Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 28 novembre 2017

Zardoz - John Boorman (1974)


En 2293, la population humaine est divisée entre les Éternels, des humains ayant atteint l'immortalité grâce à la technologie, et les Brutes (Brutals). Les Brutes vivent dans une terre ravagée et fournissent de la nourriture aux Éternels. Ces derniers vivent en autarcie grâce à un mur invisible dans le « Vortex » et passent une existence luxueuse mais apathique. Arthur Frayn, l'Éternel chargé de gérer les « terres extérieures », se fait passer auprès des Brutes pour un dieu nommé Zardoz il a constitué un groupe d'exterminateurs, chargé de réduire en esclavage les autres humains. Zed (est un de ces exterminateurs. Il se cache à bord du masque de pierre lors d'un voyage et tue son chef Arthur Frayn.

John Boorman était arrivé au bout d’une certaine logique dans ses expérimentions formelles et narratives, ainsi que dans l’illustration de ses questionnements sur le rapport de l’homme à son environnement dans Le Point de non-retour (1967), Duel dans le Pacifique (1968) et Délivrance (1972). Le contexte réaliste de ces films limitait désormais ses visions et Zardoz allait être la pierre angulaire d’un cycle mythologique qui se poursuivrait notamment avec L'Exorciste 2 : L'Hérétique (1977), Excalibur (1981) et La forêt d’émeraude (1985). Cette volonté se ressent déjà dans le projet avorté dont découleront Zardoz et Excalibur, une adaptation du Seigneur des Anneaux que préparait Boorman pour l’United Artist qui se rétractera face à l’ampleur du budget envisagé. Boorman bien décidé à concevoir un monde imaginaire pour son film suivant proposera donc Zardoz à la Fox qui lui alloue un budget d’un million de dollar. 

On peut s’étonner aujourd’hui de voir un grand studio à la manœuvre d’un projet aussi fou mais dans le contexte à fois d’avènement de la contre-culture, du Nouvel Hollywood émergent et du succès du cinéma d’anticipation d’alors c’est une proposition audacieuse mais pas si improbable aux spectateurs de l’époque. Soleil Vert de Richard Fleischer (1973) ou Silent Running de Douglas Trumbull (1972) avaient ainsi remportés les faveurs publiques et critiques par des thématiques alarmistes sur des peurs concrètes notamment liées à l’écologie. Zardoz s’avérera plus inclassable puisque les angoisses qu’il relève sont d’ordre plus spécifiquement philosophique à travers un traitement des plus surprenants.

Dans Excalibur Merlin guidait, laissait faire puis s’effaçait face à l’agitation du monde des hommes. L'imprévisibilité, l'inconséquence et la passion inhérentes à la nature humaine pouvaient susciter le pire comme le meilleur dans un équilibre et mouvement perpétuel où les ténèbres de l’hiver laissent place aux lueurs du printemps. Le monde futuriste et barbare de Zardoz a abandonné cette logique en séparant arbitrairement une société de l’esprit, technologiquement avancée et ayant atteint l’immortalité (Les Éternels) avec une autre arriérée et instinctive vivant dans un éphémère monde barbare. Les Éternels manipulent les Brutes à travers l’entité artificielle de Zardoz, une tête volante gigantesque qui flatte leurs bas instincts (cette scène explicite où la bouche de Zardoz crache un torrent de fusil) et les incitent à s’exploiter et s’entretuer. Pourtant lorsque Zed (Sean Connery), l’un des meneurs des brutes réussit à se cacher à l’intérieur de Zardoz et s’infiltrer chez les Éternels, cet équilibre est menacé. 

