Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 12 novembre 2017

Réveil dans la terreur - Wake in Fright, Ted Kotcheff (1971)


Cela fait un an que John Grant est l'instituteur de la classe unique de Timboonda, une petite ville perdue au fin fond de l'Australie. Il voit arriver les vacances d'hiver comme une libération et, dès les portes de l'école fermées, fait ses valises pour regagner Sydney.

Wake in fright est une œuvre essentielle qui contribua à l’essor du cinéma australien moderne, suscitant l’attrait pour ses mœurs et sa nature sauvage tout en faisant naître nombre de vocations chez des cinéastes locaux comme Peter Weir, George Miller ou Bruce Beresford. Deux autres films avaient initiés le mouvement et partagent avec Wake in fright le fait d’avoir été réalisé par des cinéastes étrangers et également d’évoquer la découverte des espaces et mœurs australiens par des personnages extérieurs. They’re a weird mob (1966) de Michael Powell montrait ainsi les mésaventures d’un émigrant italien et sa lente découverte et attachement aux locaux dans une veine truculente et amusée. Walkabout (1971) de Nicolas Roeg plongeait deux enfants citadins dans l’outback pour une errance poétique et mystique. Wake in fright (adapté du roman éponyme de Kenneth Cook) reprend à la fois les motifs pittoresque du film de Powell et les grands espaces de Roeg mais pour en donner un versant primitif et cauchemardesque. They’re weird mob et Walkabout étaient des films où en découvrant un territoire inconnu, on se découvrait soi-même et plus précisément le meilleur de soi-même (les vertus du travail pour le oisif italien, l’ouverture à l’autre et l’amour pour les enfants de la ville). Dans Wake in fright l’environnement est au contraire pour son héros le révélateur de sa face la plus sombre, sa dérive ne visant pas à dénoncer les coutumes barbares des australiens (qui prendront cependant le film comme une insulte) mais plutôt à observer ce qu’une existence isolée peut raviver de la lie de l’humanité.

Dès la scène d’ouverture Ted Kotcheff filme cet outback désertique et à l’étendue illimitée de façon menaçante, comme un piège  ciel ouvert dont on ne peut échapper. C’est finalement une manière d’illustrer le sentiment qu’en a John Grant (Gray Bond), instituteur dans la petite ville de Tmboonda. Les vacances de noël arrivent pour lui comme une libération, son attitude désinvolte montrant bien qu’il ne s’est jamais intégré – on découvrira d’ailleurs plus tard que son affectation fut largement forcée. Sur le chemin de vacances bien méritées, il fait halte dans la petite ville de Bundanyabba où il va découvrir comment les locaux ont appris à tromper leur ennui. Le regard de Grant continue à se faire distant et hautain, mais peu à peu lui aussi pour tromper l’ennui va se laisser griser par les mauvais penchants des autochtones. Ted Kotcheff procède par étapes subtiles, l’amabilité agressive des locaux se faisant notamment par une invitation perpétuelle à écluser une pinte de bière. Le shérif Jock Crawford (Chips Rafferty) surgit du cadre presque dans une logique d’épouvante pour aborder Grant, et le dialogue témoigne d’une incompatibilité d’humeur et de caractère entre eux qui ne s’estompera que quand les défenses (et le cynisme) de notre héros seront émoussées par les innombrables hectolitres de bières descendues. 

Cette ivresse permanente est à la fois une manière de s’oublier et se désinhiber, mais aussi un rite de passage et une preuve de virilité (l’amitié avec Hynes (Al Thomas) naissant presque d’une injonction autoritaire à boire). Ainsi grisé et dans un état second, Grant peut laisser plus explicitement s’exprimer son mal-être, chaque perte de contrôle l’emmenant vers un vice et une situation plus sordide. Le jeu le ruine et lui fait perdre tout espoir de départ, le dénuement le livre en pâture à de nouveaux amis barbares dont il adopte la dépravation morale et physique. L’exutoire se manifeste par une virilité exacerbée à tout point de vue. Par l’alcool donc mais aussi un machisme de tous les instants par les hommes entre eux (les poignées de moins écrasante) mais aussi envers la seule femme du film, cette Janette (Sylvia Kay) entre satisfaction et désespoir d’être réduite aux tâches ménagères et au repos du guerrier. Chaque étape symbolise à la fois une jouissance et une frayeur pour Grant, s’abîmant joyeusement tout en ayant conscience de sa dérive. Le personnage pourtant éduqué de Donald Pleasence offre un miroir déformant d'une perdition irréversible pour Grant. Formellement Ted Kotcheff multiplie les séquences où le personnage est éblouit (par le soleil, par une lampe ou divers éclairages) comme pour montrer la mise en lumière de sa part sombre et la surprise pour lui de la découvrir. 

Chaque outrance marque ainsi comme un temps d’arrêt, un questionnement sur ce qu’il est en train de faire (la scène d’amour stoppée avec Janette) sans pour autant arrêter la fuite en avant. Les scènes de jours sont marquées par les couleurs chaudes (des vêtements, du sable, du soleil) posant une atmosphère étouffante et laissant les personnages suintant d’une testostérone à expulser dans les scènes nocturnes. La rareté des femmes incitent à se défouler dans l’agressivité entre hommes par la bagarre (pouvant dériver vers une homosexualité latente), mais également envers la nature dans une insoutenable scène de chasse au kangourou. Ted Kotcheff accompagna des chasseurs professionnels dans une virée qu’il filma crûment telle quelle. 

La barbarie pure s’exprime ainsi dans une tuerie gratuite (nul nécessité de se nourrir du gibier abandonné sur place, juste l’excitation de tuer) et de plus en plus cruelle au fil de l’alcool absorbé et de l’imprécision des tireurs – les frappes moins létales rendant la mort plus lente et douloureuse pour les animaux. Un instantané féroce de la bêtise humaine dont Kotcheff fait une boucle, un cauchemar sans fin qui ramène toujours Grant sur ses pas, jusqu’à la folie. Le jeune homme fringant et séduisant du départ finit donc à l’état d’épave psychotique au terme de ce week-end de « rites de passages ». Présenté au Festival de Cannes 1971 en même temps que Walkabout, Wake in fright en est un pendant torturé et contribuera à la fascination pour l’imaginaire australien dans les années suivantes.

 Sorti en Bluray et dvd zone 2 français Wild Side


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