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mardi 7 juillet 2015

La Garçonnière - The Apartment, Billy Wilder (1960)

C.C. Baxter est employé dans une société d’assurance new-yorkaise. Célibataire, il n’hésite pas à prêter son appartement à ses supérieurs en quête de relations extra-conjugales. En échange de ce service, le jeune Baxter se voit offrir un nouveau poste dans la société. Tout semble se dérouler à merveille jusqu’à ce que le chef du personnel s’encanaille de la jeune liftière dont CC est secrètement amoureux...

Billy Wilder termine les années 50 en apothéose avec La Garçonnière, chef d’œuvre qui constituera le dernier de ces films où il se trouvera totalement en phase avec le public et la critique - d’autres grands films suivront mais rencontreront un accueil plus mitigé. Sur son film précédent, Certains l’aiment chaud (1959), Wilder avait inauguré la collaboration avec I. A. L. Diamond qui sera son coscénariste prolifique jusqu’à la fin de sa carrière (après le fructueux duo des débuts avec Charles Brackett conclut sur Boulevard du Crépuscule (1950)). Ce partenariat va stimuler Wilder et l’inciter à ranimer un postulat qui lui trotte dans la tête depuis de longues années mais qu’il n’a jamais concrétisé. L’inspiration lui vint d’une fameuse scène du Brève Rencontre (1945) de David Lean où les amants se retrouvaient à l’appartement d’un ami de Trevor Howard. Wilder imagine alors le sentiment de celui qui laisserait ainsi son domicile à disposition des amours de ses amis. Il a d’ailleurs matière à observer cette situation dans la réalité puisqu’il semble que Tony Curtis ait été une autre source d’inspiration, lui qui profitait en échange de petits rôles de la demeure de son ami Nicky Bair pour conclure avec ses innombrables conquêtes.

Wilder replace cependant le postulat dans un milieu professionnel réaliste des salary men ambitieux des 50’s. Un cadre largement  traité dans le cinéma américain de cette décennie, autant à des fins de mélodrames (L’Homme au complet gris (1956) de Nunnally Johnson) que de franche et hilarante satire (La Blonde explosive (1957) de Frank Tashlin) mais toujours dans une volonté de dénoncer l’inhumanité et l’absence de scrupule qu’il faut pour s’y élever. Wilder s’inscrit dans cette veine et offre une parfaite synthèse des deux approches, son ironie croquant avec brio ce milieu mais sa sensibilité faisant progressivement basculer le récit vers le drame touchant. Les premières images du film nous montrent des vues aériennes de New York, nous faisant comprendre la difficulté de l’individu à s’y faire une place, intime comme professionnelle. Une réflexion qui se prolonge lorsque nous pénétrons dans les gigantesques bureaux d’une compagnie d’assurance (extraordinaire décor conçu par  Alexandre Trauner) où le personnel s’agite telle une fourmilière de travailleurs indistincts. Pour gravir les échelons, il faut se distinguer d’une manière ou d’une autre et le malheureux C.C. Baxter (Jack Lemmon) a trouvé la pire qui soit.

Son appartement sert en effet de garçonnière à l’ensemble des cadres dirigeants de l’entreprise, le forçant à de longues heures supplémentaires gratuites puis à des errances nocturnes par tous climats en attendant que ces messieurs aient conclus leurs « affaires ». La première partie du film est hilarante pour dépeindre les déboires de Baxter, le plus souvent à la porte de chez lui et forcé de tenir un véritable planning des passages journaliers des pontes incarnés avec une désinvolture jubilatoire par notamment Ray Walston (qui retrouvera Wilder dans le génial Embrasse-moi idiot (1963)) ou encore David White (qui annonce son rôle de patron abusif dans la série Ma sorcière bien aimée). Le comique de situation fonction à plein, que ce soit dans un registre satirique (la clé de l’appartement circulant de bureau en bureau) ou pathétique quand Baxter doit avaler toute les couleuvres par espoir de promotion et s’effacer à chaque fois. Le plus cruel intervient pourtant quand il peut enfin investir son appartement, la solitude urbaine ordinaire et le désert sentimental ne lui laissant que la télévision et ses réclames comme compagnon. Finalement autant en laisser d’autres s’amuser en ces lieux.

