Mademoiselle est le premier des deux films que Tony Richardson tournera avec Jeanne Moreau (Le Marin de Gibraltar(1967) suivra) pour laquelle il venait de quitter son épouse Vanessa Redgrave. Si l'on retrouve le style austère et exigeant de ses œuvres inscrites dans le mouvement free cinema, Mademoiselle est film éloignée de la réalité anglaise, de l'art et essai et lourdement marqué du sceau de ses scénaristes, Marguerite Duras et Jean Genet.
La libération des pulsions ou le bouillonnement à les contenir aura souvent constitué le thème des films de Tony Richardson, que ce soit à des fin comiques (Tom Jones (1963) ou Joseph Andrews (1977)) ou dramatiques (la bataille désespérée de La Charge de la brigade légère (1968) ou la défiance taiseuse du marginal de La Solitude du coureur de fond (1962)). Ce thème est au cœur de Mademoiselle où le drame naît également de ces pulsions, dans leurs expressions comme leur refoulement. Une vague d'accidents tourmente le quotidien d'un petit village de Corrèze, entre incendie criminel, inondation et empoisonnement des bêtes. Tous les soupçons des fermiers se portent sur Manou (Ettore Manni), massif et séduisant bûcheron italien pour lequel la méfiance repose plus sur la haine ordinaire de "l'étranger" mais aussi de la jalousie quant à l'attirance qu'il exerce sur les femmes du village.
C'est justement à l'une d'elles que sont dus tous ces maux, Mademoiselle (Jeanne Moreau) jeune institutrice à la sexualité refoulée faisant jaillir ses névroses dans des actes de vandalisme dont elle sait qu'elle ne sera jamais accusée. Jeanne Moreau est excellente pour exprimer le contrôle permanent du personnage où guette pourtant à tout moment la folie dans le phrasé, la gestuelle rigide. A l'abri des regards, elle peut s'abandonner pour fixer intensément l'objet inaccessible de ses désirs et libèrera sa frustration par le chaos. La simple scène de début où elle broie sans raison les œufs d'un nid d'oiseau éveille d'emblée un malaise qui ne se démentira pas. N'osant approcher Manou et le voyant posséder toutes les jeunes femmes consentantes du village, elle se vengera en transformant son environnement en enfer.
C'est paradoxalement quand le film fait dans la retenue qu'il est plus troublant. Les incendies dévastateurs offrent d'impressionnantes séquences mais la folie de Mademoiselle ne trouble jamais plus que dans le quotidien comme les humiliations que subira en classe Bruno (Keith Skinner) le fils de Manou, cette rigidité teinté de jubilation quand elle inflige le mal. Un mal qui semble contenu en sourdine dans cette campagne magnifiquement filmée par Tony Richardson, la superbe photo de David Watkin faisant baigner la pénombre des forêts ou les champs de récolte d'un éclat inquiétant sous la magnificence. C'est le souffle de ses pulsions néfastes qui finiront par contaminer tout le monde (le jeune Bruno tuant un lapin sauvagement) et notamment les fermiers prêts à libérer violemment leurs angoisses sur l'étranger.
La tonalité austère avec cette bande-son sans musique jouant sur les bruits de la nature contribue grandement à cette aura maléfique. Seul problème, le film se perd un peu quand il devient plus explicite notamment avec la grande scène d'amour entre Manou et Mademoiselle (l'image érotique de Jeanne Moreau depuis Les Amants (1958) ne pouvant être évitée) qui a sûrement dû faire son effet à l'époque mais dont l'érotisme teinté de naturalisme est très forcé d'autant que la séquence est bien trop longue - sans parler des analogie bien lourde comme quand Manou enjoindra Mademoiselle de toucher son "serpent".
Ettore Manni est assez limité aussi en gros rustre à la sensualité animale et on regrette que le choix initial de Tony Richardson ne se soit pas concrétisé, Marlon Brando n'ayant pas pu se rendre disponible. En dépit de ce bémol, le final d'une rare noirceur marque tout de même durablement, Mademoiselle pratiquant symboliquement la politique de la "terre brûlée" une fois assouvie.
Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films
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