Un tueur à gage, Phillip Raven (Ladd)
abat un industriel, un informateur de la police et se rend rapidement
compte qu'il a été payé avec de l'argent sale. Poursuivi par la police,
Raven rencontre lors de son voyage pour Los Angeles, Ellen Graham
(Veronica Lake) qui n'est autre que la fiancée de l'inspecteur qui le
traque. Pourtant Ellen qui est une magicienne et chanteuse dans les
clubs de nuit lui sera d'une grande aide, car Raven veut retrouver son
commanditaire Willard Gates, un patron de club de nuit et se venger.
Tueur à gage
est un remarquable film noir qui signe l'acte de naissance
cinématographique d'Alan Ladd, au point d'indiquer un mensonger
"introducing" à son nom au générique alors que sa filmographie est
entamée depuis les années 30. Le physique frêle de l'acteur avait
jusque-là freiné son ascension mais entre le script malin, la complicité
avec son réalisateur Frank Tuttle qui saura tirer le meilleur de lui et
l'alchimie à l'écran avec Veronica Lake (qui sera sa partenaire ensuite
sur La Clé de verre (1942) et Le Dahlia bleu (1946)), tous les éléments semblent enfin réunis pour le mettre en valeur à l'écran.
Ladd
incarne ici Raven, un tueur à gage glacial bien décidé à se venger de
son commanditaire Williard Gates (Laird Cregar) qui l'a piégé après son
dernier "job" afin de le réduire au silence. Raven entraîne dans sa
vendetta Ellen Graham (Veronica Lake), une artiste doublement impliquée
puisque petite amie du policier (Robert Preston) traquant le tueur et
jouant dans le club de Williard Gates. Le scénario astucieux entremêle
habilement course-poursuite aux échos politiques surprenants et
exploration de la psychologie torturée de Raven. Alan Ladd lui amène un
détachement sacrément intimidant dans sa brutalité (le double meurtre
d'ouverture) contrebalancé par une vulnérabilité s'exprimant face aux
plus faibles. Cela se fait sans jamais atténuer la dangerosité du
personnage, la bascule de la magnanimité à la violence ne tenant
toujours qu'à un fil : il s'excuse presque tout en abattant néanmoins la
femme présente avec sa cible, un geste ambigu laisserait croire qu'il
est prêt à tuer un enfant et même la future alliée Veronica Lake n'est
pas loin d'y passer.
Raven semble toujours sur la corde raide mais
fascine tant cette violence semble une protection, l'émanation d'un
caractère plus fragile qui empêche le personnage d'être totalement
détestable. Alan Ladd exprime parfaitement l'écart entre son allure
intimidante et son physique malingre (la tare de son poignet en rajoute
une couche), tout le film dressant une dualité sur son caractère à
partir de cet aspect. Exprimant sa seule affection à son chat, animal
solitaire et indépendant comme lui, il peut tout aussi bien tordre le
cou de l'animal si ce dernier peut signaler sa présence la police. Cela
fonctionne aussi chez les méchants, Laird Cregar et sa carrure de
colosse incarnant un couard précieux tandis que Tully Marshall vieillard
malade cloué à son fauteuil est le symbole presque démoniaque du mal
absolu.
L'humanisation de Raven se fera au contact de Veronica
Lake, sa douceur et fidélité l'amenant à s'ouvrir et révélé les origines
de sa violence. Pétillante et déterminée, l'actrice est parfaite, la
partenaire idéale pour Alan Ladd. Le scénario de W. R. Burnett et Albert
Maltz est rondement mené, le premier amenant toute sa science du film
noir (on lui doit les scripts du Petit César (1931) et dont il a écrit aussi le roman) ou Scarface
(1932) dans la brutalité et l'inventivité des situations comme ce
moment glaçant où Raven tient une femme de chambre en otage dans une
cabine téléphonique. Albert Maltz, un des futurs Dix d'Hollywood amène
lui une dimension politique où l'aspect propagande incitant à
l'engagement (le film est tourné avant Pearl Harbor) se contredit par la
façon de fustiger les symboles capitalistes synonymes de traitrise et
penchant du coup plus vers le communisme. Frank Tuttle penchant
également à gauche amène une conviction rageuse à ses moments, en
faisant le moteur de la rédemption de Raven finalement mieux amené par
exemple qu'un autre chef d'œuvre du noir comme Le Port de la drogue
(1953) avec Richard Widmark.
La manière d'exprimer ce message sans lourdeur
sera l'esthétique impressionnante du film. On basculerai presque dans le
fantastique durant la séquence où Raven vient traquer Gates dans sa
demeure avec ce tonnerre éclairant de façon expressionniste et gothique
le décor (magnifique photo de John F. Seitz), l'arrivée dans le bureau
de Tully Marshall semble comme nous faire pénétrer dans un monde
surréaliste et dangereux et le décor de l'usine semble un dédale
sacrément tortueux. Cette inventivité fera des émules à long terme
puisque le film est une inspiration avouée de Jean-Pierre Melville pour Le Samouraï
(1967), le mimétisme entre les ouvertures deux films (le réveil, Ladd
et son chat/Delon et son canari, leur gestuelle respective et la manière
d'occuper le décor) étant frappant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
Extrait de la scène d'ouverture
Love Rudiments, de Ty Segall (2024)
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