Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 24 novembre 2017

Sabrina - Billy Wilder (1954)


Dans leur fastueuse résidence de Long Island, les Larrabee, richissimes industriels, emploient une importante domesticité à laquelle ils n'accordent pas, hors des questions de service, la moindre attention. Or, la délicieuse fille du chauffeur, Sabrina Fairchild, est éperdument amoureuse de David, l'enfant terrible et volage de la famille, qui ne la remarque même pas. Pour tout à la fois la guérir de son amour impossible et lui donner un métier, son père envoie Sabrina étudier la cuisine à Paris. À son retour, deux ans plus tard, Sabrina, transformée, fait sensation...

Billy Wilder s’offre un joli conte moderne avec cet ultime film réalisé au sein de la Paramount – les concessions du studio au marché allemand en censurant le contenu de Stalag 17 (1953) auront eu d’une collaboration de douze ans. Sabrina est le film qui éloigne Wilder des sujets sombres (Assurance sur la mort (1944), Boulevard du crépuscule (1950), Le Gouffre aux chimères (1951) et donc Stalag 17 ont précédés et même La Scandaleuse de Berlin (1948) sous sa nature de comédie avait également un contexte assez dramatique) pour l’emmener vers la plus franche comédie dans ses œuvres suivantes. Le film adapte la pièce Sabrina Fair de Samuel Taylor, grand succès théâtral de l’année précédente. Taylor sera d’ailleurs un temps impliqué dans le script du film mais quittera le navire suite aux grands changements effectués par Wilder qui collaborera alors avec Ernest Lehman. Sabrina contribuera à asseoir la popularité d’une Audrey Hepburn fraîchement révélée et oscarisée avec Vacances Romaines (1953), la star montante étant néanmoins entourée d’un casting prestigieux avec William Holden et surtout Humphrey Bogart à contre-emploi romantique.

Il sera beaucoup question de rêveries et de lutte des classes dans ce Cendrillon moderne. Sabrina, modeste fille de chauffeur admire ainsi de loin les fastes de l’existence des Larrabee employeurs de son père. Elle est surtout en pamoison devant David (William Holden), le séducteur et fêtard fils aîné de la famille qui n’a pas un regard pour elle. Ce fossé social et sentimental se signale en deux temps dès la splendide scène d’ouverture. Ce sera d’abord par cette image de Sabrina juchée sur une branche d’arbre observant un bal mondain donné par les Larrabée où David s’adjuge une nouvelle conquête féminine. La composition de plan tout comme la photo exprime ce fossé infranchissable avec Sabrina dans l’ombre et en avant-plan tandis que les lumières de la fête et les silhouettes des convives se distingue en arrière-plan. Le deuxième temps sera plus douloureux encore quand David rejoignant sa belle du jour sur un terrain de tennis la remarque à peine. On a là un adulte indifférent face à une adolescente empruntée dans sa tenue et ses attitudes, dont le rang comme jeunesse empêchent d’être remarquée. Cette tocade adolescente (et donc plus douloureuse et intense) emmènerait presque Sabrina vers des extrémités plus grave sans l’intervention de Linus (Humphrey Bogart), déjà plus attentionné sous ses airs froids.

Deux ans plus tard, tout change avec une Sabrina devenue une jeune femme élégante et pleine d’assurance après des études à Paris. Là encore l’illusion joue mais de manière inversée avec un David désormais sous le charme mais poursuivant une belle de plus sans reconnaître la jeune fille qu’il a tant croisée. Le schéma se reproduit alors de manière plus perverse avec un Linus sachant mieux voir la personnalité de Sabrina et ses attentes. Seulement le clivage social demeure, amené par des dialogues et personnages caustiques (le père Larrabee joué par Walter Hampden) côté nantis mais aussi résigné chez les pauvres à travers cette philosophie du père chauffeur par cette phrase :

I like to think of life as a limousine. Though we are all riding together, we must remember our places. There's a front seat and a back seat and a window in between.

Sabrina demeure une négligeable fille de chauffeur pour la famille Larrabee, dépasse ce statut pour des raisons superficielles chez David et n’existera vraiment qu’aux yeux de Linus. Wilder montre un monde des nantis où l’union (le mariage arrangé de David pour un pacte financier) comme la séparation se font pour des motifs financiers et amène une ambiguïté lorsque Linus occupe Sabrina pour mieux l’éloigner de David en espérant trouver un « arrangement » satisfaisant. Humphrey Bogart était le second choix de Wilder après le refus de Cary Grant mais s’avère une idée de casting parfaite par son tempérament plus rugueux. Peu à l’aise de ce registre sentimental, Bogart mena la vie dure au réalisateur durant le tournage mais c’est justement ce côté raide, cette difficulté à exprimer ses sentiments qui font toute la richesse du personnage de Linus. Wilder appuie sur la répétitivité de son quotidien, de la métronomie de ses directives à sa secrétaire donnée depuis le téléphone de sa voiture, de sa manipulation froide et calculée de ses interlocuteurs. 

Tout cela vole en éclat au contact de Sabrina, le charme et la sincérité de celle-ci fendant constamment la carapace de Linus durant leur entrevue. Elle apprend peu à peu à voir au-delà des apparences charmeuses, il découvre un intérêt autre que les affaires. Tant que le jeu reste innocent en vue de la conquête/recadrage de David, tout cela reste innocent à travers de belles séquences intimistes (la balade en bateau) mais le trouble arrive quand les deux se découvrent des sentiments en contradictions avec leurs fantasmes et objectifs. L’émotion s’amorce magnifiquement dans la prestation fragile d’Audrey Hepburn et Bogart est parfait de tristesse contenue quand il est ramené par sa simple allure (en replaçant son chapeau, en reprenant son attaché caisse et son parapluie) à son tempérament austère quand David réapparait.

Wilder multiplie les réminiscences, qu'elle soit culturelles pour le spectateur (l'arrivée triomphante de Sabrina au bal qui rappelle bien sûr Cendrillon), narratives (les deux scènes du cours de tennis illustrant l'impossibilité ou l'amorce d'une romance) et visuelles. Ainsi ce que l'on espère sans pouvoir l'atteindre s'observe toujours de loin, avec Sabrina évidemment sur sa branche d'arbre mais également pour Linus regardant avec mélancolie le départ des bateau depuis la vue imprenable de son bureau. Le beau final (redonnant une belle consistance au personnage superficiel d’Holden) transcende alors ces clivages  vers une destination où ils n’ont plus lieu d’être pour les amoureux, Paris. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Paramount 


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