À la suite du divorce
de ses parents, Rikako Muto, lycéenne originaire de Tokyo, suit à regret sa
mère qui vient s'établir à Kōchi. Elle arrive en cours d'année scolaire. Dès
son arrivée, elle est remarquée par Yutaka Matsuno qui la présente à son
meilleur ami, Taku Morisaki. L'ambiance méridionale et provinciale de Kōchi est
très différente de Tokyo et Rikako a du mal à s'intégrer dans sa classe.
Au début des années 90, Hayao Miyazaki et Isao Takahata ont
déjà le souci de la pérennité du Studio Ghibli et décident de lancer des
projets dont ils ne seraient pas les réalisateurs. On le sait aujourd’hui, l’omnipotence
de Miyazaki fera tourner court la possibilité d’une vraie succession, l’activité
de Ghibli étant assujettie à la volonté de ses fondateurs. Hormis quelques
rares réussites où les réalisateurs auront eu la marge d’exprimer leur
personnalités (Si tu tends l’oreille
de Yoshifumi Kondo (1995) ou La Colline aux coquelicots de Goro Miyazaki (2012)) tous les autres films non-signés
de Miyazaki et Takahata furent des redites sans génies des motifs visuels et thématiques
de ces derniers. On peut ranger Ocean
Waves parmi les grands crus sans Takahata et Miyazaki, l’œuvre demeurant
assez méconnue du fait de son statut de téléfilm.
Ocean waves est l’adaptation
du roman de de Saeko Himuro publié entre février 1990 et janvier 1992 dans le
magazine Gekkan Animage. Le film est un projet à petit budget destiné à
aguerrir les plus jeunes membres du staff technique de Ghibli qui supervise
finalement la production de loin, l’animation se partageant pour l’essentiel
entre les studios J.C.Staff, Madhouse et
Oh! Production. Cela explique sans doute sous la ligne claire Ghibli une
certaine liberté de ton pour cette belle chronique adolescente. On suit un
triangle amoureux où chacun des personnages se trouve en opposition à son
environnement pour des raisons différentes. Morisaki et Matsuno tissent leur
amitié en étant les seuls à s’opposer à l’annulation d’un voyage scolaire par l’administration
du lycée. Ils se fondent cependant bien dans le quotidien de cette vie
scolaire, soit par leur notes brillante pour Matsuno, soit par le fait d’être
apprécié de leurs camarades pour Morisaki élève moins en réussite. La jeune Rikako
dont ils sont amoureux se différencie par une inadaptation, une instabilité issue
d’un déracinement géographique et familial.
Le divorce de ses parents l’amène à
s’installer avec sa mère sur l’île de Kochi. Dès lors la mise en scène oppose
la façon dont Morisaki se fond dans l’environnement lycéen (par ses
interactions avec les autres élèves, le filmage qui le fond dans la
collectivité) mais aussi celui languissant, paisible et provincial de l’île,
avec l’isolement de Rikako, silhouette solitaire et renfermée. Le film ne donne
cependant pas dans le cliché, exprimant bien l’intérêt que peut susciter une
nouvelle élève avant que les circonstances la coupe progressivement des autres.
Cela fonction subtilement, successivement par le non-dit (les scènes familiales
de Morisaki et leurs absences pour Rikako) puis le dialogue avec cet excellent
passage où Rikako admet ne pas toujours comprendre l’accent régional marqué de
ses camarades (autre motif d’isolement qui la fait passer pour pédante) qu’elle
assimilait à ceux entendus dans des vieux films.
Dès lors le film alterne atmosphère introspective et contemplative
avec le côté plus amusé et trivial d’une romance adolescente. C’est clairement
l’approche la plus réussie de Ghibli dans la veine « teen movie », Si tu tends l’oreille et La Colline aux coquelicots qui s’en
rapprochent se montrant bien trop timoré (les romances de Miyazaki étant
toujours très platoniques) dans les interactions et situations rencontrées par
ses adolescents. Ici sans donner dans le fan-service grossier on voit de jeunes
garçons laisser le regard traîner sur la poitrine d’une camarade, Rikako évoque
sans détour ses règles pour expliquer son anxiété. Le paraître que peuvent arborer
les adolescents est même brillamment cerné lors d’une rencontre où Rikako
présente un le petit ami de son ancien lycée à Morisaki, comprenant progressivement
la superficialité de son ancien camarade.
L’inconséquence de cet âge difficile
s’illustre ainsi toujours idéalement dans l’implicite (Rikako et Morisaki s’ignorant
au lycée après avoir pourtant voyagés ensemble) et l’explicite lorsque les
sentiments qu’on ne sait pas (que l’on n’ose pas) exprimer provoque un conflit
attirance/répulsion par la violence verbale et physique. Le réalisateur Tomomi
Mochizuki (tout juste âgé de 34 ans et donc une jeune pousse aussi) avait
précédemment œuvré à la télévision, travaillant notamment sur la série Ranma ½, et aussi sur le film faisant
suite à la série Max et Compagnie/Orange Road et on devine ce passif dans
cette capacité à capturer les soubresauts tour à tour tendres et violent d’une
romance adolescente.
Malgré le budget inférieur (mais qui connaîtra quelques
dépassements), la beauté formelle croisant poésie et réalisme est digne de l’exigence
de Ghibli avec des moments de pur envoutements comme les retrouvailles de
Morisaki et Matsuno face à la mer sur fond de ciel couchant - le film capture l'atmosphère insulaire avec une puissance rare. On peut supposer
qu’un certain Makoto Shinkai a vu ce film tant on peut en retrouver des
réminiscences dans l’opposition ville/campagne, le sens du détail (une galerie
marchande plus vraie que nature sur le modèle de l’Obiyamachi Shopping Arcade)
et surtout ces magnifiques retrouvailles finales sur un quai de métro qui
anticipe toute la magie de Your Name
(2016).
La filiation formelle Ghibli est bien là mais Tomomi Mochizuki parvient
à la tenir à distance (le chara-design des personnages s’appuie notamment
surtout sur les superbes illustrations du livre par Katsuya Kondō que l’on peut
voir lors du générique de fin), et il en va de même sur le fond où la veine
pastorale nostalgique de Takahata (malgré l’environnement
provincial) est estompée, tout comme la morale d’un Miyazaki. Diffusé le 5 mai
1993 sur Nippon TV, Ocean Waves est
une des plus attachantes et singulières production Ghibli, à découvrir d’urgence.
Sorti en bluray français chez Wild Side
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