Le propos de Boorman est la fois social et philosophique. L’aspect social relève de cette dans l’idée voisin de Metropolis où les nantis et chantre du savoir ont préféré s’isoler face au chaos, laissant les être de basse extraction régresser pour mieux les servir. La dichotomie de ces deux communautés mène l’humanité vers sa chute car elle est désormais incomplète. Lorsque les Éternels sondent la mémoire de Zed, tout l’avilissement et la barbarie des brutes se donne à voir. Les maux du monde utopique des Éternels ne se révèleront eux que progressivement à travers le regard de Zed. Zardoz sort à une période de gueule de bois pour la société, celle où les utopies semblent avoir fait long feu notamment avec le Watergate ou la Guerre du Vietnam.  Les Éternels arborent ainsi tous les contours esthétiques, comportementaux et organisationnels d’une communauté hippie mais Boorman donne un tour oppressant à ses caractéristiques. 

Le lien psychique les unissant relève plus de la pensée unique que de la symbiose, et leur fonctionnement égalitaire où l’on vote pour chaque décision sert surtout à repérer les dissidents immédiatement châtiés par le groupe. La différence trop affirmée sera ainsi punie par un eugénisme « temporel » en vieillissant les récalcitrants voire en isolant les plus âgés. L’esthétique pastels des environnements intérieurs, l’aspect flower power des tenues et le cadre fermier verdoyant dissimule donc une dictature aux contours faussement bienveillants. Boorman va cependant plus loin dans son raisonnement, où chaque extrême des deux mondes mène à une perte de repère. L’immortalité s’est gagnée au prix d’une déshumanisation où l’absence d’échéance, d’attirance sexuelle ou amoureuse mènent à une apathie empêchant désormais toute évolution. Sans le compte à rebours menant chacun à sa mort, plus de passion et de défis à relever mais juste un éternel et ennuyeux recommencement. L’ère où l’humanité était ardente est ainsi rangée dans un mausolée d’œuvre d’art tandis que les Éternels errent dans un décor fermier anonyme. Cette absence de lendemain différent en aura figé certains, et fait sombrer d’autres dans la sénilité.

Les choix esthétiques marqués de John Boorman appuient donc cette réflexion, y compris la tenue si moquée de Sean Connery avec ce slip rouge, catogan, moustache et cartouche en bandoulière – une image qui vaudra au film une injustifiée réputation de nanar, notamment par un François Forrestier prompt à donner ce titre au moindre film à l’esthétique autre. Ce look agressif renforce pourtant la dimension primaire de Zed (le premier choix de Boorman était d’ailleurs Burt Reynolds dans cette même idée d’une virilité marquée) en contrepoint de l’imagerie lisse des Éternels. C’est une anomalie qui ravive un désir trop longtemps étouffé pour May (Sara Kestelman) et suscite un rejet masquant là aussi une attirance coupable pour Consuella (Charlotte Rampling glaciale) et dérègle l’uniformisation ambiante. Zardoz est la contraction de Wizard of Oz et, tout comme dans le roman et le célèbre film de Victor Fleming, l’envers du miroir révèle une réalité toute autre que l’illusion initiale. 

C’est le dieu Zardoz dissimulant donc un monde totalitaire, et aussi un Zed qui sous l’aspect rustre est un être plus accompli, un élu passé de la barbarie à la connaissance – mais là également par un cheminement provoqué, et qui ôte toute omniscience à chaque protagoniste. Avec l’humanité qui reprend ses droits, c’est aussi le monde du rêve qui peut de nouveau se confondre au réel. Boorman ose donc les transitions les plus déroutantes, les visions grandioses (les apparitions et envols de Zardoz) alternant avec un ridicule, un absurde (Sean Connery en robe de mariée autre image pseudo « nanardesque »), étrange (les projections sur les corps lors de la transmission du savoir qui relève de l'avant-garde) et un mystère de tous les instants. Une fois cette part d’imprévu, de folie et de grâce ravivée, l’humanité retrouvée peut accepter sereinement sa nature éphémère dans le chaos et l’apaisement accueillant la mort lors du final. Par ces audaces et ses imperfections, Zardoz plante la graine de tous les chefs d’œuvres à venir de John Boorman. 

Sorti en Bluray et dvd zone 2 français chez Movinside

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