Cela fait un an que
John Grant est l'instituteur de la classe unique de Timboonda, une petite ville
perdue au fin fond de l'Australie. Il voit arriver les vacances d'hiver comme
une libération et, dès les portes de l'école fermées, fait ses valises pour regagner
Sydney.
Wake in fright est
une œuvre essentielle qui contribua à l’essor du cinéma australien moderne,
suscitant l’attrait pour ses mœurs et sa nature sauvage tout en faisant naître
nombre de vocations chez des cinéastes locaux comme Peter Weir, George Miller
ou Bruce Beresford. Deux autres films avaient initiés le mouvement et partagent
avec Wake in fright le fait d’avoir
été réalisé par des cinéastes étrangers et également d’évoquer la découverte
des espaces et mœurs australiens par des personnages extérieurs. They’re a weird mob (1966) de Michael Powell montrait ainsi les mésaventures d’un émigrant
italien et sa lente découverte et attachement aux locaux dans une veine
truculente et amusée. Walkabout (1971) de
Nicolas Roeg plongeait deux enfants citadins dans l’outback pour une errance
poétique et mystique. Wake in fright
(adapté du roman éponyme de Kenneth Cook) reprend à la fois les motifs pittoresque
du film de Powell et les grands espaces de Roeg mais pour en donner un versant
primitif et cauchemardesque. They’re
weird mob et Walkabout étaient
des films où en découvrant un territoire inconnu, on se découvrait soi-même et
plus précisément le meilleur de soi-même (les vertus du travail pour le oisif
italien, l’ouverture à l’autre et l’amour pour les enfants de la ville). Dans Wake in fright l’environnement est au
contraire pour son héros le révélateur de sa face la plus sombre, sa dérive ne
visant pas à dénoncer les coutumes barbares des australiens (qui prendront cependant
le film comme une insulte) mais plutôt à observer ce qu’une existence isolée
peut raviver de la lie de l’humanité.
Dès la scène d’ouverture Ted Kotcheff filme cet outback
désertique et à l’étendue illimitée de façon menaçante, comme un piège ciel ouvert dont on ne peut échapper. C’est
finalement une manière d’illustrer le sentiment qu’en a John Grant (Gray Bond),
instituteur dans la petite ville de Tmboonda. Les vacances de noël arrivent
pour lui comme une libération, son attitude désinvolte montrant bien qu’il ne s’est
jamais intégré – on découvrira d’ailleurs plus tard que son affectation fut
largement forcée. Sur le chemin de vacances bien méritées, il fait halte dans
la petite ville de Bundanyabba où il va découvrir comment les locaux ont appris
à tromper leur ennui. Le regard de Grant continue à se faire distant et hautain,
mais peu à peu lui aussi pour tromper l’ennui va se laisser griser par les
mauvais penchants des autochtones. Ted Kotcheff procède par étapes subtiles, l’amabilité
agressive des locaux se faisant notamment par une invitation perpétuelle à
écluser une pinte de bière. Le shérif Jock Crawford (Chips Rafferty) surgit du
cadre presque dans une logique d’épouvante pour aborder Grant, et le dialogue
témoigne d’une incompatibilité d’humeur et de caractère entre eux qui ne s’estompera
que quand les défenses (et le cynisme) de notre héros seront émoussées par les
innombrables hectolitres de bières descendues.
Cette ivresse permanente est à la fois une
manière de s’oublier et se désinhiber, mais aussi un rite de passage et une
preuve de virilité (l’amitié avec Hynes (Al Thomas) naissant presque d’une
injonction autoritaire à boire). Ainsi grisé et dans un état second, Grant peut laisser plus explicitement s’exprimer son mal-être, chaque perte de
contrôle l’emmenant vers un vice et une situation plus sordide. Le jeu le ruine
et lui fait perdre tout espoir de départ, le dénuement le livre en pâture à de
nouveaux amis barbares dont il adopte la dépravation morale et physique. L’exutoire se manifeste par une virilité exacerbée à tout
point de vue. Par l’alcool donc mais aussi un machisme de tous les instants par
les hommes entre eux (les poignées de moins écrasante) mais aussi envers la
seule femme du film, cette Janette (Sylvia Kay) entre satisfaction et désespoir
d’être réduite aux tâches ménagères et au repos du guerrier. Chaque étape
symbolise à la fois une jouissance et une frayeur pour Grant, s’abîmant
joyeusement tout en ayant conscience de sa dérive. Le personnage pourtant
éduqué de Donald Pleasence offre un miroir déformant d'une perdition
irréversible pour Grant. Formellement Ted Kotcheff multiplie les séquences où
le personnage est éblouit (par le soleil, par une lampe ou divers éclairages)
comme pour montrer la mise en lumière de sa part sombre et la surprise pour lui
de la découvrir.
Chaque outrance marque ainsi comme un temps d’arrêt, un
questionnement sur ce qu’il est en train de faire (la scène d’amour stoppée
avec Janette) sans pour autant arrêter la fuite en avant. Les scènes de jours
sont marquées par les couleurs chaudes (des vêtements, du sable, du soleil) posant
une atmosphère étouffante et laissant les personnages suintant d’une
testostérone à expulser dans les scènes nocturnes. La rareté des femmes
incitent à se défouler dans l’agressivité entre hommes par la bagarre (pouvant
dériver vers une homosexualité latente), mais également envers la nature dans
une insoutenable scène de chasse au kangourou. Ted Kotcheff accompagna des
chasseurs professionnels dans une virée qu’il filma crûment telle quelle.
La
barbarie pure s’exprime ainsi dans une tuerie gratuite (nul nécessité de se
nourrir du gibier abandonné sur place, juste l’excitation de tuer) et de plus
en plus cruelle au fil de l’alcool absorbé et de l’imprécision des tireurs – les
frappes moins létales rendant la mort plus lente et douloureuse pour les
animaux. Un instantané féroce de la bêtise humaine dont Kotcheff fait une
boucle, un cauchemar sans fin qui ramène toujours Grant sur ses pas, jusqu’à la
folie. Le jeune homme fringant et séduisant du départ finit donc à l’état d’épave psychotique au terme de ce
week-end de « rites de passages ». Présenté au Festival de Cannes
1971 en même temps que Walkabout, Wake in fright en
est un pendant torturé et contribuera à la fascination pour l’imaginaire
australien dans les années suivantes.
Sorti en Bluray et dvd zone 2 français Wild Side
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