90 Degrees in the Shade est une œuvre rare
que l'on retient avant tout pour être la première coproduction entre
l'Angleterre et la Tchécoslovaquie. A la mise en scène on retrouve Jiri
Weiss, vétéran de l'industrie cinématographique tchèque qui fut
contraint à l'exil lors de l'invasion allemande (puisqu'il signa nombre
de documentaires anti nazis avant la Seconde Guerre Mondiale). Installé
en Angleterre, il y réalisera des films de propagande mais s'engagera
plus concrètement en rejoignant la RAF. De retour au pays après-guerre
il y poursuit sa carrière mais conserve de solides liens avec son ancienne
terre d'accueil. C'est ainsi qu'il se retrouve en 1963 en tête d'une
délégation de l'industrie cinématographique tchèque en vue d'éventuelles
coproduction. Parmi les différents scripts proposés, il trouvera
preneur auprès du producteur indépendant Raymond Stross avec 90 degrees in the Shade
dont le récit épuré et réaliste semble exploitable dans les deux pays.
Stross impose quelques contraintes comme avoir des anglais dans les
rôles principaux, un tournage dans la langue de Shakespeare (y compris
pour les acteurs tchèques qui réciteront phonétiquement leurs dialogues
avant d'être doublés en post-production) qui se déroulera cependant à
Prague et avec une équipe locale. Le film marque donc à sa manière la volonté d'ouverture de la
Tchécoslovaquie dont l'industrie bénéficiera du matériel et du
savoir-faire anglais, mais surtout de sa capacité de diffusion à
l'international. On peut donc supposer que l'exposition dont
bénéficieront certains ténors de la Nouvelle Vague tchèque comme Milos
Forman est largement redevable à la tentative de 90 degrees in the Shade.
On anticipe également là sous un angle artistique la courte parenthèse
du Printemps de Prague dont la fin signera d'ailleurs un nouveau départ
du pays pour Jiri Weiss.
Le film d'un certain point de vue est une sorte de The shop around the corner
(1942) dépressif et cafardeux. Kurka (Rudolf Hrusínský) est un contrôleur
financier psychorigide dépêché pour inspecter l'une des succursales
d'une chaîne d'épicerie. Il ne tarde pas à constater quelques anomalies
dans les comptes et marchandise, dans lesquels semblent impliqués le
directeur de magasin Vorel (James Booth) et sa jeune consciencieuse
manager Alena (Anne Heywood). Le récit initial s'inspire d'un vrai fait
divers survenu en Tchécoslovaquie et tout le film tend à trouver une
forme d'équilibre entre authenticité et stylisation. Cela passe
notamment par l'esthétique du film avec ces premières minutes qui nous
plongent dans un Prague estival mais où paradoxalement cet éclat prend un
tour blafard à travers le point de vue étriqué de Kurka, mais aussi
sensuel avec la première apparition d'Alena en maillot de bain.
Il en va
de même dans la description de l'épicerie où quelques image suffisent
pour en capturer la réalité, que ce soit la bonhomie chaleureuse des
employés où la simple topographie encombrée des lieux. Là aussi Weiss
joue sur une forme de tension érotique entre Kurka et Alena à travers
quelques regards insistants ou gestes maladroits. Kurka grâce au jeu
subtil de Rudolf Hrusínský y apparaît dans toute sa nature psychorigide
(quand il tancera une employée ayant empruntée une somme dérisoire pour
une course personnelle) mais aussi un trouble, une humanité bien réelle
qui ne ressort que maladroitement quand il aidera Alena victime d'un
malaise.
Si le premier traitement fut coécrit par Jiri Weiss et
Jirí Mucha, c'est la révision du script par David Mercer qui apporte
tout la modernité requise au film. Mercer qui avait jusque-là officié à
la télévision se fera connaître ensuite pour l'inventivité de ses
scénarios sur Morgan – A Suitable Case for Treatment de Karel Reisz (1966) ou Providence
d'Alain Resnais (1977). C'est donc lui qui insère les flashbacks
fragmentés qui nous font comprendre le pourquoi du comment, que Weiss
par un jeu de raccords et montage habile raccroche aux émotions fébriles
d'Alena. Le côté The Shop around the corner
dévoyé du film se ressent par une proximité au sein de cette épicerie
qui débouche sur un rapport aliénant, tant du côté de la romance
coupable que des malversations ayant cours sur les lieux. Anne Heywood
livre une prestation magnétique en figure vulnérable et sacrificielle
victime à la fois d'un manipulateur (James Booth génialement détestable)
et d'un dogmatique (presque) sans affects (Rudolf Hrusínský glacial).
D'un postulat pourtant très simple débouche donc un récit étonnant,
entre climat oppressant de film noir, inventions formelles lorgnant sur
la Nouvelle Vague et réalisme cru typique des kitchen sink drama
anglais. La conclusion est la fois tragique, lourde de menace et
d'ambiguïté. Jiro Weiss craignant que le montage anglais privilégie les
acteurs britanniques en fera un spécifique pour le marché tchèque d'une
durée de 83 minutes contre 91 pour la version anglaise (et où
ironiquement Rudolf Hrusínský a plus de temps de présence). Hormis la
langue différente les deux montages restent très proches, les
changements reposant sur les variations et prises alternatives pour de
mêmes scènes. Un film méconnu et précurseur (notamment dans son érotisme
frontal, on est surpris que la tatillonne censure anglaise ait laissée
passer ce topless d'Anne Heywood) qui gagne à être découvert.
Sorti en bluray anglais chez Indicator et doté de sous-titres anglais
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