 Lorsque la promotion semble enfin s’annoncer avec la rencontre du directeur Sheldrake (Fred MacMurray) ce n’est que pour se faire exploiter une fois de plus. Wilder évoque avec brio le rapport de soumission dans un dialogue brillant, Sheldrake culpabilisant et intimidant Baxter sur les causes de sa popularité avant de se placer au même niveau que des autres profiteurs. Jack Lemmon exprime cette soumission des faibles destinés à être exploités d’une façon subtile, Baxter dégageant une bonhomie avenante où l’ironie se dispute à la docilité avec une vraie lucidité pour le personnage. Il représente le pendant lumineux des figures de victimes, la jolie liftière Fran Kubelik (Shirley MacLaine) figurant elle la facette plus sombres et fragiles d’être ne supportant pas d’être ainsi rabaissé plus bas que terre. 

On peut même voir cette dimension prolongée aux noms des personnages. Les patrons représentent des figures de l’américain WASP machiste, tout puissant et monstrueux alors qu’ironiquement cette absence de masculinité balourde le rendant inférieur, cette sensibilité qui le distingue s’affirme dans le prénom même de Baxter, C.C. (déclinaison de « cissy signifiant chiffe molle en anglais voir même une insulte plus ouvertement homophobe). Fran est destiné à subir à la fois par son statut de femme mais également aussi d’étrangère connotée par son nom, doublement soumise par la puissance mâle wasp. Les figures plus positives comme le voisin médecin (étranger et d’une profession « utile ») inciteront pourtant les héros à se réaffirmer, là aussi par un qualificatif quand il intimera à C.C. de devenir un « mensch » (être humain) et dans une moindre mesure son épouse lorsqu’elle soignera Fran après sa tentative de suicide.

 Le couple d’oppressés que forme C.C. et Fran ne peut exister tant qu’ils sont dépendant et estiment devoir  rendre des comptes à leurs dominant professionnels ou sentimentaux. La deuxième partie bien plus sombre montre ainsi cette prise de conscience progressive, cette découverte qu’ils ne sont que des jouets et sources d’amusements entre les doigts des nantis. On est touchés par ce lent rapprochement en huis-clos (où le devine la première intention de Wilder qui comptait en faire une pièce de théâtre à l’origine), l’alchimie fonctionnant merveilleusement entre Lemmon et MacLaine. Lui par cet espoir si fragile d’être aimé et si proche de Fran, celle-ci par sa profonde vulnérabilité.

Shirley MacLaine avait déjà magnifiquement joué des personnages tragiques (le somptueux Comme un torrent (1958) de Vincente Minnelli) mais cette dépression chargé de passivité, ce sentiment d’impossibilité d’échapper à sa condition lui permet de réellement exprimer un registre novateur. Là aussi Wilder s’adapte aux qualités de ses acteurs pour signifier leur rébellion, Lemmon brisant le cercle de l’humiliation avec fermeté dans une scène avançant comme celle pathétique du début du film mais avec une chute cinglante. MacLaine par une révélation se décharge littéralement de son spleen le regard s’animant et le visage s’illuminant dans une sordide fête de nouvel an. Ainsi débarrassé de leur chaîne et enfin accompli, nos héros peuvent s’aimer. Un des plus beaux films de Wilder qui lui vaudra cinq Oscars.

Sorti en dvd zone 2 chez MGM et en bluray che Fox

2 commentaires:

  1. Non pas Fran Kulik mais Fran Kubelik cher Justin.
    Billy Wilder, qui cherchait du rythme dans tous les endroits du film, choisissait les patronymes en conséquence, il fallait qu'ils "sonnent", qu'ils "claquent".
    Sandor K.

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    1. Hé hé c'est corrigé merci, effectivement ça se vérifie assez souvent les patronymes qui sonnent chez Wilder !

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