L’histoire d’une
passion. Nantes, 1955. Les chantiers navals sont en grève. François Guilbaud,
métallurgiste fiancé à Violette, rencontre Edith. Une passion naît entre eux
mais il ne sait pas qu’elle est la fille de La Colonelle chez qui il loue « une
chambre en ville ». Quant à Edith, elle a un mari jaloux, Edmond. Edith et
François, submergés par la passion, réalisent qu’ils ne sont rien l’un sans
l’autre. La grève pour le droit au travail des ouvriers se durcit et prend de
l’ampleur : une muraille de casques, de boucliers et de matraques se dresse.
Une chambre en ville
est souvent considéré comme le dernier grand film de Jacques Demy. Il s’agit en
effet de l’aboutissement d’un projet de longue haleine pour le réalisateur qui
y travaille depuis le milieu des années 50. Au départ envisagé comme un roman,
le récit devient un scénario qu’il ne cesse de remanier entre 1964 et 1974 où
il trouvera sa forme définitive. D’autres problèmes vont alors se poser avec le
désistement du casting initialement envisagé puisque Catherine Deneuve ne
souhaitant cette fois pas être doublée au chant abandonne le projet, suivit par
son partenaire Gérard Depardieu solidaire.
Avec la perte de ces têtes d’affiches
prestigieuses, la Gaumont abandonne à son tour le financement de cette
production risquée qui n’aboutira qu’en 1981. Jacques Demy s’était
bien entendu avec Dominique Sanda durant le tournage du téléfilm La Naissance du jour (adapté de Colette)
et cette dernière va solliciter la productrice Christine Gouze-Rénal, belle-sœur de François
Mitterrand qui selon la légende dans l’euphorie de l’élection va accepter de
produire le film. Après trente ans de gestation, le film va enfin voir le jour mais
sans la musique de Michel Legrand peu emballé par la dimension sociale du
scénario et qui cède sa place à Michel Colombier.
Une chambre en ville
renoue avec une veine personnelle pour Demy, tout d’abord de façon intime dans
le cadre de cette ville de Nantes où il a grandi, et la toile de fond sociale
qui s’inspire des grèves des chantiers de constructions navale de Nantes et
Saint-Nazaire en 1955 auxquelles il assista. On retrouve le récit entièrement
chanté initié sur Les Parapluies de
Cherbourg et qui avait disparu des films précédents, et cette poésie
musicale se confronte donc à cet arrière-plan ancré dans le réel. Ce fut salué
comme une thématique novatrice à la sortie du film mais finalement c’était déjà le cas
dans Les Parapluies de Cherbourg où les maux du monde contemporain rattrapaient
et séparaient le couple quand Guy (Nino Castelnuovo) était contraint d’aller
faire son service militaire en Algérie. La différence tient dans les
conséquences de ce contexte, où pour Guy et Geneviève (Catherine Deneuve) il ne
restait plus que mélancolie et regrets de ce qui aurait pu être, chacun
retournant à sa nouvelle vie. Dans Une
chambre en ville, la fièvre de ce contexte social se répercute aussi sur la
romance. Là où les ouvriers jouent leur va-tout face aux hordes de policiers
menaçants, il en va de même pour le couple que forment Edith (Dominique Sanda)
et François (Richard Berry).
L’absence d’étincelle romanesque les poussent chacun dans
une volonté autodestructrice tandis qu’ils se montrent éteints dans la vie de
couple normée que la société veut leur imposer. Edith étouffe au contact d’un
époux jaloux et violent (Michel Piccoli) et s’évade par l’excès symbolisé par
sa provocante « non » tenue vestimentaire, passant le film nue sous
un manteau de fourrure à provoquer les hommes. François évacue sa frustration
dans la violence des manifestations, et se montre sans réelle passion pour la
douce Violette (Fabienne Guyon) pressante dans ses envies de mariage. Le coup
de foudre d’Edith et François est donc aussi la connexion de milieux
sociaux qui n’auraient jamais dû se croiser, la passion est également un oubli de ce statut à travers Edith devenant s'offrant comme une prostituée.
