Au 17ème siècle, en
France. La ville de Loudun se retrouve sous la menace du Cardinal Richelieu
(Christopher Logue), soucieux de soumettre les villes fortifiées pour étendre
son pouvoir et celui du Roi Louis XIII (Graham Armitage). Le prêtre Urbain
Grandier (Oliver Reed), temporairement responsable de Loudun suite au décès de
son gouverneur, s’oppose fermement au Baron de Laubardemont (Dudley Sutton) et
à ses sbires, venus détruire les fortifications de la ville. Mais la situation
se complique lorsque la mère supérieure Jeanne des Anges (Vanessa Redgrave),
membre du couvent de Loudun, est sujette à des fantasmes et délires
hallucinatoires, résultant de son attirance pour Grandier. Des opposants de ce
dernier vont alors chercher à utiliser le témoignage de sœur Jeanne pour
décrédibiliser le prêtre…
My most, indeed my
only, political film. C’est en ces termes que Ken Russell définit The Devils, le film le plus controversé
de sa carrière et un de ses chefs d’œuvre. Le projet arrive à point nommé pour
Russell qui aura distillé son sens de la provocation avec une audace croissante
au fil de ses premières productions de cinéma - déjà latente dans ses
documentaires pour la télévision dont Dance
of the Seven Veils un consacré à Richard Strauss et où il associe le compositeur
à un nazi. Un cerveau d'un milliard de dollars (1967) amenait une folie et un excès contagieux dans la très
sérieuse et cérébrale série d’espionnage Harry Palmer. Women in love (1969) amenait une sensualité audacieuse à cette
adaptation de D.H. Lawrence y dévoilant le temps d’une scène le thème récurrent
chez Russell de l’homosexualité qui se révèlerait explicitement dans le biopic
de Tchaïkovski The Music Lovers
(1970). Chacune de ces tentatives sera saluée de succès malgré les scandales et
c’est un Ken Russell en pleine confiance et sûr de son art qui va s’attaquer à The Devils.
Le film transpose l’affaire des démons de Loudun, fait
divers qui agita la France du XVIIe siècle. Une chasse aux sorcières et des
supposés cas de possessions dans un couvent d’Ursuline servirent alors de
couverture au Cardinal de Richelieu pour soumettre la ville de Loudun, terreau
de résistance à son pouvoir mené par le prêtre catholique Urbain Grandier.
L’affaire permit de juger Grandier, source de ces tourments et accusé de
pactiser avec le diable et il fut exécuté sur le bûcher sans avoir avoué ses
crimes. Politique et religion faisaient des liaisons dangereuses dans ce drame
et, même s’il l’illustrerait par son
esthétique tapageuse, tous les faits les plus révoltants dépeints dans Les Diables sont avérés.
L’épisode
inspira bien sûr la littérature et Russell adapte donc le livre Les Possédés de
Loudun d'Aldous Huxley paru en 1952 (pour la construction) mais également la
pièce Les Diables de John Whiting
jouée en 1960 (pour les dialogues). Après en avoir achevé le scénario, Russell
l’adresse à la United Artist qui avait produit Women in Love et The Music
Lover mais les exécutifs terrifiés par son contenu se retireraient bien
vite. La Warner rassurée par les succès récents de Russell finance donc le
projet sans doute sans trop en détailler la teneur et persuadée de produire un
drame en costume prestigieux. Le tournage se déroulera ainsi sans encombre, les
vrais problèmes ne surgissant qu’en post-production et lors de la sortie
américaine.
Dès le début du film, on peut clairement diviser le cadre du
récit en trois environnements et autant d’états d’esprit. Tout d’abord on cette
cité atypique de Loudun, dont l’architecture géométrique imposante
contrebalancée par la blancheur immaculée traduit le carrefour de modernité que
constitue ces lieux. Les guerres de religions sanglantes et les ravages de la
peste ont appris aux catholiques et protestant à cohabiter en paix, faisant
de Loudun un monde à part du conflit religieux alors vivace partout ailleurs. Cet
équilibre délicat dessine un envers tumultueux la nuit venue où les pulsions se
déchainent, sexuelles bien sûr mais aussi morbides à travers les cadavres
jonchant les rues, des charlatans soignant la peste par des remèdes douteux.
La droiture et la paix le jour, la luxure et les excès la nuit venue, ces deux facettes reflète le bon et le mauvais qui abrite tout être humain. Cette dichotomie, le prêtre Urbain Grandier (Oliver Reed) a appris à l’accepter. C’est un homme s’abandonnant aux plaisirs des sens avec égoïsme (cette jeune maîtresse enceinte qu’il laisse seule à son sort) mais également un meneur rappelant l’indépendance de Loudun face aux agents de Richelieu qui cherchent à en détruire les remparts symboles de son passé protestant.
La droiture et la paix le jour, la luxure et les excès la nuit venue, ces deux facettes reflète le bon et le mauvais qui abrite tout être humain. Cette dichotomie, le prêtre Urbain Grandier (Oliver Reed) a appris à l’accepter. C’est un homme s’abandonnant aux plaisirs des sens avec égoïsme (cette jeune maîtresse enceinte qu’il laisse seule à son sort) mais également un meneur rappelant l’indépendance de Loudun face aux agents de Richelieu qui cherchent à en détruire les remparts symboles de son passé protestant.
D’autres ne peuvent répondre avec la même
force de caractère à cette dualité. C’est le cas de la mère supérieure Jeanne
des Anges (Vanessa Redgrave), difforme mais non moins rongée par un désir
dévorant pour Urbain Grandier. Cette culpabilité et frustration est la cause d’un
tourment qui s’exprime par l’expression la plus douloureuse de la piété
(autoflagellations, châtiments corporels) ne pouvant endiguer des fantasmes de
plus en plus tourmentés et outrageant. Russell peut ainsi déployer la scène la
plus controversée du film, « The Rape of Christ » où les traits de
Grandier se substituent à ceux de Jésus sur la croix et où son corps massif s’impose
à celui de Jeanne dont les tressaillements expriment autant la stupeur que l’orgasme
fiévreux.
