Edward Jessup,
chercheur à l'Université de Cornell, absorbe des hallucinogènes afin d'en
étudier les effets. Des fantasmes liés à son enfance l'entraînent dans une
quête de son identité. C'est entièrement métamorphosé qu'il ressurgira de cet
univers.
La manifestation de l’inconscient est un élément majeur du
cinéma de Ken Russell. Pour l’illustrer il ne s’embarrasse pas de retenue ou de
subtilité mais endosse toute l’imagerie étrange et incongrue que peut recéler
la psyché de ses personnages. C’est particulièrement vrai dans ses biopics de
compositeurs dont il traduit les maux et l’inspiration à travers des envolées
formelles libres, folles, mais restant intimement référencées au sujet. On
pense pour les plus scandaleuses à la vision nazie de Richard Strauss dans Dance of the Seven Veils (1970), à l’homosexualité
coupable de Tchaïkovski pour The Music Lovers (1970) ou encore les problèmes de couple et la judéité complexe
de Mahler (1974). Altered States
constitue un saut dans l’inconnu pour ce traitement de l’inconscient chez
Russell puisque dénué de socle culturel et historique (si l’on ajoute Les Diables (1971) contenant son lot d’images
folles) sur lequel ancrer ses visions.
Le film est adapté du roman éponyme du scénariste Paddy
Chayefsky. Celui-ci pense au départ signer un Docteur Jekyll et Mister Hyde dans le cercle scientifique contemporain
avant de s’enticher de son sujet qu’il enrichira après de nombreuses recherches
d’une dimension mystique et anthropologique. Paddy Chayefsky à travers ses nombreux succès
au cinéma avait pris l’habitude de collaborer étroitement avec les réalisateurs
s’attaquant à ses écrits, et de voir ces derniers à l’écoute de ses suggestions
dans des films comme Marty de Delbert
Mann (1955), Les Jeux de l'amour et de laguerre et L’Hôpital d’Arthur
Hiller (1964 et 1971) ou Network de
Sydney Lumet (1976). Cela se passe nettement moins bien ici, d’abord avec
Arthur Penn qui quitte le navire pour mésentente et ensuite Ken Russell appelé
en catastrophe alors que le casting est arrêté et le tournage imminent. Malgré
les prérogatives contractuelles de Paddy Chayefsky qui n’apprécie aucun des
choix esthétiques de Russell, la production est trop avancées pour le renvoyer
aussi et il gardera la main sur le film tandis que son prestigieux scénariste
demandera à être retiré des crédits (c’est sous le pseudonyme de Sidney Aaron
qu’on le retrouve au générique).
Les grands personnages de Ken Russell, et c’est pour cela qu’il
aime tant traiter de la figure de l’artiste, sont souvent des êtres en quête d’absolu
et de transcendance. Ils surmontent cet appel dans leurs créations (pour le
cycle de film de compositeurs donc), la passion amoureuse ou le plaisir charnel
(Les Diables ou Women in love (1969) mais ne trouvent la réponse à ce qu’ils
cherchent que dans la douleur. Edward Jessup (William Hurt) est de cette trempe,
chercheur universitaire qui poursuit justement la nature de l’inconscient en s’enfermant
dans un caisson dont l’isolement est supposé lui provoquer sur la longueur des
sensations. La vraie vie, qu’elle soit intime auprès de sa femme Emily (Blair
Brown), ou professionnelle avec les contraintes administratives et mondaines de
l’université, est sans saveur pour lui. Il ne vit que pour remonter la source
du mysticisme religieux qui l’habitait enfant. Dès lors Ken Russell entremêle
visions psychanalytiques ornées de ce que l’on sait du passé de Jessup dans un
traitement expérimental, auquel il ajoute ses propres marottes. La chrétienté
dévoyée de Les Diables s’exposent
donc dans des postures scandaleuses du Christ, des visions baroques de L’Enfer de Dante se dessinent à coups d’effets
sonores et visuels tapageurs, entremêlé à un paganisme typiquement anglais et
celte (ce bouc aux yeux multiples).
Malgré cette audace, on reste en terrain connu pour du Ken
Russell. Ces premières expériences ne remontent en effet que le fil intime de
Jessup, mais la consommation de la drogue rituelle d’une tribu indienne va
faire remonter notre héros à l’inconscient même de l’humanité. La barbarie qui
le voit massacrer un animal pendant sa transe est un premier indice, et Russell
traite dans une approche à la fois psychologique, physiologique et philosophique
de notre réaction exposée au berceau de la vie. Le corps de Jessup est marqué
par ses voyages en endossant des caractéristiques inexplicables biologiquement.
Russell joue tour à tour sur le mystère et des effets plus voyant avec un
Jessup régressant à l’homme de Neandertal et errant dans la ville. Après avoir
erré si loin, difficile de séparer la réalité de la transe et là aussi le
réalisateur oscille entre manifestations graphiques marquées (le corps de
Jessup qui mute) et une dimension plus psychanalytique. L’équilibre est ténu
entre pyrotechnie un peu vaine et questionnement scientifique et philosophique.
On a parfois l’impression que Russell a eu peur de perdre le spectateur avec
une approche trop réflexive et c’est dommage. La dernière partie cède à un
spectaculaire où disparaît un peu la quête mystique et mythologique pour les
effets tapageurs.
Formellement c’est impressionnant et lorgne sur l’abstraction
psychédélique du final de 2001, l’Odyssée
de l’espace (1968), et voit Jessup revenir à l’état d’embryon et cellule
pour contempler le grand vide de l’essence de l’univers. Une vision terrifiante
qui manque de le happer et lui fait comprendre l’importance du monde qui l’entoure
et de ceux qu’il aime. Le cheminement est captivant mais trop expédié et noyé
sous les effets (le final est vraiment abrupt) qui prennent le pas sur la
dimension intime. Cela reste cependant une tentative audacieuse (la Warner Bros
de cette époque reste le grand studio le plus aventureux) dont le succès
remettra en selle Russell après l’échec de Valentino
(1977). L’aventure américaine se poursuivrait avec le tout aussi inclassable Les Jours et les nuits de China Blue
(1984).
Sorti en dvd multizone chez Warner et doté de sous-titres français
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