Lisa dispose d'un jour
avant d'aller à New-York, elle décide alors d'aller à Shibuya, un quartier
populaire de Tokyo. Là-bas, elle pense pouvoir se faire de l'argent facilement
en vendant ses sous-vêtements ou en tournant dans une vidéo mais tout ne se passe
pas comme prévu et elle se fait voler ses économies. C'est alors qu'elle
rencontre Raku qui va lui présenter Jonko afin de l'aider à récupérer son
argent en une nuit...
Bounce Ko Gals est
une véritable photographie d’un phénomène de société scandaleux dans le Japon
des 90’s, l'Enjo kōsai. Ce terme désigne la pratique voyant des lycéennes tenir
compagnie à des hommes mûrs moyennant finances, le « moment » partagé allant du
plus trivial (karaoké, restaurant) à la vraie prostitution. Les lycéennes s’y
adonnant sont pour la plupart des kogals,
adolescentes à l’apparence fortement sexualisée notamment par leurs jupes d’uniformes
très courtes, leur maquillage tapageur et leurs cheveux décolorés. Cette
prostitution était à la fois une forme de rébellion et d’avilissement, par une
quête superficielle dans l’achat de marque de luxe avec les « gains »
de cette activité, mais aussi une manière schizophrène de s’affranchir de l’autorité
parentale tout en étant le jouet d’adulte libidineux. Un film comme Love and Pop d’Hideaki Hanno (1998) se
penchait de manière documentaire et stylisée sur le phénomène, détaillant les processus de mise en contact (via
les telekuras (telephone clubs) où
adultes et lycéennes pouvaient échanger, se communiquer leur profil, convenir
de la « prestation » et se fixer rendez-vous) tout en rendant assez opaque la
personnalité et les motivations des adolescentes qui s’y adonnaient.
Bounce Ko Gals se
montre moins clinique et plus porté sur les personnages tout en n'édulcorant pas
sa toile de fond. Tout au long du film par son usage de la longue focale,
Masato Harada place le spectateur dans une position de voyeur, accompagnant les
pérégrinations des jeunes filles par une caméra s’attardant sur leurs jambes,
rasant leur jupes si raccourcies. La scène d’ouverture donne le ton et les
échanges décomplexés des lycéennes semblent finalement à la hauteur du filmage
racoleur, puisqu’elles causent du rendez-vous avec les clients du jour, d’un
énième avortement à subir ou des prochaines fringues à la mode qu’elles
pourront s’acheter. Le récit évite ainsi le manichéisme puisque si le penchant
trouble des adultes est inqualifiable, le cynisme et l’inconscience de
certaines adolescentes y répondant l’est tout autant.
L’histoire va nous faire suivre trois héroïnes y étant
confronté pour des motifs plus complexes que ce premier regard. Lisa (Yukiko
Okamoto) est une jeune fille qu’on suppose en fugue et qui souhaite s’envoler
pur New-York, terre de ses rêves. Pour compléter le budget de son voyage
imminent, elle va basculer au cours de cette journée dans les différents
business exploitant le fantasme adolescent, de la vente de ses sous-vêtements à
une séance photo fétichiste, avant que la nuit venue la vraie prostitution ne
reste comme seule solution pour vite gagner de l’argent. Elle va se lier d’amitié
dans cette unité de temps à Laku (Yasue Sato), entremetteuse pour ses amies
kogal mais elle-même encore innocente, et Jonko (Hitomi Satō). Chacune des
héroïnes représentent une faillite des adultes les ayant poussés à ces extrémités.
On le devinera au fil du récit avec Lisa écrasée par l’image de fille modèle
que lui imposent ses parents, Laku au contraire confrontée à l’indifférence des
siens face à ses absences scolaires et sorties nocturnes, et enfin Jonko qui
découvre que son propre père est amateur de jeunes filles.
Masato Harada déploie toute l’imagerie artificielle
précédemment évoquée en début de film à travers une narration chaotique, avant
un recentrage dramatique brillant sur les trois adolescentes et la quête
financière de Lisa. C’est une manière de nous faire comprendre que sous la
désinvolture de certaines (le personnage de Maru (Shin Yazawa) satisfait de sa
position d’objet sexuel et qui en paiera le prix) se cachent différents
parcours intimes douloureux qui les ont menés à ce résultat. Dès qu’il s’agit
de capturer les interactions de l’amitié immédiate et intense (typique des
émotions à vif de l’enfance et l’adolescence) de son trio, Harada retrouve une
candeur et une proximité tendre à travers la bande-son aérienne, les fondus
enchaînés et le montage syncopé qui accompagnent les rires complices. C'est lorsque l'esthétique prend cette imagerie dynamique, à l'opposé des plans fixes les soumettant au regards concupiscents, que les héroïnes trouvent la liberté d'être et non plus d'appartenir - les deux sentiments s'entrecroisant lors de la scène suivant la rencontre avec le vieillard.
Cependant le sinistre monde des adultes va constamment
rattraper nos héroïnes au cours de cette folle nuit. Il s’avère que cette
prostitution précoce perturbe les affaires de l’industrie du sexe et plus
précisément les yakuzas qui vont vite s’avérer menaçant. Cette dépravation des
adultes en qui l’on ne peut avoir confiance s’illustre d’ailleurs par la nature
des clients rencontrés, et dépouillés sans états d’âmes. Un salary-man fébrile,
un vieillard sans demande sexuelle mais en quête d’auditrices pour ses
horribles récits de proxénétisme, ou encore un membre du gouvernement, tous
représentent une forme d’institution et constituent de détestables prédateurs.
Subissant regards torves et propositions indécentes depuis le plus jeune âge,
les kogals (comme le soulignera Jonko dans un dialogue cinglant) ont donc
décidées de prendre leur part dans les perversions que les adultes leur
imposent. Masato Harada par cette absence de jugement moral capture brillamment
la fièvre autodestructrice qui pousse les adolescentes à cette vie, dont seul
un objectif (la quête de New-York pour Lisa) peut faire réchapper.
Mais la beauté du film vient de sa dimension lumineuse, de
sa croyance en des jours meilleurs à travers le lien profond unissant les
héroïnes. Toutes se comprennent implicitement dans les raisons qui les ont réunies
et le réalisateur notamment dans l’épilogue harmonieux ravive cette foi que l’on
doit conserver en l’autre. Ce sera via les deux anges gardiens inattendus du
récit, le dragueur maladroit Sap (Jun Murakami) et surtout le yakuza Oshima (Kōji
Yakusho) paradoxalement seule figure adulte compréhensive (les chemins menant à
cette voie criminelle étant tout aussi sinueux), bienveillante et sans arrière-pensées.
Une œuvre brillante qui nous emmène des ténèbres clinquantes (et la nuit
urbaine tokyoïte des 90’s saisie comme rarement) à un possible salut rédempteur
qui nous fait croire au futur de ses héroïnes.
Sorti en dvd zone 1 américain et doté de sous-titres anglais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire