Antoine est un ouvrier
travaillant dans une imprimerie. Antoinette, simple employée, s'occupe du
photomaton dans un grand magasin. Antoine et Antoinette sont mariés et leurs
pensées sont toujours tournées l'un vers l'autre. Un jour, le couple se
retrouve en possession d'un billet de loterie gagnant. 800 000 francs, c'est le
bout du monde ! Mais un quiproquo autour d'un livre entraîne la perte du ticket
par un Antoine déconfit.
De Casque d’or
(1952) à Touchez pas au grisbi (1954)
en passant par Le Trou (1960) pour
citer les titres les plus fameux, Jacques Becker aura quel que soit le genre
abordé toujours privilégié une certaine authenticité et un regard bienveillant
sur les classes populaire qu’il se plaisait à dépeindre dans ses œuvres. Un
attrait en opposition avec ses origines bourgeoise et au départ une forme de
rébellion envers un père tyrannique qui fit tout pour le confiner à la reprise
de l’entreprise familiale et l’empêcher d’embrasser une carrière artistique.
Ainsi lors d’une traversée en bateau vers New York Becker fit la rencontre
enthousiaste d’un King Vidor prêt à l’engager comme comédien et assistant à
Hollywood mais son père y mettra le veto. C’est la rencontre décisive avec son
ami Jean Renoir qui décidera Becker à s’affranchir définitivement puisqu’il
deviendra son assistant sur neuf de ses films des années 30 et sera même à l’initiative
du Crime de Monsieur Lange (1936)
sans pouvoir le réaliser (et source de brouille passagère avec Renoir préféré
par le producteur au débutant Becker). Au contact de Renoir et à travers les
sujets de leurs œuvres en commun, Becker s’immerge donc à un cadre plus
populaire et également au Parti Communiste. C’est sous l’Occupation que Jacques
Becker fait ses premières armes à la mise en scène avec Dernier Atout (1942), GoupiMains Rouges (1943) et Falbalas
(1945) où il forgera son style. La critique française décèle déjà le talent de
Becker à travers ces films d’apprentissage et il confirmera les attentes avec
la grande réussite que constitue Antoine
et Antoinette, premier film d’après-guerre.
Antoine et Antoinette
initie un cycle pour Jacques Becker où il s’attachera à dépeindre le sentiment
amoureux par le prisme de ces milieux ouvriers ordinaire et observer la société
française d’après-guerre avec d’autres titres comme Rendez-vous de juillet (1949), prix Louis-Delluc, et Édouard et Caroline (1951). Jacques
Becker s’attache donc ici de manière tendre à dépeindre le quotidien de son
ravissant couple en titre. Antoine (Roger Pigaut), ouvrier dans une imprimerie
et Antoinette (Claire Mafféi) employée dans un grand magasin forme un ménage
heureux et presque sans nuage. Le scénario dresse vaguement quelques sources de
discordes comme l’attirance d’autres hommes pour Antoinette, en particulier le
très antipathique et concupiscent épicier du quartier, M. Roland (Noël
Roquevert). Les semblants de jalousie d’Antoine sont pourtant balayés par le
moindre regard tendre et aimant d’Antoinette, la confiance et l’amour les liant
semblant indéfectible.
La première moitié du film est ainsi une longue
description, sans conflit ni le moindre rebondissement de leur quotidien, de
leurs tendres retrouvailles après le travail, des week-ends à deux fait de
ballade en barque ou de matchs de football. Nous nous immergeons ainsi dans la
plénitude de ce couple, Becker alternant cette vision à travers un certain
réalisme mais aussi quelques moments surannés jamais trop appuyés (la ballade
en barque appuyant le côté fusionnel des amoureux par son cadrage puis par les
gros plans de leurs regard langoureux). La mise en scène précise et alerte du
réalisateur fait passer ces instants avec une limpidité exemplaire, cette
dimension réaliste s’ornant de divers éléments (les personnages secondaires
tous plus truculents et attachants les uns que les autres) qui ne suscitent
jamais l’ennui, qui ne cèdent jamais au
romantisme forcé.
La deuxième partie dresse enfin un enjeu plus concret avec ce
ticket de loterie gagnant qui pourrait tout changer, mais qui est
malencontreusement perdu par Antoine. Jacques Becker ne dévie pas de ces
préceptes pour autant, nulle accélération de rythme, de suspense malvenu ou de
dramatisation outrancière pour illustrer cette péripétie. Tout passera une
nouvelle fois par les personnages et la description de leurs sentiments. La
jalousie un peu infantile d’Antoine avait laissé deviner une immaturité qui s’exprime
ici par son attitude de gamin en faute lorsqu’il n’ose affronter le regard de
sa compagne après sa perte fatidique. A l’inverse Antoinette s’avère le moteur
du couple, plus intelligente, posée et apte à affronter les épreuves.
On le
comprend dans la scène où elle retrouve Antoine défait au bar et qu’elle calme
sa détresse par sa présence calme et compréhensive. Becker dépeint là un type
de figure féminine indépendante dont l’Occupation avait contribué à l’émancipation
mais encore peut vu dans le cinéma français d’alors. Défiant un supérieur trop
autoritaire, faisant face sans crainte aux avances insistantes de M. Roland,
Antoinette est un personnage épatant porté par la prestation douce et
déterminée de Claire Mafféi. Roger Pigaut par sa maladresse toute masculine
offre un contrepoint idéal et s’offre même un moment de gloire lorsqu’il
flanquera une rouste mémorable à l’infâme M. Roland.
La liberté de la narration se complètera toujours à la
précision de la mise en scène où Jacques Becker en opposition à la dimension
réaliste contemplative attendue propose une caméra mobile et un montage bien
plus découpé que les standards d’alors. Si le film est plutôt lumineux et
positif, les atmosphères plus troubles de ses classiques à venir peuvent se
deviner dans des instants plus étranges et oniriques, que ce soit la vision
assez kafkaïenne de la salle de remise de gain ou encore l’hallucination d’Antoine lui
faisant retrouver l’emplacement du billet de loterie. Une réussite en tous points
donc que cette œuvre tendre et attachante qui se verra récompensée de la Palme
d’ Or à Cannes en 1947.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Gaumont
J'adore ce film vu en 2014. J'aime beaucoup la vision quasi documentaire du Paris populaire de cette époque.
RépondreSupprimerTrés déçu par Edouard et Caroline vu aprés.