Raide, figée et frémissante dans l’alcôve du couvent, déchaînée et
avide de désir dans ses rêves, Vanessa Redgrave est extraordinaire pour
exprimer la folie grandissante de son personnage. Quand Grandier acceptant ce
qu’il est finit par trouver l’amour sincère avec Madeleine De Brou (Gemma
Jones), Jeanne sombrera définitivement dans la démence. Leur deux parcours se
font en parallèle, Russell alternant les séquences romantiques élégiaques pour
le couple Grandier/Madeleine et dérapages graphiques divers pour Jeanne avec
notamment des séquences de masturbation frénétiques. Le machisme de l’époque
est subtilement dénoncé, les couvents étant des nids de vieilles filles
frustrées qui pense soigner dans l’isolement et la foi leurs désirs inassouvis
quand les hommes même sous l’habit religieux peuvent exprimer foi et attrait
charnel.
Le récit se déroule à une époque de reconquête pour l’Église
catholique romaine, un objectif qui sert plus des ambitions politiques que religieuses.
Cette aura de l’église, après avoir dessiné un versant imparfait mais humain à
travers les personnages de Grandier et Jeanne va adopter un visage froid sous
les traits calculateurs de Richelieu (Christopher Logue). La deuxième partie du
film est ainsi une longue suite de tableaux hystériques servant le complot afin
de confondre Grandier et faire tomber la ville. C'est le troisième espace qui constitue cette fois véritablement l'enfer sur terre.
Jouet de desseins qui la
dépasse, Jeanne subira les derniers outrages, Russell
déployant toute la folie dont il est capable dans des séquences d’inquisitions
qui aussi folles soient-elles reflètent la réalité des évènements. La force du
réalisateur est d’y amener une atmosphère de pur cauchemar à travers les
éclairages baroques de David Watkin, les décors néoclassiques de Derek Jarman où
après l’austérité clinique du début on passe à des compositions de plans surchargées,
des gros plans et zooms agressifs sur des visages déformés dans des rictus de
pur démence.
Russell a beau filmer la confusion, jamais sa mise en scène n’y
cède. Les cadrages dessinent la dimension totalitaire de cette église (les
lignes architecturales qui dévoilent la prison, la chape de plomb et le côté
oppressant de cette société notamment lors de la scène de procès finale) et l’ironie
mordante fait mouche sous le dégout. L’inquisition libère ainsi une dépravation
qui avait relativement réussi à être contenue par les nonnes qui désormais s’abandonne
aux orgies les plus extravagantes.
Si l’on avait le moindre doute d’une conviction sincère des inquisiteurs malgré leurs actes révoltants, la séquence où ils s’absolvent de leur péché par une relique religieuse qui n’en est pas une en dit long sur leur cynisme. Michael Gothard en chasseur de sorcière à l’allure et agitation de rock star exprime le versant le plus chaotique quand Murray Melvin (dans un rôle voisin du précepteur fourbe qu’il tiendra dans Barry Lyndon (1975)) dévoile lui le calcul et l’hypocrisie de ces fous de dieu.
Si l’on avait le moindre doute d’une conviction sincère des inquisiteurs malgré leurs actes révoltants, la séquence où ils s’absolvent de leur péché par une relique religieuse qui n’en est pas une en dit long sur leur cynisme. Michael Gothard en chasseur de sorcière à l’allure et agitation de rock star exprime le versant le plus chaotique quand Murray Melvin (dans un rôle voisin du précepteur fourbe qu’il tiendra dans Barry Lyndon (1975)) dévoile lui le calcul et l’hypocrisie de ces fous de dieu.
La présence paisible et résignée d’un Oliver Reed habité
amène une vraie hauteur au récit, qui ne délivre pas contrairement aux
apparences un propos antireligieux mais dénonce l’usage qui est fait de ce
message. Le final est un long chemin de croix où les tortures subies par Grandier
ne cèdent jamais à la gratuité provocatrice, les situations étant au
final plus dérangeantes que les vrais dérapages sanglant restant
hors-champs. Cest la grandeur, la droiture et la paix intérieure qui
accompagne le martyr Grandier que l'on retiendra, sa marche douloureuse
vers le bûcher s'inspirant complètement de l'iconographie religieuse
dans les compositions de plans et cadrage de Russell.
La cité ayant cédée à
cette propagande et hystérie ne semble pas mériter son défenseur et à peine son
dernier souffle lâché, les murailles peuvent s’écrouler et laisser venir la
désolation lors d’une dernière scène glaçante. Le film aura un succès à la hauteur
de son scandale mais en paiera le prix fort au niveau de la censure. Après une
première exploitation anglaise en version intégrale, la Warner horrifiée
imposera des coupes drastiques (le viol du Christ s’en trouve quasiment amputé
entre autre) pour une sortie américaine qui tournera court pourtant. Ce sera néanmoins cette version censurée qui s’imposera durant toute les
exploitations futures du film et le montage anglais d’origine - la
vraie version intégrale n'ayant été que succintement diffusée - n’est
visible que depuis 2011, année de la mort de Ken Russell. Une oeuvre
magistrale qui gêne toujours autant la Warner aux entournures donc, preuve de
sa portée intacte.
Sorti en dvd zone 2 anglais dans une magnifique édition dotée de sous-titres anglais, de la version intégrale du film et de nombreux bonus
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