existentiel. Fred souffre de même maux mais fonctionne
lui par la fuite plutôt qu’une ambition contrariée. Finalement le milieu
supposé plus nanti d’Antoine en fait un être frustré face au dénuement
(matériel comme professionnel) alors que les origines plus prolo de Fred le
rende plus placide, nonchalant et résigné dans sa situation.
L’art de Pierre Salvadori est de tirer de la caractérisation
de son duo et ses interactions une dynamique constamment à cheval entre le
comique et le dramatique. Les personnages vivent donc une déchéance morale et
social croissante qui s’avère pathétique dans les situations mais drôle par
leur traitement décalé. Dès l’ouverture cela fonctionne avec Antoine laissé à
la porte par sa compagne et celle-ci conseillée par le voisin pour enlever le
fusible de la sonnerie longuement enfoncée par notre héros. Le curseur va plus
vers la tristesse dans l’ellipse qui suit face à une porte où l’on voit le
logis temporaire devenir permanent au fil des mois (et des ans) tandis que la
voix-off d’Antoine récite des lettres jamais envoyés à sa fiancée.
Tout le film fonctionne ainsi, jamais totalement hilarant,
jamais véritablement dépressif, mais toujours entre les deux. Une réplique
ahurie de Fred viendra désamorcer une possible noirceur, une colère d’Antoine
atténuera un rire potentiel, parfois dans la même scène ou à retardement (les
conséquences d’une tordante scène de cambriolage). L’art de l’ellipse de
Salvadori fait également merveille dans ce contexte (le visage tuméfié de Fred
qu’on découvre à la pharmacie après la bêtise dites de trop) et le réalisateur
sait tout aussi magnifiquement rallonger les humiliations avec une inventivité
de tous les instants (la raclée de karaté, la scène d’échangisme). L’ancrage
dans le réel de situations que chacun a pu connaître empêche de se moquer, le regard décalé évite de
trop explicitement s’en désoler. Les
deux acteurs jouent merveilleusement cette partition nuancée dans une
complicité constante. C’est ainsi qu’un final amer s’avère illuminé par une
apparition féminine (Marie Trintignant comme dans un rêve) et une partie de
foot qui ramène à une joie infantile simple.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo
C'est rien de moins que l'un de mes films préférés, par conséquent un petit chef-d'œuvre, dont tu loues bien toute l'originalité de ton, les inspirations de mise en scène et la justesse d'interprétation. On rit tendrement des personnages sans que cela nuise à leur caractère attachant. Salvadori n'a à mes yeux jamais retrouvé la grâce qui le portait sur ses 3 premiers films, même si j'aime encore bien Marchands de rêve.
RépondreSupprimerE.
SupprimerJ'apprécie encore après les trois premier (notamment Hors de prix)mais par contre j'ai été bien déçu par "En liberté" le dernier plutôt encensé par la presse. Un peu trop conscient de son écriture et de sa volonté de faire du Wilder/Lubitsch à la française alors que ça apparait plus spontané et naturel dans ses autres films (en gros on oublie l'écriture pour se laisser porter).
J'aime moi aussi beaucoup le film « Les apprentis ». On sent toute la tendresse de Salvadori pour ses personnages, la tendre drôlerie. La fin m'émeut tout particulièrement : Antoine avec sa démarche toute étriquée de dépressif, et malgré les efforts de Fred qui a organisé cette rencontre touchante avec la fausse fille, on croit bien que c'est fichu. Antoine repart tout raidoche sous les yeux un peu perplexes de Fred grimpé sur un banc un peu plus loin. Et puis il y a ce ballon qui atterrit dans les pieds d'Antoine. On retient son souffle : ou bien, indifférent, il évite le ballon, continue son chemin et retourne chez sa mère, ou bien ou bien, et oui, il shoote dans le ballon, et Fred qui n'en perd pas une miette comprend immédiatement, il saute depuis le dossier du banc où il était juché, et court dans la partie de ballon avec les gosses du quartier, pendant que Salvadori envoie une musique du Sud (italienne, portugaise?) extrêmement vivante, qui souffle sur la petite étincelle de vie qui repart. Une scène très réussie de mon point de vue, je suis émue rien qu'en y repensant.
SupprimerTrès belle description de la progression dramatique de cette magnifique scène finale, qui reflète bien la nuance de ton si bien dosée de Salvadori tout au long du film.
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