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mardi 12 janvier 2021

Les Garçons de Fengkuei - Fēngguì lái de rén, Hou Hsiao-hsien (1983)

Dans le village de pêcheurs de Penghu, Ah-Ching et ses amis, Ah-jung et Kuo-tzu, tuent le temps en buvant, se battant et commettant quelques larcins. Suite à une bagarre qui dégénère, les trois amis partent pour la ville portuaire de Kaohsiung, afin de trouver du travail. Le changement d'environnement est un véritable test pour leur amitié. Ils vont également devoir faire face à la dure réalité de la vie en ville.

Les Garçons de Fengkuei est considéré par Hou Hsiao Hsien comme son vrai premier film, celui où il développe des thématiques et une esthétique personnelle dont il creusera les sillons dans ses œuvres suivantes. Le film entame un cycle autobiographique qui s'étalera sur quatre opus (Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986)) et se basera sur les souvenirs de Hou Hsiao Hsien ou ceux de sa scénariste Chu Tien-wen avec laquelle il collabore pour la première fois. On retrouve ici la dichotomie entre la campagne et la ville au cœur des premiers films du réalisateur (Cute Girl (1980), Cheerful Wind (1981) et Green, Green Grass of Home (1982)) mais sans la célébration pastorale de ces derniers et avec une intrigue se déroulant majoritairement dans le cadre urbain.

S'inspirant de sa jeunesse tumultueuse, Hou Hsiao Sien nous fait suivre le quotidien des trois petites frappes Ah-Ching (Doze Niu), Ah-jung (Chang Shih) et Kuo-tzu (Chao Peng-chue) dans leur village de pêcheurs. Une existence sans but fait d'oisiveté, de petits larcins et de bagarre jusqu'à ce que l'écart de trop les forces à migrer vers la grande ville voisine de Kaohsiung. Les Garçons de Fengkuei est un récit d'apprentissage fait d'espoirs et de désillusions assez classique dans son contenu et toute l'originalité du film viendra du traitement de Hou Hsio Hsien. Les élans naturalistes entrevus dans Green, Green Grass of Home sont encore accentués ici, plus documentaire (y compris dans le choix d'engager des acteurs non professionnels) et moins contemplatif dans son utilisation des décors. Cela passe notamment par l'usage du plan fixe. Hou Hsiao Hsien fige par ces plans fixes les silhouettes des personnages, toujours filmés de loin, dans leur environnement. Les superbes plan large de certains espaces du village n'ont plus cette dimension radieuse et élégiaque mais au contraire avec sa mer à perte de vue un horizon sans but, un mur symbolique ou concret (Kuo-tzu qui travaille au port avec son père) sur lequel viennent se heurter tous leurs espoirs. 

Il en va de même dans le cadre familial où le travail sur le cadre enferme aussi par le plan fixe Ah-Ching dans lieu qu'il n'a de cesse de fuir. Si ce n'est l'ennui ordinaire qui vous fige, ce seront les aléas de la vie tel le père de Ah-Ching réduit à l'état végétatif suite à un accident, et qui assis placidement observe le monde qu'il entoure avec le même regard vide que les jeunes gens valides. Même quand il capture les soubresauts de cette jeunesse délinquante, ce traitement du plan fixe nous évoque plutôt d'une agitation dans le vide. Lors de la scène de rixe puis ensuite celle de la fuite, Hou Hsio Hsien exprime une distanciation par cette image figée et ce cadre dans le cadre où entrent et sortent les combattant. L'énergie juvénile et le mouvement qui se dégage habituellement de ce genre de séquences n'exprime ici que la vacuité d'une agitation inutile. On retrouve cette idée même dans une scène légère comme lorsque les trois amis cherchent à séduire une jeune fille. On l'a elle d'un côté ancrée dans le monde réel qui travaille et le contrechamp des trois héros dansants, là encore avec un cadre de le cadre et un arrière-plan sur la mer sans les moindres velléités contemplative. 

Si les scènes rurales perdent les personnages dans un environnement vide où ne se passe, les séquences en ville les perdent dans le grouillement urbain où ils sont cette fois condamnés à suivre la norme d'un quotidien programmé. C'est une aliénation dont la voie ordinaire nous enferme dans un job ennuyeux (nos trois héros qui finissent à l'usine) et où les tentatives de raccourcis vers la réussite sont déshonorants (la sœur de Ah-jung et son bienfaiteur suspect joué par Hou Hsiao Sien lui-même, le colocataire Huang Chin-ho (Toua Chung-hua) qui vole du matériel à l'usine). Hou Hsiao Hsien offre des échappées vouées à l'échec et au surplace pour ses personnages, parfois de façon triviale comme cette promesse de séance de cinéma coquine qui débouche sur la simple observation du panorama de la ville via, une fois de plus, un cadre dans le cadre. Pour Ah-Ching ce sera la fuite dans le passé et des flashbacks vers son enfance à travers plusieurs souvenirs.

Hou Hsiao Hsien matérialise comme rarement au cinéma la divagation de la pensée lors de la scène où Ah-Ching, alors qu'il regarde au cinéma Rocco et ses frères de Luchino Visconti (autre récit de déracinement et d'implosion familiale dans la ville et ses valeurs corruptrices) pense à l'accident cause du handicap de son père. Le moment le plus poignant arrive vers la fin où, observant le siège désormais vide de son père disparu, Ah-Ching est ramené vers le passé par un panoramique où il retrouve ce père vivant et rajeuni. La photo surexposée de Chen Kun-Hou nous laisse bien comprendre que nous sommes dans un flashback, et quand le panoramique nous ramène vers Ah-Ching redevenu petit garçon, c'est toute la nostalgie d'une époque où tout était plus simple qui se ressent. 

La possible romance avec Hsiao-hsing (Hsiu-ling Lin) est la seule éclaircie du présent et le seul motif d'espoir du futur. Malheureusement elle aussi est rongée par ses propres démons, frappée par la désillusion et laisse un Ah-Ching démuni. La conclusion nous laisse dans un entre-deux où le contexte politique d'alors à Taïwan redevient concret (l'épée de Damoclès du service militaire qui coure tous le film) et où le sursaut d'énergie final peut être interprété comme désespéré ou au contraire une volonté de surmonter la fatalité.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

Extrait

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