God help the girl est le premier film de Stuart Murdoch, leader du groupe pop écossais Belle and Sebastian. C'est un projet très personnel pour l'artiste et dont l'aboutissement fut de longue haleine. Au sortir de The Life Pursuit, sixième album de Belle and Sebastian, l'inspiration de Stuart Murdoch se porte plus vers des compositions destinée à une interprétation féminine. Dès lors il s'attèlera à un projet parallèle avec God Help the girl où diverses chanteuses se succèderont au micro, teintant ses chansons d'une touche plus girl group et encore plus orienté 60's que Belle and Sebastian au sein d'un véritable album-concept racontant la dépression du personnage de Eve. Le sujet est si riche qu'il envisage de le prolonger en film mais ce n'est qu'au bout cinq ans qu'il réussira à en réunir le financement. Le résultat, aussi charmant que singulier est un parfait reflet de la personnalité de son auteur.
La scène d'ouverture exprime pleinement la dualité courant tout au long du film. Au petit matin, la jeune Eve (Emily Browning) s'enfuit de l'hôpital psychiatrique où elle séjourne pour se rendre à Glasgow. L'imagerie blafarde se colore soudain progressivement durant son trajet alors qu'elle exprime ses états d'âmes en chanson et la rêverie pop vient alors prendre le pas sur la grisaille du réel. Emily n'aspire qu'à cela, être au sein d'un groupe et écrire des chansons, au point de négliger tout le reste puisqu'elle est soignée pour anorexie. La transition par le monde réel n'existe pas dans sa quête pop ce qui explique sa dépression. Se prenant enfin en main, Eve va faire la rencontre de James (Olly Alexander) et Cassie (Hannah Murray) deux autres doux rêveurs voyant la vie en musique. Dès lors, leur quotidien va se colorer au fil de leurs compositions même si la rechute guette toujours pour la fragile Eve.
L'héroïne est clairement un double de Stuart Murdoch qui fut également interné dans sa jeunesse et amorça en partie sa guérison en commençant à composer ses premiers titres. Il est d'ailleurs étonnant de retrouver Emily Browning qui tenait un rôle voisin dans Sucker Punch (2010) de Zack Snyder, une jeune femme internée fuyant par le rêve et la danse un environnement sordide. Loin du style survolté de Snyder, Stuart Murdoch s'inspire plutôt de son propre passé. Les amateurs d'indie pop retrouvent donc des pratiques plutôt révolues à base de compilation cassette, de flyers et de petites annonces papier afin de recruter des musiciens.
La ville de Glasgow est dépeinte dans une imagerie terne et reflet de l'ennui ordinaire qui conduisit tant de grands groupes pop anglais à se plonger corps et âmes dans la musique. Le trio est subtilement caractérisé, chacun composant un asocial pas à sa place dans son environnement : Eve par sa maladie mais aussi sa nature d'australienne exilée, James typique du nerd musical à lunette intellectualisant trop la musique et Cassie dont la classe sociale aisée la met un peu à part des jeunes de son âge (sa seule interaction étant au début les visites de Eve et James pour répéter). Tout cela est amené de manière limpide, le réalisateur s'appuyant sur l'image et les passages musicaux pour exprimer ces idées.
Visuellement le film oscille entre un certain réalisme et une touche plus bariolée d'inspiration multiple. D'abord la comédie musicale où Murdoch admet les influences de Grease (1978) ou encore les œuvres de Richard Lester sur les Beatles comme A Hard Day’s Night (1964). Le côté rétro (Emily Browning porte merveilleusement la frange), le montage déroutant et les compositions de plans trahissent ces influences même si Murdoch se les approprie en en offrant un pendant plutôt inspiré des atmosphères 80's/90's. Certains fondu enchaînés (la journée en solitaire conduisant à la rechute d'Eve) rappellent ainsi les pochettes des premiers albums de Belle and Sebastian, avec ce sentiment de postmodernisme où une vision rétro demeure actuelle à force de travail sur l'image notamment les gammes chromatiques de la photo. On peut aussi soupçonner Murdoch d'avoir vu certain classiques du cinéma adolescents 60's comme Georgy Girl (1966) ou Joanna (1968) tant l'univers bariolé teinté du mal être de ses protagonistes féminins semble être repris ici, Glasgow oscillant entre le monde du conte et un urbanisme terre à terre.
C'est donc une œuvre chargée du spleen et de la douceur typique de Stuart Murdoch qui s'est surpassé au niveau des compositions musicales superbement arrangées. The Psychiatrist Is In première manifestation de la complicité musicale entre Eve (Emily Browning avait déjà fait montre de ses talents vocaux sur Sucker Punch et confirme ici) et James est une merveille bondissante et pleine de charme, tout comme l'excellente If you could speak charmant exercice de composition improvisée. C'est cependant lorsque la mélancolie s'invite que la magie opère le plus comme sur la magnifique et dépressive Musician, Please Take Heed amenant la rechute d'Eve. Un sentiment qui se prolonge lors de la fin ouverte où la pop ne sera pas la solution à tout. Ce monde merveilleux est autant un symbole d'ouverture que de repli sur soi, le rêve nous figeant ou nous faisant courir le monde. Une œuvre passionnante à laquelle on pourra juste reprocher d'être un peu autocentrée car on peut se demander si tout cela peut parler à d'autres que les fans de Stuart Murdoch et de l'univers de Belle and Sebastian.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2
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