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jeudi 8 août 2019

Song of the Exile - Ke tu qiu hen, Ann Hui (1990)

En 1973, Hueyin, d'origine Hong-Kongaise, est une jeune journaliste à Londres. Le mariage de sa soeur la ramène à Hong-Kong où elle retrouve Aiko, sa mère. Les retrouvailles sont orageuses. La jeune femme se remémore son enfance passée en Chine. Elle accompagne sa mère lorsque celle-ci décide de retourner dans sa terre natale: le Japon.

Figure majeure de la Nouvelle Vague hongkongaise, Ann Hui explora souvent et notamment dans sa trilogie vietnamienne (Boy from Vietnam (1978), The Story of Woo Viet (1981), et Boat People (1982)), la question du déracinement sous un angle social et politique. Avec Song of Exile la réalisatrice aborde le sujet sous un angle bien plus personnel à travers ce film largement autobiographique. Ce déracinement ce ressent tout d’abord à travers le personnage de Hueyin (Maggie Cheung), jeune femme ayant poursuivie ses études et travaillant à Londres. Les quelques vignettes chatoyantes et pop la montrent parfaitement intégrée à cette vie anglaise, offrant un parfait contrepoint à son retour à hongkongaise où elle revient pour le mariage de sa sœur. Une partie de ce déracinement se joue dans le rapport avec sa mère (Lu Hsiao-fen) lui reprochant sa longue absence et cherchant à la fondre dans un moule conformiste avec les préparatifs du mariage.


On croit voir un schisme traditionnel et générationnel dans cette relation mais le mal est plus profond et intime. Les échanges houleux du présent (changement de tenue, de coiffure demandée à Hueyin) trouve leur écho dans des flashbacks où l’on observe dès l’enfance la relation froide de cette mère avec Hueyin bien plus attachée à ses grands-parents. Quelques indices sont distillés par la mise en scène (l’isolation de la mère dans l’agencement de la maison ou durant les scènes familiales) et les dialogues (les grands-parents reprochant les repas froids préparés par la mère et nourrissant Hueyin différemment) pour expliquer ce fossé. La mère Aiko est une migrante japonaise mariée par amour à un hongkongais et son déracinement se joue à la fois sur la barrière de la langue, la méfiance et la haine des japonais durant l’après-guerre pour leurs exaction et finalement par le rejet de sa propre petite fille.

D’abord trop jeune puis trop immature pour comprendre la souffrance de sa mère, Hueyin n’en prendra conscience qu’en l’accompagnant lors de son propre retour au Japon. Ann Hui rejoue ce déracinement de manière ludique dans les mésaventures de la jeune fille à son tour confrontée à l’incompréhension cocasse et frustrante de la langue, et de façon poignante dans les émotions contradictoire d’Aiko. La nostalgie des retrouvailles de lieux et camarades se conjugue aux mêmes rancœurs nationalistes (un frère figé dans le patriotisme fanatique et qui ne lui pardonne pas son exil), au sentiment du temps qui passe (la visite à la tombe de ses parents) qui ne fait plus de cette terre natale un « chez soi ». Ann Hui insère magnifiquement les retours en arrière qui donne une toute autre perspective de passage déjà vus, Hueyin comprenant enfin progressivement les épreuves et la solitude qu’a pu traverser sa mère.

Le métissage et l’exil sont donc à la fois un fardeau et un bienfait tout au long du film. Hueyin comme Aiko se trouvent à différents moments esseulées comme intégrées à leur environnement, la connexion se faisant par l’amour filial comme romantique (superbe flashback de la romance entre Aiko et le père), mais aussi par l’assimilation qu’Ann Nui amène subtilement (la redite sur les repas japonais froid mais cette fois exprimée par Aiko faite aux habitudes culinaire hongkongaise désormais). A l’inverse les grands-parents installés à Macao n’auront jamais réellement quittés leur Chine natale dans leur esprit ce qui les fige également au sein du récit. La photo de Zhiwen Zhong fige également les lieux, époques et sentiment dans une gamme de couleurs marquées. Les teintes se font orangées et sépia pour marquer la dualité de l’enfance heureuse et des maux de la mère dans les flashbacks à Macao, la nostalgie et le rapprochement passe par des éclairages bleutés au Japon tandis que l’image se fait immaculée et diaphane lors des retrouvailles avec les grands-parents à l’état d’esprit figés dans le passé. La fenêtre de leur appartement, qu'on la scrute de l'extérieur ou que l'on s'y tienne de l'intérieur, symbolise d'ailleurs grandement dans les vas et vient temporels le fossé émotionnel, la distance intime entre les personnages.

La facette autobiographique relève essentiellement d’Ann Hui (dont la mère était japonaise, qui fit ses études en Angleterre et qui comme son héroïne fit ses débuts à la télévision hongkongaise) mais Maggie Cheung qui vécut en Angleterre jusqu’à son adolescence a sans doute pu y puiser de sa propre expérience. Après le As Tears Go By de Wong Kar Wai (1988), c’est vraiment l’envol de l’actrice vers les grands rôles puisqu’elle tournera cette même année dans Nos années sauvages et Red Dust de Yim Ho avant la consécration dans Center Stage de Stanley Kwan (1991). Elle se fait néanmoins voler la vedette par une admirable Lu Hsiao-fen dans le rôle de la mère. Une des plus belles réussites d’Ann Hui et une des relations mère/fille les plus juste vu à l'écran.

Sorti en dvd hongkongais mais assez dur à trouver désormais 

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