Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 22 novembre 2017

Marty - Delbert Mann (1955)


Marty est un boucher de trente-quatre ans d'origine italienne. Sympathique et sociable, il vit seul avec sa mère, veuve, ses nombreux frères et sœurs étant tous mariés. Célibataire, il est complexé par son physique trapu et ne rencontre pas de succès auprès des femmes. Son entourage et sa mère le poussent à chercher une épouse, mais Marty, après plusieurs insuccès qui l'ont blessé, a décidé de faire son deuil du mariage.

Négligé, sous-estimé mais finalement destiné à un bonheur inespéré, Marty est un film à l’image de son héros-titre. Au départ on trouve un téléfilm dont le script est signé du dramaturge Paddy Chayefsky traitant de la solitude d’un célibataire au physique peu avenant du quartier du Bronx. Le programme diffusé dans le cadre de la série The Philco Television Playhouse le 24 mai 1953 et est un vrai succès d’audience qui donne des idées à son producteur Fred Coe pour une adaptation au cinéma. Une même convoitise anime Harold Hecht, ancien agent reconverti producteur qui vient d’entamer une fructueuse collaboration avec Burt Lancaster au sein de leur société Hecht-Lancaster. Fred Coe ne parvenant pas à monter son projet Paddy Chayefsky se rabat sur celui de Hecht-Lancaster tout en exigeant un d’être coproducteur et d’avoir un droit de regard sur le casting et le réalisateur. C’est ainsi qu’est engagé Delbert Mann, talentueux réalisateur de télévision dont c’est le premier film au cinéma. Le budget déjà modeste est soumis aux contingences de la compagnie naissante (qui produit en parallèle le nettement plus onéreux Vera Cruz de Robert Aldrich (1954)) avec pour le meilleur le choix du modeste Ernest Borgnine (après le refus des plus onéreux Rod Steiger qui jouait le rôle dans le téléfilm, et l’abandon de Marlon Brandon un temps envisagé mais n’aurait pas été crédible en monsieur tout le monde anonyme) et le pire une production et promotion volontairement au rabais. En effet, pour des raisons d’optimisation fiscales il est plus intéressant pour Lancaster et Hecht que le film soit un échec commercial. Le tournage sera d’ailleurs un temps interrompu avec que la United Artist complète le financement. Dès lors le film prendra tous ses initiateurs de cours par la sincère émotion qu’il suscite tout d’abord au Festival de Cannes 1955 (et présidé par Marcel Pagnol) dont il remporte la Palme d’or puis ensuite auprès du public et de l’académie des Oscars dont il raflera quatre statuettes.

On accompagne donc la solitude de Marty (Ernest Borgnine), modeste boucher du Bronx dont le célibat suscite une vraie pression sociale au sein de sa communauté italienne. L’institution du mariage et la construction d’une famille constitue un véritable gage de réussite dans une société matriarcale pesante. Dès la scène d’ouverture, Marty est fustigé par des clientes de sa boucherie lui signifiant sa honte d’être encore célibataire. C’est moins son bonheur que le respect du dogme traditionnel qui est reproché à Marty, à la fois dans le versant mariage/famille mais aussi la dimension machiste où là ses congénères masculins lui reprochent son absence d’aventures sexuelles. Delbert Mann pose donc un parallèle avec les récriminations domestiques de la mère de Marty avec laquelle il vit et l’extérieur avec ses amis hommes, les deux le renvoyant irrémédiablement à son célibat et cherchant le coller à une épouse ou une aventure de passage. 

Mais pour Marty, toutes ces sollicitations le renvoient au même sentiment d’isolement et de rejet résumé par la scène il téléphone et est rejeté par une jeune femme avec laquelle il souhaitait sortir. Delbert Mann isole Marty au fil de cette conversation téléphonique dont la tournure fait comprendre le refus, et le cadre se resserre sur son visage et sa détresse. Le procédé crée immédiatement l’empathie, Ernest Borgnine excellant à exprimer cette cicatrice muette mais étant aussi capable cette son mal-être de manière plus expressive mais sans outrance (quand il dit sa résignation sur sa laideur avec sa mère), et là au frissonne du grand guignol qu’aurait amené Rod Steiger dans ce registre.

 Marty va pourtant rencontrer son pendant féminin avec Clara (Betsy Blair), jeune tout aussi esseulée et subissant de manière encore plus cruelle ce rejet de l’autre. Quand Marty subit des refus poli, la gent féminine supposée « laide » se heurte au machisme et à l’instinct prédateur des hommes préférant chasser des « proies » plus avenant - avec ce cavalier de bal payant un quidam pour se débarrasser de Clara. La rencontre de ces deux solitudes qui se reconnaissent aboutis à un très beau moment à travers une balade nocturne dans le Bronx sobrement filmée par Mann et bénéficiant du photographie somptueuse de  Joseph LaShelle. L’urbanité est capturée dans un mélange de poésie et de réalisme qui éloigne le film du film noir d’habitude prétexte à ses atmosphère, saisissant les contours des silhouettes dans des noirs profond ou isolant et éclairant un visage animé d’émotion. 

Le sommet sera cependant atteint dans une scène d’intérieur où Marty sombre dans le désespoir en ayant tenté d’arracher en vain un baiser à Clara. Une nouvelle fois meurtri, il se tapi dans l’obscurité du recoin d’une pièce, le visage dans la pénombre. Clara se rapproche alors, lui signifiant que son refus venait plus de sa propre inexpérience que d’un rejet. L’obscurité se dissipe alors très subtilement pour montrer le visage ému de Marty, les yeux brillants et humides des larmes qu’il retient et près de lui Clara lui offrant les mots doux tant attendus. Ernest Borgnine est bouleversant et Betsy Clair (dont le personnage a été très enrichi avec le passage au cinéma, héritant sans doute d’idées abandonnées de la première mouture du téléfilm où l’on devait avoir une héroïne) dégage une fragilité palpable et poignante.

On regrettera simplement que « l’après » de la rencontre constitue un simple long épilogue alors qu’il creuse des pistes passionnantes qui auraient demandé une seconde partie plus développée. La critique de la communauté et l’environnement y est sévère. Le célibat de Marty étaient ainsi une béquille à ceux qui le lui reprochaient, son nouvel amour causant la jalousie de son ancien compagnon d’infortune Angel (Joe Mantell), la soudaine peur de l’abandon de sa mère (Esther Minciotti) tandis que le fameux modèle familial semble bien agité avec son cousin Tommy (Jerry Paris) et son épouse Virginia (Karen Steele). Ce revirement et l’hésitation de Marty à céder à ces codes communautaires et sociologiques pouvaient amenés encore plus de profondeur si plus longuement traités. Néanmoins le final elliptique et plein de candeur fonctionne plutôt bien et achève cette jolie fable en beauté. Quant à Delbert Mann, il se montrera tout aussi brillant pour saisir les fêlures des marginaux par la suite dans le magnifique Tables Séparées (1958). 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Wild Side 

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