L’histoire se déroule
en 1969, à Hollywood, au moment de l’apogée du mouvement hippie. Les deux
personnages principaux sont Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), une ancienne star
d’une série télévisée de western, et Cliff Booth (Brad Pitt), sa doublure
cascade de toujours. Les deux hommes tentent de s’en sortir dans un Hollywood
qu’ils ne reconnaissent plus. Mais Rick a une voisine très célèbre… Sharon
Tate.
Quentin Tarantino avait livré avec Les Huit salopards (2016) son œuvre la plus âpre à ce jour. Après
avoir célébré dans un cycle conceptuel, historique et révisionniste la revanche
cathartique des opprimés (les femmes dans Death Proof (2007), les juifs d’IngloriousBasterds et les noirs avec Django Unchained (2012)) Tarantino rattachait soudain sa vision au réel de
l’Amérique de Donald Trump dont il annonçait l’élection dans un huis-clos
illustrant les clivages irréconciliables du pays. Après ces odyssées
sanglantes, Once upon a time in Hollywood
fonctionne comme un véritable recueillement intime pour le réalisateur. Pour
les amateurs de cinéma de genre les moins curieux, la filmographie de Tarantino
a souvent un caractère déceptif tant l’hommage servile (blaxploitation, film de commando, western, film d’arts martiaux) tourne court pour être sous les
références refaçonnés à l’aune de son imaginaire.
Cependant l’efficacité et le sens du spectacle faisaient
toujours leur effet à travers les audaces et morceaux de bravoure. Cette fois
Tarantino ne masque pas la nostalgie inhérente à son œuvre sous une épate
accessible puisque celle-ci repose uniquement sur une année, une ville, et une
ère de cinéma qui lui est chère. Cette année 1969 est un moment charnière pour
lui car celui de son enfance, où s’est façonné son imaginaire et ses souvenirs
dans cette ville de Los Angeles. C’est un attachement aussi à une culture
populaire reposant sur la série B et les feuilletons télévisés, de l’artisanat
et du savoir-faire des petites mains de genres prochainement en désuétude comme
le western. Tarantino rattache ainsi cette nostalgie intime aux bouleversements
bien réels qui ont fait basculer cette époque dorée.
D’un côté nous avons donc
le duo Rick Dalton (Leonardo Di Caprio)/ Cliff Booth (Brad Pitt) représentant ce
Hollywood des seconds couteaux devant et derrière la caméra, et de l’autre
Sharon Tate épouse de Roman Polanski symbolisant sa légende et son incarnation
pop. En arrière-plan se profile la contre-culture dans son versant hédoniste et
pacifiste mais aussi sa dégénérescence violente qui conduiront aux crimes de la
Manson Family et le meurtre atroce de Sharon Tate. Cette ère schizophrène voit
donc les mentalités (les mouvements anti Guerre du Vietnam) et les propositions
de cinéma (l’avènement du Nouvel Hollywood 1969 étant l’année de Le Lauréat de Mike Nichols et d’Easy Rider de Dennis Hopper) changer, la
fin de cette bulle enchantée étant toute aussi singulière.
Loin des ruades d’antan, Tarantino nous promène donc dans
une ballade paisible au sein de ce LA à la fois authentique et fantasmé.
L’amitié entre le has-been Rick Dalton et le cascadeur déclassé Cliff Booth
transcende leurs déclins professionnels respectifs qui sert l’art de la
référence Tarantinesque. Le néophyte se laisse happer par l’ambiance (et les
plus curieux iront comme toujours chercher les sources de ce festival de
name-dropping) tandis que les connaisseurs jubileront aux évocations dialoguées
(l’allusion aux pantalons moulants de Robert Conrad dans la série Les Mystères de l’Ouest), à l’atmosphère
(les soirées de synonyme de réunions autours des grands feuilletons populaires
comme Mannix ou FBI, extraits télévisés à la clés) ou report d’une élément concret
dans la continuité tarantiniene (Burt Reynolds parti en Italie tourner Navajo
Joe pour Sergio Corbucci devient Rick Dalton exilé en Italie jouer Nebraska Jim pour le même Corbucci). Les
réalités s’entrechoquent tour à tour à de pures fins poétiques et méta comme
lorsque le double de fiction Margot Robbie va regarder la vraie Sharon Tate au
cinéma dans un Matt Helm, puis à des
fins plus moqueuses et démythificatrices avec la confrontation entre Cliff
Booth et Bruce Lee (les fans auront beau s’offusquer, on est sans doute plus proche
là de certaines descriptions de l’attitude du Petit Dragon à l’époque).