Le travail de Demy sur la
caractérisation de leur entourage respectif appuie cela, la différence ne
signifiant pas de montrer l’un ou l’autre sous un jour négatif. Malgré son
tempérament capricieux, c’est la profonde solitude du personnage de la mère
jouée par Danielle Darrieux qui frappe, chaque fin de phrase un peu mesquine
étant marquée par une expression, un hoquet qui fait craindre le rejet et l’abandon.
Le collègue incarné par Jean-François Stevenin transpire également la
bienveillance et l’humanité.
S’il ne place aucune chanson aussi marquante que les
classiques de Michel Legrand, Michel Colombier capture parfaitement l’ambiance
mortifère du récit. Les dialogues chantés, dans le jeu sur la répétition et l’intensité
des mots traduisent la passion effrénée et morbide de l’histoire. La mise en
scène de Demy confère une imagerie austère à cette ville de Nantes, où tous les
éclats de couleurs (les robes de Violette, l’appartement bourgeois de Danielle
Darrieux) traduisent un monde factice et contraint dont il faut s’extraire. Il
n’est plus question d’accepter les aléas du destin et vivre sa vie comme dans Les Parapluies de Cherbourg, mais de
vivre intensément sa passion jusqu’au bout. Cela passe par la disparition des codes de la comédie musicale pour une dimension plus opératique (Demy déclina d'ailleurs une proposition de l'Opéra de Paris de mettre en scène l'opéra de Jean-Philippe Rameau Platée, preuve qu'il penchait dans cette direction) et funèbre.
La fièvre des personnages
fonctionnent ainsi sur une pulsion de mort quand l’amour leur échappe, que ce
soit dans un élan autodestructeur pour Michel Piccoli, où profondément
romantique avec Edith et François. L’autre ne se quitte ou ne se rejoint pour l’éternité
que dans la mort pour Demy, la radicalité de l’environnement social se
conjuguant à celui d’une expression absolue du romantisme. Le froid réalisme se mêle avec une fatalité plus mystique notamment par les prédictions funestes de la voyante. L’attente fut longue
mais le résultat est là pour un Demy qui n’atteindra plus ces hauteurs, et
certainement pas avec le kitchissime Parking
(1985) à venir.
Sorti en dvd zone 2 chez MK2 et disponible sur Netflix
Bonjour Justin, Il n'est pas inutile de rappeler un (petit) point d'histoire qui relève plus précisément de la sociologie du cinéma français de ces années 80. Lorsque le film sortit à l'automne 1982 et devant le peu de fréquentation publique (20 000 entrées la première semaine), une partie de la critique française, voulant en toute bonne foi mobiliser le public, argumenta d'une concurrence "déloyale" de L'AS DES AS de Gérard OURY sorti la même semaine. L'éléphant du commerce aurait écrasé la souris du noble art. Cette polémique fallacieuse ne fît pas à l'évidence entrer une seule personne de plus dans les salles. Peut être précipita t'elle la carrière de DEMY. Cette CHAMBRE EN VILLE est en tout cas une belle comédie musicale désenchantée et le chant du cygne d'un cinéaste très singulier."La mélancolie est un crépuscule. La souffrance s'y fond dans une sombre joie. La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste" (Victor HUGO)
RépondreSupprimerBonjour Christian effectivement j'avais lu la controverse entourant la sortie du film, c'était une époque où la critique avait le pouvoir (et la condescendance) pour ce genre de sortie de route, qui n'a pas aidé le film au final. Même si "L'as des as" est loin d'être le meilleur Oury ou Bébel, j'aime bien la réponse de Belmondo dans une tribune en droit de réponse :
Supprimer"Gérard Oury doit rougir de honte d'avoir "préconçu son film pour le succès". Jacques Demy a-t-il préconçu le sien pour l'échec ? Lorsqu'en 1974 j'ai produit Stavisky d'Alain Resnais et que le film n'a fait que 375 000 entrées, je n'ai pas pleurniché en accusant James Bond de m'avoir volé mes spectateurs. (..) Oublions donc cette agitation stérile et gardons seulement en mémoire cette phrase de Bernanos : "Attention, les ratés ne vous rateront pas !"