Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 27 janvier 2019

Je peux entendre l'ocean - Umi ga Kikoeru, Tomomi Mochizuki (1993)


À la suite du divorce de ses parents, Rikako Muto, lycéenne originaire de Tokyo, suit à regret sa mère qui vient s'établir à Kōchi. Elle arrive en cours d'année scolaire. Dès son arrivée, elle est remarquée par Yutaka Matsuno qui la présente à son meilleur ami, Taku Morisaki. L'ambiance méridionale et provinciale de Kōchi est très différente de Tokyo et Rikako a du mal à s'intégrer dans sa classe.

Au début des années 90, Hayao Miyazaki et Isao Takahata ont déjà le souci de la pérennité du Studio Ghibli et décident de lancer des projets dont ils ne seraient pas les réalisateurs. On le sait aujourd’hui, l’omnipotence de Miyazaki fera tourner court la possibilité d’une vraie succession, l’activité de Ghibli étant assujettie à la volonté de ses fondateurs. Hormis quelques rares réussites où les réalisateurs auront eu la marge d’exprimer leur personnalités (Si tu tends l’oreille de Yoshifumi Kondo (1995) ou La Colline aux coquelicots de Goro Miyazaki (2012)) tous les autres films non-signés de Miyazaki et Takahata furent des redites sans génies des motifs visuels et thématiques de ces derniers. On peut ranger Ocean Waves parmi les grands crus sans Takahata et Miyazaki, l’œuvre demeurant assez méconnue du fait de son statut de téléfilm.

Ocean waves est l’adaptation du roman de de Saeko Himuro publié entre février 1990 et janvier 1992 dans le magazine Gekkan Animage. Le film est un projet à petit budget destiné à aguerrir les plus jeunes membres du staff technique de Ghibli qui supervise finalement la production de loin, l’animation se partageant pour l’essentiel entre  les studios J.C.Staff, Madhouse et Oh! Production. Cela explique sans doute sous la ligne claire Ghibli une certaine liberté de ton pour cette belle chronique adolescente. On suit un triangle amoureux où chacun des personnages se trouve en opposition à son environnement pour des raisons différentes. Morisaki et Matsuno tissent leur amitié en étant les seuls à s’opposer à l’annulation d’un voyage scolaire par l’administration du lycée. Ils se fondent cependant bien dans le quotidien de cette vie scolaire, soit par leur notes brillante pour Matsuno, soit par le fait d’être apprécié de leurs camarades pour Morisaki élève moins en réussite. La jeune Rikako dont ils sont amoureux se différencie par une inadaptation, une instabilité issue d’un déracinement géographique et familial. 

Le divorce de ses parents l’amène à s’installer avec sa mère sur l’île de Kochi. Dès lors la mise en scène oppose la façon dont Morisaki se fond dans l’environnement lycéen (par ses interactions avec les autres élèves, le filmage qui le fond dans la collectivité) mais aussi celui languissant, paisible et provincial de l’île, avec l’isolement de Rikako, silhouette solitaire et renfermée. Le film ne donne cependant pas dans le cliché, exprimant bien l’intérêt que peut susciter une nouvelle élève avant que les circonstances la coupe progressivement des autres. Cela fonction subtilement, successivement par le non-dit (les scènes familiales de Morisaki et leurs absences pour Rikako) puis le dialogue avec cet excellent passage où Rikako admet ne pas toujours comprendre l’accent régional marqué de ses camarades (autre motif d’isolement qui la fait passer pour pédante) qu’elle assimilait à ceux entendus dans des vieux films.

Dès lors le film alterne atmosphère introspective et contemplative avec le côté plus amusé et trivial d’une romance adolescente. C’est clairement l’approche la plus réussie de Ghibli dans la veine « teen movie », Si tu tends l’oreille et La Colline aux coquelicots qui s’en rapprochent se montrant bien trop timoré (les romances de Miyazaki étant toujours très platoniques) dans les interactions et situations rencontrées par ses adolescents. Ici sans donner dans le fan-service grossier on voit de jeunes garçons laisser le regard traîner sur la poitrine d’une camarade, Rikako évoque sans détour ses règles pour expliquer son anxiété. Le paraître que peuvent arborer les adolescents est même brillamment cerné lors d’une rencontre où Rikako présente un le petit ami de son ancien lycée à Morisaki, comprenant progressivement la superficialité de son ancien camarade. 

L’inconséquence de cet âge difficile s’illustre ainsi toujours idéalement dans l’implicite (Rikako et Morisaki s’ignorant au lycée après avoir pourtant voyagés ensemble) et l’explicite lorsque les sentiments qu’on ne sait pas (que l’on n’ose pas) exprimer provoque un conflit attirance/répulsion par la violence verbale et physique. Le réalisateur Tomomi Mochizuki (tout juste âgé de 34 ans et donc une jeune pousse aussi) avait précédemment œuvré à la télévision, travaillant notamment sur la série Ranma ½, et aussi sur le film faisant suite à la série Max et Compagnie/Orange Road et on devine ce passif dans cette capacité à capturer les soubresauts tour à tour tendres et violent d’une romance adolescente. 

Malgré le budget inférieur (mais qui connaîtra quelques dépassements), la beauté formelle croisant poésie et réalisme est digne de l’exigence de Ghibli avec des moments de pur envoutements comme les retrouvailles de Morisaki et Matsuno face à la mer sur fond de ciel couchant - le film capture l'atmosphère insulaire avec une puissance rare. On peut supposer qu’un certain Makoto Shinkai a vu ce film tant on peut en retrouver des réminiscences dans l’opposition ville/campagne, le sens du détail (une galerie marchande plus vraie que nature sur le modèle de l’Obiyamachi Shopping Arcade) et surtout ces magnifiques retrouvailles finales sur un quai de métro qui anticipe toute la magie de Your Name (2016). 

La filiation formelle Ghibli est bien là mais Tomomi Mochizuki parvient à la tenir à distance (le chara-design des personnages s’appuie notamment surtout sur les superbes illustrations du livre par Katsuya Kondō que l’on peut voir lors du générique de fin), et il en va de même sur le fond où la veine pastorale nostalgique de Takahata (malgré l’environnement provincial) est estompée, tout comme la morale d’un Miyazaki. Diffusé le 5 mai 1993 sur Nippon TV, Ocean Waves est une des plus attachantes et singulières production Ghibli, à découvrir d’urgence. 

Sorti en bluray français chez Wild Side

 

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