Splendeurs et misères
d'une équipe de tournage dans les studios de la Victorine à Nice, au moment de
la conception d'un film.
Le cinéma aura toujours constitué le cœur de l’existence de
François Truffaut, lui sauvant la vie sous la tutelle du père spirituel André
Bazin après une tumultueuse adolescence délinquante puis y donnant un sens
quand il deviendra critique pour ensuite passer à la mise en scène. Le regard
amoureux du cinéaste se confondra aussi plus d’une fois à celui de l’homme pour
ce grand séducteur dans son rapport à ses actrices et auquel il consacrera un
film, L’Homme qui aimait les femmes
(1977). Cet amour du cinéma n’avait cependant pas encore été le sujet d’un
film, ce qui serait enfin le cas avec La
Nuit Américaine. L’idée du film naît alors que Truffaut, souhaitant rester
proche de ses enfants en vacances dans la région monte son dernier film Les Deux anglaises et le continent (1971) aux mythiques studios de la Victorine
à Nice (qui ont vu défiler des tournages mythiques comme Les Enfants du Paradis (1945), Les Visiteur du soir (1942), Panique (1946) ou Mon Oncle (1958)). Traversant quotidiennement
le studio et découvrant les imposants décors construits notamment
pour La Folle de Chaillot (1969) avec
Katharine Hepburn, Truffaut est fasciné par les lieux qu’il va visiter de fond
en comble, s’imprégnant de leur histoire et de l’atmosphère de travail qui a pu
s’y dérouler. Les Deux anglaise et le
continent et Une belle fille comme
toi (1972), étant des échecs commerciaux, c’est avec d’autant plus de
passion qu’il va se lancer dans La Nuit
Américaine.
Le récit nous dépeint le quotidien du tournage de Je
vous présente Paméla, un
drame passionnel inspiré d’un fait divers où un jeune homme tue son père après
que ce dernier soit enfuit avec son épouse dont il est tombé amoureux. Le
romanesque de la fiction est ainsi mis en parallèle de la normalité du
tournage, les deux se valant finalement par la ferveur de l’équipe de tournage
qui fait de la production une aventure humaine tout aussi palpitante. Truffaut
laisse se confondre réalité et fiction, mais pas à travers le film dans le film
puisque Je vous présente Paméla constituera un fil bien détaché. C’est
la confusion du milieu du cinéma, celui du film et le réel qui l’intéresse et
il multiplie les passerelles explicites ou plus invisibles.
Truffaut incarne
ainsi lui-même Ferrand le réalisateur (deuxième fois après L’Enfant sauvage
(1969) et avant La Chambre verte (1978) qu’il joue le personnage
principal d’un de ses films) en forme d’autoportrait où il exprime ses espoirs
et doutes quant à son métier et au tournage. Le scénario s’inspirera de
rencontres et d’anecdotes réelles vécues ou racontées à Truffaut qui fait ainsi
de La Nuit Américaine un archétype autant qu’un vrai instantané des
aléas que l’on peut rencontrer sur un plateau de cinéma.
Le rythme lent et
fastidieux, les imprévus et désagréments divers instaurant un semblant de
monotonie inscrivent le film dans un réalisme contrebalancé par la fantaisie et
la passion des « acteurs » de l’équipe. Diva caractérielle et
émotive (Valentina Cortese), homme enfant capricieux (Jean-Pierre Léaud qui
prolonge génialement l’inconséquence immature de son Antoine Doinel), le vieux
beau élégant garant d’une époque mythique disparue (Jean-Pierre Aumont) ou
encore la star anglo-saxonne (Jacqueline Bisset) séduisante et mystérieuse,
tout y passe avec un égal brio. L’équipe technique est saisie avec un même
naturel amusé, de la lucide et professionnelle assistante-réalisatrice
(Nathalie Baye magnifique de naturel dans un de ses tout premiers rôles) à l’accessoiriste
gaffeur (Bernard Menez). Les frontières se brouillent même avec la double
casquette de certains protagonistes comme Jean-François Stevenin assistant de
Truffaut/Ferrand devant et derrière la caméra, tout comme l’assistant du
directeur photo Pierre-William Glenn qui endosse la fonction à l’écran.
La magie du film
naît de ce mélange, offrant la réalité d’un tournage dans sa complexité
logistique (Truffaut capturant très bien les incessantes sollicitations dont
fait l’objet le réalisateur et les réponses qu’il doit trouver pour toutes)
comme ces aléas humains et toutes les petites ou grandes aventures amoureuses,
les drames avec lesquels il faut composer pour mener l’entreprise à terme. Les
aspects techniques toujours vus à l’aune des états d’âmes des protagonistes
sont ainsi dépeint d’une manière didactique et ludique qui
captive de bout en bout. Truffaut parvient avec brio à user de sa veine
romanesque dans un cadre la fois
réaliste et magnifié en n’oubliant jamais d’en faire une vraie odyssée
collective, une déclaration d’amour au cinéma qui parle à tous. Cette réplique
de Ferrand à Alphonse (où la dimension de père spirituel de Truffaut pour Léaud
se confond à la fiction à nouveau) l’exprime bien :
Je sais, il y a la vie privée, mais la vie
privée, elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux
que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a
pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ?
Comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien,
on est fait pour être heureux dans le travail de cinéma.
De manière plus
triviale Nathalie Baye fait mouche avec cette phrase pleine de panache :
Moi, pour un film, je
pourrais quitter un type, mais pour un type, je ne pourrais jamais quitter un
film!
Un rapport qui transcende tous les conflits mais
incompréhensible à quelqu’un d’extérieur pour là aussi une mémorable sortie de
la femme du régisseur :
Qu'est-ce que c'est
que ce cinéma ? Qu'est-ce que c'est que ce métier où tout le monde couche avec
tout le monde ? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment. Mais
qu'est-ce que c'est ? Vous trouvez ça normal ?
Le cinéma est une addiction et un abri qui transcende la vie
et auxquels nos personnages s’abandonnent avec plaisir, pour le meilleur et
pour le pire. Un message qui parlera au plus grand nombre puisque La Nuit Américaine sera un des plus
grands succès commerciaux et artistiques de Truffaut, couronné par l’Oscar du
meilleur film étranger en 1974.
Sorti en dvd zone 2 et bluray chez Warner
Extrait
Merci pour cette publication. Brillant !!
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