Kam est une femme qui devient cascadeuse au
cinéma sous les ordres de Tung. Elle se rend compte que ce milieu est
infiltré par les triades.
Après son magnifique et personnel Song for the exile (1990), Ann Hui va s'essayer à d'autres genres plus "commerciaux" comme le thriller Zodiac Killers (1991) ou encore Swordsman
(1990), film de sabre à la production chaotique puisque coréalisé par
Ching Siu-tung, un King Hu sur le déclin, Andrew Kam et Tsui Hark en
producteur omnipotent. Ce dernier film est cependant l'occasion pour Ann
Hui de se frotter au film martial, elle qui ne cacha justement jamais
son admiration pour le genre et plus particulièrement King Hu (dont on
dit qu'elle fut l'assistante sur A Touch of Zen (1974), à vérifier). Cela va la conduire tout naturellement au curieux objet qu'est Stunt Woman. Le film est une sorte de La Nuit américaine dans le milieu des cascadeurs de Hong Kong, mais aussi un vrai portrait de sa star Michelle Yeoh.
Le film nous dépeint l'arrivée de Kam (Michelle Yeoh) jeune cascadeuse,
dans l'équipe de Tunng (Sammo Hung) chorégraphe d'action. Toute la
première partie fleure bon le semi-documentaire tant le mimétisme entre
la fiction et la réalité du cinéma de Hong Kong se ressent. Le film que
tourne l'équipe dans la scène d'ouverture ressemble à
Wing Chun
(1994) dont Michelle Yeoh fut la star. Sammo Hung joue un rôle
correspondant à une fonction qu'il exerce régulièrement (sur ses films
et ceux des autres) et dont l'assurance et l'autorité naturelle
transparaît. Ann Hui entremêle avec fluidité la difficulté d'une
production mais aussi de la vie de ses petites mains dont on fait la
connaissance le temps d'un brillant plan-séquence en ouverture.
La
précarité et l'urgence se ressentent ainsi dans le quotidien harassant
de Kam, dont la vie alterne entre tournage et retour épuisée dans la
chambre minuscule qu'elle partage avec une colocataire. On ressent le
regard féminin d'Ann Hui quand elle aborde les éléments très intimes que
l'on doit surmonter dans ce contexte comme les difficultés mais aussi
l'abnégation de Kam à réaliser une cascade en patin alors qu'elle a ses
règles. Le style documentaire vu dans les meilleurs films de la
réalisatrice fonctionne donc bien dans l'élaboration des cascades, la
tension au moment de la réaliser et malgré tout parfois une dimension
concurrentielle qui peut surgir dans l'action.
On retrouve aussi des éléments biographiques de la vraie vie de Michelle
Yeoh. Elle débuta comme simple actrice avant de se passionner pour le
monde des cascadeurs en rencontrant Sammo Hung sur un tournage et se
forma aux disciplines martiales pour lesquels sa formation de danseuse
lui donnait des prédispositions. Lors d'une jolie scène de confession
elle dévoile de vieilles photos de ces débuts et à nouveau la réalité se
distingue difficilement de la fiction. Michelle Yeoh mis durant cinq
ans sa carrière entre parenthèse lorsqu'elle épousa son pygmalion le
producteur Dickson Poon, puis divorça pour reprendre sa passion. On a
également une péripétie de ce type dans le film lorsque Kam est séduite
par un riche entrepreneur devient employée dans une de ses entreprises.
C'est aussi une des facettes du cinéma hongkongais où souvent les plus
grandes stars féminines se retirèrent du métier après leur mariage
(l'exemple le plus connu étant Ling Ching Hsia), souvent avec une
personnalité riche. Ann Hui révèle ainsi en filigrane que le retrait de
Kam repose sur un sentiment sincère autant que par une volonté
d'échapper à sa condition. Mais quand par son courage et ses capacités
elle aura réussi à faire disparaître la barrière des sexes (la rudesse
de Tunng à son égard devant plutôt être comme vue comme une marque de
respect et d'affection en ne faisant aucune différence), le machisme
ordinaire ressurgit de la part de son compagnon et son entourage dans sa
nouvelle vie.
Le monde des cascadeurs constitue finalement sa vraie famille d'adoption
et Tunng malgré son caractère explosif est un vrai mentor et père
spirituel pour l'équipe. La réalité rattrapera une dernière fois la
fiction lorsque Michelle Yeoh se blessera grièvement en réalisant une
des cascades les plus folles du film. La coupe suspecte entre le saut et
l'atterrissage le laisse deviner pendant le film puis le générique de
fin façon Jackie Chan nous montre l'incident. Cela affectera la fin du
tournage avec un script réécrit et une dernière partie plus bancale. Ann
Hui courageusement avait abordée en début de film un autre sujet
épineux avec la participation des triades à l'industrie
cinématographique hongkongaise lorsqu'un producteur mafieux tabasse un
réalisateur en retard sur le planning.
Cet aspect est un peu bâclé dans
une conclusion expédiant sa trame policière, même si l'émotion
fonctionne notamment dans la relation entre Kam et Long, le fils de
Tunng. La grande découverte du film est en tout cas le potentiel
dramatique de Michelle Yeoh. Ses compétences martiales et son caractère
kamikaze n'était plus à prouver (la saga
Le Sens du devoir
en tête) mais là c'est une vraie révélation en femme sensible, discrète
mais au caractère bien trempé (jouissive scène où elle sort de ses
gonds et corrige brutalement deux voyous). Cela amorce la transition
vers ses futures grandes prestations moins portée sur l'action (
The Soong Sisters (1998),
Tigre et Dragon (2000)). Très bel opus assez méconnu d'Ann Hui donc.
Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan
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