Tarantino parvient à susciter une vraie émotion dans son
observation de Rick Dalton sur le déclin (géniale scène avec Al Pacino qui lui
explique la dégringolade qu’il n’a pas su voir), ancienne star d’un simili Au nom de la loi (la série télévisée qui
fit de Steve McQueen une star, mimétisme entretenu en faisant de Dalton un recalé de La Grande évasion de John Sturges) reculant désormais dans les génériques de
feuilleton télévisés en guest de luxe et chair à pâté pour les jeunes loups. Le
décalage du personnage avec son environnement artistique (son dédain du western
spaghetti, sa proximité géographique avec son voisin Roman Polanski n’ayant
d’égal que l’éloignement de leurs sphères cinématographiques) et social (son
dédain des hippies) en fait un fossile où toute relative démonstration de la
flamboyance passée est une victoire avec cette hilarante (et diablement
touchante) réaction face aux compliments d’une fillette actrice.
Si la figure de Sharon Tate fige ce glamour pop
hollywoodien, le personnage le plus intéressant est celui de Cliff Booth
magnifiquement interprété par Brad Pitt. L’acteur déploie une photogénie et une
coolitude d’un autre temps (Di Caprio excellent propose malgré tout un registre
fébrile, nerveux et comique déjà joué ailleurs) où il fait le lien avec le passé
nostalgique et le présent inquiétant. Booth est à la fois là pour malmener les
icônes (Bruce Lee donc), magnifier les oubliés (la rencontre poignante avec
Bruce Dern) et accepter avec sourire et nonchalance sa propre extinction
prochaine. Brad Pitt incarne la beauté solaire (et superbement vieillissante)
qui a fait sa légende, la dimension inquiétante qui entoure ses meilleurs rôles
(avec ce background sur l’assassinat de sa femme) et le facteur insaisissable
qui peut tout faire basculer.
La reconstitution est minutieuse sans être tapageuse,
Tarantino cherchant à nous immerger plus qu’à nous éblouir dans ce LA circa
1969. Il en va de même pour la bascule violente où le réalisateur ne cède pas à
l’imagerie satanique fantasmée de Charles Manson et ses sbires. Ceux-ci sont
des silhouettes folkloriques, séduisantes et parfois ridicules, mais dont le
danger se concrétise progressivement au fil du zoom sur leur communauté.
Tarantino sait faire vriller une atmosphère en un rien, la visite de Brad Pitt
au sein du ranch hippie cédant presque au film d’horreur dégénéré à la Massacre à la tronçonneuse par la grâce
de quelques plongées et silence lourd de menace.
La violence cathartique de Death Proof, Inglorious Basterds
et Django Unchained avait servie à
réparer les injustices de la grande Histoire avant d’être rattrapé par le réel
à vif de Les Huit Salopards. En nous
plongeant dans son moi le plus à fleur de peau, ce réel n’a plus prise sur
Tarantino qui peut refaçonner l’Histoire du cinéma et celle de l’Amérique au
service de son monde idéal. Le film le plus doux du réalisateur cède donc sur
la toute fin à une de ses séquences les plus violentes à ce jour dans un refus
féroce des évènements qui ont brisé son paradis.
Après avoir osé tuer le diable
(Hitler dans Inglorious Basterds) il
s’agit de sauver une déesse et par là même une parenthèse enchantée qui change
aussi la destinée de ses héros – libre au spectateur d’imaginer le futur plus
radieux de Rick Dalton désormais en contact avec son prestigieux voisinage.
Tarantino nous offre une œuvre-somme où les artifices ricanant s’estompent pour
nous montrer l’adulte mélancolique qu’il est à l’ère de l'enfant rêveur qu’il fut.
En salle
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire